Sexualité : les doutes masculins

par hommelibre
lundi 15 août 2011

Etrangeté du décalage entre l’idée que l’on se fait des choses et des gens, et leur réalité. Les hommes, par exemple. On les imagine volontiers forts en toute situation, assurant, performants, sûr d’eux. Bref, des hommes comme on les a supposément éduqués, et comme on les attend ou on les rêves.

Un mélange de chevalier, de bûcheron, d’explorateur, de poète, de guerrier quand il le faut, de père attentif, de pourvoyeur. On lui demande d’être doux et fort, puissant et humble, audacieux et réfléchi. Enfin un mélange de qualités, des associations, qui sont souvent contradictoires.

Les hommes savent-ils, peuvent-il gérer consciemment cette multiplicité, cette complexité ? S’ils sont trop éduqués à être forts et à tenir tête, ou si c’est leur caractère, la complexité est moins bien vécue car elle suppose des nuances que la force pure n’intègre pas. Un homme pas trop fort, pas trop conquérant, assumant aussi ses faiblesses, peut plus facilement prendre en compte des propres contradictions et, partant, sa complexité.

La sexualité masculine est justement un étrange mélange de puissance et d’incertitude. Les garçons adolescent se racontent entre eux des histoire sur les performances de tel ou tel, ou sur le désir féminin, et rien de cela n’aide le garçon à prendre confiance en lui. Il se demande s’il assurera, si son pénis est correct en taille, s’il peut donner du plaisir. Qu’on le veuille ou non le garçon porte en lui la notion de performance et le besoin de s’assurer que l’autre aura du plaisir (ce qui gagne aussi l’univers féminin). Ses doutes sont en général à la mesure de son désir.

C’est dire !...

On peut penser que ce n’est pas important. La femme peut ne pas demander cette performance : cela reste prégnant dans l’esprit de l’homme. J’ai tenté de rendre ce questionnement masculin dans ce passage, ainsi que la restitution de sa force au désir quand il est attendu et souhaité par l'autre :



