Jumelles privées d’état civil en Cour de cassation : une victoire à la Pyrrhus ?

par Cristophe
lundi 29 décembre 2008

Dans le dossier des mères porteuses, la Cour de cassation a-t-elle porté un coût d’arrêt aux pratiques des couples infertiles par son arrêt du 18 décembre 2008 ? Oui, à en croire les commentaires des intégristes catholiques qui n’ont pas peur de la contradiction en se réjouissant de voire deux fillettes privées d’état civil alors qu’ils militent à hue et à dia pour donner un état civil aux embryons. Mais à y regarder de prêt, il est difficile d’y voir une victoire, bien au contraire. Ou alors une victoire à la Pyrrhus.

Regardons en détail l’affaire :

C’est une histoire vieille de dix ans. En 1998, un couple de français qui voyage souvent à l’étranger cherche à avoir des enfants et n’y parvient pas. Les examens parlent : l’épouse souffre d’une malformation congénitale de l’utérus rendant impossible toute gestation. Maternité impossible... mais naissance et filiation possibles avec la gestation pour autrui, qui est légale dans de nombreux pays. En 2000, Mary, une Américaine rencontrée en Californie, accepte de porter l’enfant après une fécondation in vitro résultat d’un don d’ovocyte et sperme du mari.

A la troisième tentative, Mary tombe enceinte, et le 14 juillet 2000, conformément à la loi locale, un jugement de la Cour suprême de Californie dit que le mari et l’épouse seront père et mère des enfants à naître, le mari étant reconnu comme père génétique et légal, l’épouse comme mère légale.

En octobre 2000, naissance en Californie de jumelles, et les actes de naissance sont établis selon le jugement rendu : le mari et la femme sont le père et mère.

Le père demande de porter les enfants sur son passeport pour rentrer en France, ce qui suppose la transcription des actes de naissance des enfants sur les registres français au consulat général de France à Los Angeles. C’est là que les ennuis commencent. Refus du Consulat qui les accuse d’adoption illégale et les dénonce au parquet de Nantes en charge des Français nés à l’étranger.

Pendant ce temps là, le couple rentre en France. Les enfants sont américains, et ont des passeports américains. Nés aux Etats-Unis, ils bénéficient de la nationalité américaine.

La procédure française :

 Le parquet entame une procédure pénale au vu de l’article 227-12 du code pénal, sanctionnant de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende « le fait de s’entremettre entre une personne ou un couple désireux d’accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de le leur remettre » et de l’article 227-13 « simulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil d’enfants » (article 227-13).

Etrange démarche de vouloir d’un part sanctionner des actes déroulés légalement à l’étranger (donc ne pouvant être sanctionnés par la loi française), et d’autre part d’aborder le pénal alors que la qualification civile n’est pas prononcée. En effet, c’est la loi de la mère qui s’applique, et à défaut celle des enfants. Donc à moins de reconnaître l’épouse française comme la mère, c’est le droit californien qui s’applique, et qui dit que c’est l’épouse française qui est la mère. C’est sans doute à cette quadrature du cercle qu’a voulu échapper le parquet, et surtout pour contourner le code civil qui protège la paix des familles, et celle-là s’entêtant à ne pas vouloir déballer sa vie privée malgré une garde à vue musclée.

L’enquête pénale, carrément une commission rogatoire, permet de montrer que les dossiers médicaux apportent la preuve que l’épouse ne peut porter un enfant, faute d’utérus. Mais pour le reste, cette stratégie ne marche pas, les faits contestés s’étant déroulés en dehors de France. Le parquet tente une nouvelle démarche, alors qu’il s’était opposé à la transcription des actes d’état civil US, il ordonne leur transcription dans les registres français, et dans la foulée, relance la procédure au pénal en arguant que les faits sont punissables puisqu’ils produisent des effets en France. Le juge d’instruction n’est pas dupe de la manœuvre du parquet et prononce un non-lieu. Fin de l’épisode pénal.

Mais le parquet va tenter sa chance au civil et assigne le couple devant le tribunal de grande instance aux fins d’obtenir l’annulation de cette transcription qu’il a pourtant ordonné.



