Le café du pauvre
par Kindred
mardi 29 janvier 2013
tout fou, tout clebs… l’art complexe de séduire
J’ai lu mon premier Dick en 1977 ou 1978. Puis je m’en suis gavé. J’en lis régulièrement. Et parfois même, j’en relis, comme l’année dernière A rebrousse-temps et Les clans de la Lune Alphane.
Dix ans plus tard, j’ai découvert Boudard avec Le café du pauvre. J’ai enchaîné avec La cerise (1963). Puis j’en ai lu d’autres.
Je reviens régulièrement vers Dick ou vers Boudard comme on revient vers un vin qu’on a aimé. Chez Dick, on revient d’abord pour un « climat ». Chez Boudard, pour un « style ».
Une précision lexicale d’abord : « la cerise, c’est la guigne, la poisse, la malchance », comme l’indique Boudard au début de son récit. Et le café du pauvre, c’est une expression pour signifier l’acte sexuel.
http://www.expressio.fr/expressions/le-cafe-du-pauvre.php
J’ai lu Le café du pauvre en quelques jours. Boudard, c’est d’abord un style qui n’est pas sans rappeler celui de Céline. Ici, le lectorat se divise au moins en deux. Les bien-pensants qui s’offusquent au seul nom du docteur Destouches. Et les esthètes qui s’indignent qu’on puisse le comparer à écrivain mineur. Enfin, celles et ceux qui veulent bien continuer, je les laisse apprécier.
« J’ai dû rêver tout ça… départir le faux du vrai, les tartarinades… ce que je fus exact dans cette galère. Je me réveille peut-être dans ce métro. Tout est gris et morne plaine et que dalle. J’arrive pas à me peinturlurer tout ça aux vives couleurs de l’espérance.
« Je suis encore tout fou, tout clebs, je me figure des choses… il va falloir que je m’éduque dans l’art complexe de séduire.
« La démocratie est redevenue ridicule et pas si gentille que ça pour peu qu’on ait l’occasion d’aller voir ce qui se passe dans ses prisons et ses hôpitaux.
« Sur la fin de la guerre… d’allure de comportement, on leur ressemblait… on riffaudait les panards… violait les bergères.. on entonnait des chants à têtes de mort… la pente fatale… la contagion, on devenait de véritables vandales.
« Les promoteurs, ils dynamitent sans remord. C’est eux les barbares, les Goths, ils construisent l’avenir sur les décombres du passé.
« Quand on veut m’endoctriner, je rétorque n’importe quoi.
« Certes, elle aimait bien la France mais elle souhaitait surtout la paix… que cette guerre finisse vite… toute les souffrances, les horreurs. Elle raisonnait en gonzesse et c’était elle qui avait raison, bien sûr.
« J’ai Dieu pour rival. Lorsque je le rencontre, celui-là, il ne me procure que des emmerdes, il s’occupe, dirait-on, uniquement des histoires de fesses…
« Il avait peut-être le pressentiment de sa mort. Ce qu’on dit après. En tout cas, lui, il s’était conduit d’une façon quasi suicidaire… on appelle ça en héros.
« C’est le malentendu entre nous. Entre tous d’ailleurs, partout. On croit se comprendre et il suffit d’une petite cagade, un incident de rien du tout pour s’apercevoir qu’on bafouillait chacun pour soi dans les nuages.
Je l’ai larguée, la tendre Odette, avec des mots durs, de ces petites cruautés qui vous viennent à la bouche brusquement… tout à fait acérés, sans doute parce qu’on se les aiguisait inconsciemment dans son cœur depuis quelques temps.
« Par la suite, bien sûr, je m’en suis gavé des auteurs et pas des moindres pendant mes stations prolongées dans les prisons et les hostos de la République… j’ai voulu connaître ça aussi, les émotions littéraires.
« Curieux, ses larmes, son chagrin, son abandon, l’effet premier que ça m’a fait, avant les remords et la pitié… une bandaison qui m’a pris… une trique irrésistible, féroce, insolente. »
« Ce qui me surprenait le plus chez Bertrand, ce besoin d’avoir la foi… Il avait largué Dieu et la sainte mère l’Eglise, mais il tournait autour des mêmes choses en se rapprochant des communistes.
« Justement ce qui la chiffonnait, elle me respirait déjà parmi une espèce bien difficile à engager dans la lutte… marginal, on dirait aujourd’hui… lumpenprolétariat… anarcho je ne sais quoi… pragmatique sans foi ni loi. Des gens précisément que le charmant Léon Trotski avait liquidés en Russie pendant la grande révolution d’octobre. Par la suite, j’apprendrai toutes ces mignardises durant mes longues soirées de lecture aux sans et aux cabanes. L’essentiel pour moi à ce moment-là, c’était le cul de Jacqueline, ses belles petites fesses dans mes mains palpeuses. »
« Ca me paraît, ces fameux problèmes graves, les inquiétudes métaphysiques aiguës, un peu en rapport avec la façon dont on bande.
« Ca commençait à faire des ravages cette maladie… tous ces petits bourgeois tourangeaux, picards, bourguignons destinés à l’épicerie ou à la basoche et qui se figurent être des personnages de tragédie… des juifs persécutés d’Europe orientale, des traqués de toutes les polices, rescapés de pogrom… des âmes en délire ! Lorsqu’ils deviennent auteurs, artiste, ils continuent à faire Kafka dans leurs culottes. »
« Je rabâche à longueur de livres. On ne fait que ça… les vieux radotent et les jeunes déconnent. »
« Mademoiselle, n’ayez pas peur… je sors de chez les flics, c’est pour ça que je suis sale et mal rasé, mais je suis innocent. Laissez moi une petite chance. Dès que je serai rasé, tout propre… on peut se revoir… donnez-moi un rendez-vous… je n’ai envie que de vous être agréable… C’est d’ailleurs dans la vie tout ce que je sais faire… »
Après le café du pauvre et La cerise, j’ai lu Les combattants du petit bonheur et Les Matadors (dont le titre initial était Bleubite). J’aime bien les titres d’Alphonse Boudard. Puis, dix ans plus tard, en lisant le livre de Christophe Bourseiller, Vie et mort de Guy Debord, j’ai appris que l’auteur du café du pauvre envoyait régulièrement ses livres à celui de La société du spectacle. Etonnant, non ? Finalement, pas tant que ça.