" Ce sont d’abord quelques boules d’eau qui soulèvent une couronne de sable aussi large que la paume. Le Colorado est une ancienne carrière d’ocre, face au village de Rustrel. Falaises jaunes et blanches, collines rouges, une plaine beige, et des arbres le long d’un ruisseau. Un paysage décalé dans cette Provence des hauteurs. Le plateau du Vaucluse est plus habitué au sec épeautre et aux cystes transpirants qu’à se prendre pour un américain. Les plic ploc lourds des grosses gouttes déchirent les feuilles. Elle dessinent au sol des plaques foncées. Je montre à Elsa des cratères formés dans le sable. Des dizaines de cônes en creux qui indiquent la présence d’une colonie de fourmilions. Une odeur de terre, d’herbes et de racines sauvages se répand dans l’air. Le vent a faibli. Le ciel est si sombre que la lumière semble venir du sol. La pluie s’arrête mais au loin, derrière une crête, des traînées grises approchent déjà. Une spirale tourbillonnante soulève la poussière au milieu de la plaine ; hésitante elle s’effiloche, danse, monte, se courbe et s’allonge. Elsa frissonne.
— Tu as peur ?
— Non.
De quoi aurions-nous peur ? Nous sommes prêts. Nos corps se rapprochent lentement. C’est un vertige. Le contact est comme la foudre. Elsa déboutonne ma chemise et ouvre la boucle de ma ceinture. Je caresse ses épaules. Les bretelles de sa robe glissent, la robe descend, tombe a ses pieds. Bientôt nous sommes nus. Il n’y a plus de résistance. Un feu tendre serpente entre ses seins et mon ventre, et l’eau brûlante qui va de mes lèvres à son cou est déjà presque une fièvre. Ici commence la maladie douce. La maladie d’amour. Ici, dans ces collines dansantes, un pont de chair est bâti.
Je me soude à sa peau. Un double sentiment prend forme. Celui du commando porteur d’une mission : aller au-delà de moi. Dépasser mes craintes. Je ne suis jamais sûrs d’être à la hauteur. Comment assumer ma différence ? Car c’est bien là, dans mon pénis, que réside ce qui me différencie le plus de la femme. Là où je ne ressemble qu’à moi-même. Je crains d’être évalué sur mes performances sexuelles. Affectives aussi. Sur le plaisir complet que je donnerai ou comment je saurai être doux et fort à la fois. L’enjeu est considérable. D’où vient cette mise en demeure de réussite que j’éprouve parfois au début d’une relation ? Cette crainte d’être jaugé et de l’échec ? Les attentes des femmes sont mystérieuses et complexes. Même avec de l’expérience je n’avance jamais en terrain conquis. Que devrais-je dire à Elsa ? Que je suis un prince quand la femme m’accueille en prince. Quand elle ouvre ses portes au chevalier. Ma recherche et mon plaisir son liés à mon anatomie. Je ne sait pas ce que signifie accueillir. C’est la femme qui me le montre. Moi je vais en avant, je frappe à la porte. Je suis accueilli. Les psychologies diffèrent tant les positions anatomiques sont asymétriques. La communion des corps ne s’atteint, quand elle s’atteint, qu’après la reconnaissance des mouvements différents. Cet acte si simple qu’est l’acte sexuel est comme une montagne à gravir. C’est anxiogène. Je regarde Elsa. Que comprendrait-elle de tout cela ? Je ne dis rien. Ce n’est pas le moment. Elle est devant moi, elle m’ouvre ses portes. Je peux encore reculer.
L’autre sentiment est d’entrer dans la plénitude. L’unité retrouvée. Le lieu en moi où la femme me désire et m’attend. L’abandon, enfin. J’oscille entre ces deux sentiments : la peur et le désir. La division et l’unité. J’avance, je n’avance pas. Je connais bien ce double mouvement : aller et revenir. Mon corps avance, mon ombre recule. Incorrigible fragilité qui m’a fait rencontrer la femme du train, elle-même si près et si loin. Les semblables s’attirent. Avec elle je n’ai pas eu le temps de guérir ma fragilité : elle est partie quand le port était en vue. Je suis resté là, oiseau tiré en plein vol. Ma fragilité a empiré. Rien n’est gagné. Moins que jamais.
Elsa est différente. Je ne lui vois pas ce mouvement de recul. Avec elle j’avance en terre inconnue, sans repères, sans mes oiseaux ricanants pour me rappeler mes doutes. J’avance seul face à cette terre nue du nom d’Elsa. Elsa qui m’a dit : « Paul, mon Paul » avec cet élan sensible dans la voix. Elsa et son aplomb léger. Etonnant mélange, association inhabituelle : l’aplomb n’est pas léger habituellement. Chez elle il l’est. Nous avons un point commun : le goût du paradoxe et des associations atypiques. Ne ressembler qu’à soi. Inventer nos chemins.
— Et toi, tu as peur ?
— Sent-elle mes doutes ? Ou parle-t-elle de la petite tornade qui nous frôle et coiffe ses cheveux comme des brindilles enchevêtrées ?
— Peur de quoi ?
— Je ne sais pas.
Elle me regarde et rit ! Décontenancé je ris avec elle. Sans savoir qui fait le premier pas nous dansons une ronde face à face, traçant un cercle d’or et de cuivre dans les couleurs du sable. Nos pieds sont des ailes. La tornade, striée de rouge, emporte des feuilles, se rapproche, glisse entre nos regards, s’éloigne, longe la falaise et revient sur nous. Nos corps se rapprochent dans le tourbillon, se déplacent avec lui comme des enfants qui jouent. Mais plus rapide il glisse vers l’autre côté de la plaine. Alors nos mains se saisissent, nos lèvres, nos bras, nous tournons et nos corps s’aspirent.
Un coup de vent tord les arbres. La pluie revient brusquement. La traînée grise est à la crête et avance à la vitesse d’un cheval au galop, cache la falaise, les gouttes sont une averse, l’averse un flot. Pluie chaude et si épaisse que des ruisseaux coulent déjà autour de nos pieds. Un coup de tonnerre craque, je saute, Elsa crie.
— Tu as peur ?
— Non ! Et toi ?
— Non !
Peur de rien ! La force du désir emporte la peur, emporte mes oiseaux ricanants. La barrière des mots cède. Le désir est comme cette eau puissante, violente, qui tombe du ciel et nous lave, nous lave de tous ces jours, de Lone, de la cellule à la gendarmerie, du feu. C’est une libération. Nos poitrines gonflent, nous nous enroulons et glissons au sol. La violence des éléments se déchaîne et le désir lui répond. Mon corps dit : Je te veux ! — son regard dit : Viens !
Alors, lentement, sous les trombes d’eau chaude, dans les éclairs et le tonnerre, millimètre par millimètre j’abolis la distance. Je franchis sa porte. Si lentement que c’est presque immobile, avant que de prendre envol, de m’animer, de devenir le vent, la pluie et la tempête."



Extrait de "Le Diable en été"


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