Le tribunal de grande instance n’a pas la même lecture de « l’ordre public français ». Il déclare en 2005 l’action du parquet irrecevable : il faut d’une part tirer les conséquences de la validité du jugement américain et des actes dressés en Californie, et d’autre part, si trouble public il y a comme le prétend le parquet, il résulte de l’action du parquet qui a ordonné la transcription. Et la Cour d’appel de Paris en 2007 confirme en mentionnant l’intérêt supérieur de l’enfant : « la non-transcription des actes de naissance aurait des conséquences contraires à l’intérêt supérieur des enfants qui, au regard du droit français, se verraient privés d’acte civil indiquant leur lien de filiation, y compris à l’égard de leur père biologique ».

Pourvoi du parquet, soutenant que « le ministère public peut agir pour la défense de l’intérêt public à l’occasion de faits qui portent atteinte à celui-ci », en l’occurrence le recours à une convention de mère porteuse.

Que dit la Cour de cassation dans son arrêt du 18 décembre ?

« Les énonciations inscrites sur les actes d’état civil ne pouvaient résulter que d’une convention portant sur la gestation pour autrui, de sorte que le ministère public justifiait d’un intérêt à agir en nullité des transcriptions. »

 La question traitée, c’est la recevabilité de l’action du procureur à l’encontre de la retranscription d’actes de filiation établis à l’étranger. Le fait que leur validité ne soit pas contestable ne veut pas dire qu’ils ne sont pas contraires à l’ordre public français. Mais qu’est-ce donc que cet ordre public ? La Cour de cassation, qui vise l’article 16-7 du code civil, introduit avec les lois de bioéthique de 1994 : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle. ».

Mais alors, la Cour d’appel de Paris se serait laissée attendrir ? L’intérêt supérieur de l’enfant, et le respect de personnalité juridique avaient dit les juges. Non, répond la Cour de cassation, rien ne peut pas dissoudre l’article 16-7. La Cour se braque devant les réalités de fait : tout ce qui passe de bien dans cette famille ne peut suffire à ouvrir une brèche dans le droit, la loi ayant clairement dit que l’enfant n’a de mère que celle qui l’a porté (en faisant mine d’ignorer le cas de l’adoption). Pour le reste, elle jette, si j’ose dire, le bébé avec l’eau du bain : pas un mot sur la primauté de l’intérêt des enfants qui s’impose dans de nombreuses conventions internationales et européennes. Pas sûr qu’en enfouissant l’intérêt de l’enfant, il ne ressorte pas tôt ou tard.

Mais il y avait-il un risque d’appel d’air ?

Si l’on se plonge dans le sujet, il se pourrait que toute cette bataille juridique ne serve à pas grand-chose. Chaque année une bonne centaine d’enfants naît de parents français à l’étranger par gestation pour autrui, et les parents ne peuvent être inquiétés au pénal pour cause de non extra-territorialité des lois françaises. La petite différence avec le couple visé par la procédure de justice, c’est que les parents ne demandent plus la transcription de l’état civil, puisque selon l’article 47 du code civil français, l’acte étranger est opposable en France, qu’il s’agisse d’un enfant d’un couple hétérosexuel ou non, ou d’une personne seule ou non. Bref, cette décision n’arrêtera personne et aura pour seul effet de compliquer un peu l’obtention de bourses ou autres actes administratifs relatifs aux enfants.

Que pourra dire la cour d’appel de Paris ?

L’affaire va revenir devant la cour de Paris. L’action du procureur est recevable, c’est-à-dire qu’il peut contester la filiation sans être prisonnier de l’article 423 dont les limites ont été repoussées par la Cour de cassation. Mais de là à être entendu par les juges, c’est une autre affaire. Car on ne peut pas enterrer comme cela l’intérêt des enfants. Les avocats n’hésiteront pas à ressortir l’article 3.1 de la convention de New York qui dit que les enfants ont droit à être élevés par leurs parents (et c’est donc l’état civil US qui détermine cela) et les différents articles de la Cour Européenne qui nous disent que l’intérêt de l’enfant doit primer à toute autre considération, et qu’aucune décision concernant un enfant ne peut être prise sans en établir l’impact sur sa situation personnelle. Et s’il restait encore un doute, la jurisprudence faite par la CEDH avec l’arrêt Wagner (Condamnation du Luxembourg qui refusait la transcription à une femme célibataire qui avait adopté seule un enfant péruvien alors que le droit du Luxembourg ne prévoit que l’adoption par un couple) s’imposerait. Comme tous ces moyens n’ont pas été contestés par la Cour de cassation, il sera difficile de les passer sous silence sans risquer un aller simple pour une condamnation par la CEDH. Et donc un esprit raisonnable est légitime à penser que cette famille, après dix ans de bataille judiciaire, verra l’état-civil de ses fillettes enfin reconnu et protégé. On ne peut pas exclure non plus que les avocats de cette famille s’adressent directement à la CEDH sans passer par la Cour d’appel en arguant que la Cour de cassation a violé le droit européen en passant sous silence l’intérêt de l’enfant.

Une provocation à légiférer ?

On peut difficilement imaginer que les honorables juges de la Cour de cassation soient passés à côté de ces aspects concernant l’intérêt de l’enfant. Dans cette affaire, l’intérêt des enfants est manifestement d’avoir un état civil français, qui corresponde à l’état civil américain, et au jugement rendu par la Cour suprême de Californie. Alors, pour ne pas établir une jurisprudence qui risquerait d’admettre toutes les formes de gestation pour autrui, c’est à dire celles qui comme dans la cas de cette famille se font dans un esprit altruiste et respectueux des personnes, mais aussi malheureusement des éventuels cas sordides où l’argent l’emporte sur les plus faibles, pourquoi ne pas renvoyer la balle au législateur ? D’autant que c’est exactement ce que lui dit le législateur ! Dans un rapport remarqué le 25 juin 2008, ne se propose-t-il pas de légaliser la gestation pour autrui dans un cadre très strict, et de reconnaître toutes les filiations étrangères qui ont eu lieu avant le vote de la loi si elles en respectent les critères ? N’ordonne-t-il pas à cette Cour de cassation de ne pas légiférer par jurisprudence sur la gestation pour autrui, cette question relevant de la responsabilité du législateur ?

Il va donc falloir entrer dans ces problématiques. Il est sans doute plus simple de se parer des grands principes, pour proclamer « non, jamais »,... en sachant que c’est donner la prime à des réseaux pas toujours regardants, et aux prises en charge à l’étranger, pour ceux qui en ont les moyens financiers et linguistiques. Ce d’autant plus que les catastrophes psychologiques et éducatives annoncées ne se retrouvent absolument pas en 25 ans de pratiques chez nos voisins anglo-saxons qui suivent tout cela de très près.

De fait, nombre de pays ont légitimé, en les encadrant, ces pratiques : Grande-Bretagne, Grèce, Pays-Bas, Danemark, Roumanie, la plupart des états des Etats-Unis et d’Australie et des provinces du Canada, Nouvelle Zélande, Afrique du Sud... L’Espagne s’oriente vers une légalisation qui revient sur l’interdit de 2006, tandis que Belgique et l’Inde sont des en train de voter des lois pour encadrer des pratiques établies depuis longtemps.

 

Que propose le Législateur ?

Du coté du Législateur, ça a bougé ces derniers temps, avec une commission sénatoriale dont Henri de Richemont, UMP, est le rapporteur, et Michèle André, PS, la présidente. Son rapport, déposé le 25 juin 2008 estime hypocrite l’interdiction légale d’un procédé qui se répand, et cherche à apporter des réponses aux problèmes posés, avec trois préoccupations :


- le respect des principes de non-patrimonialité du corps humain et de l’indisponibilité de l’état des personnes ;


- la volonté d’empêcher l’exploitation des femmes démunies et la marchandisation aux travers des notions de don de gestation et de neutralité financière ;


- gérer l’incertitude qui pèse sur les conséquences médicales et psychologiques pour l’enfant à naître et la femme qui l’a porté.

Au cours de l’année 2009, le parlement doit réviser les lois bioéthiques. C’est l’occasion d’ouvrir dans un esprit de responsabilité le dossier de la gestation pour autrui, et de publier de nouvelles lois que la Cour de cassation se fera un plaisir d’appliquer.

Ainsi, cette décision de la Cour de cassation ressemble beaucoup à une victoire à la Pyrrhus pour les pourfendeurs de la gestation pour autrui. On peut toujours clamer que c’est une victoire de l’ordre public, chacun retiendra que deux fillettes innocentes se voient privées de leurs états civils dans une bataille judiciaire qui accuse déjà huit années de dépenses publiques pour un résultat qui ne satisfait personne. Nul doute que l’opinion public, déjà favorable à la gestation pour autrui dans tous les sondages, ne le sera que plus en réalisant que le premier danger à éradiquer, c’est l’instabilité juridique des filiations. Et ceux qui se disent vouloir respecter la dignité des personnes en applaudissant une décision de justice qui porte atteinte aux bien-être d’enfants apparaîtront pour ce qu’ils sont : des personnes pour qui le respect de la diversité et des libertés remet en cause leurs convictions personnelles.


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