Boire l’apéro !

par C’est Nabum
dimanche 17 septembre 2017

Rituel païen.

Les belles soirées de printemps puis les vacances furent une mise en bouche idéale, un entraînement parfait pour ce merveilleux exercice collectif. Il convient donc de ne pas perdre la main ni le gosier lors des fins de semaines automnales qui deviennent désormais autant de prétextes à lancer à la cantonade, au voisinage ou aux amis cette magnifique phrase qui ouvre les portes de tous les excès : « Vous passerez bien boire l'apéritif ! »

Nul ne peut présager des conséquences de l'invite. Parfois, la cérémonie tourne court, les hôtes demeurent étrangement calmes, se limitent à un verre prétextant à juste titre une prise de volant, un départ matutinal, une semaine chargée qui a laissé de vilaines traces. D'autres fois, sans que l'on s'en rende vraiment compte, l'affaire tourne à la bacchanale. Plus rien n'arrête les buveurs qui perdent alors tout contrôle d'eux-mêmes. Entre ces deux extrêmes, il y a une grande variété de situations diverses (et non d’ivresse) et variées du fameux apéritif dînatoire jusqu'au roboratif : « Vous resterez bien manger les restes avec nous ! »

Il nous appartient d'examiner à la loupe ou à défaut à la louche ce rituel qui se pense Gaulois. Profitons encore de cette liberté tant qu'il est encore autorisé de boire quelques verres entre amis. Les temps sont durs et nos législateurs ont la fâcheuse tendance de vouloir s'immiscer dans nos pratiques quotidiennes, histoire de garder le contrôle sur tous nos faits et gestes. Une nouvelle prohibition n’est pas impossible !

Tout commence par les préparatifs. Voilà une lapalissade qui ne préjuge rien de bon sur ce que nous allons boire. Par précaution plus que par goût, la plupart des fidèles se tournent vers des amuse-gueules tout prêts. C'est le grand n'importe quoi de la calorie, du sel et du manque de saveur. Cacahuètes, pistaches, noix de cajou, chips et affreuses saucisses de Francfort trônent sur la table pour le plus grand désespoir de l'esthète. Il y a tellement mieux à proposer à notre insatiable gourmandise picoreuse.

Le crudivore aime à marier les légumes entre couleur et saveur. Le concombre n'avance pas masqué mais conserve sa peau pour agrémenter l'assiette et la digestion. La carotte se prête au jeu des formes qui se tiennent : du bâtonnet à la rondelle, de la fleur à la roue dentée, le radis se conjugue lui aussi de toutes ses variétés, le chou-fleur apporte un peu de poésie, le céleri s’accroche aux branches pour s’habiller de quelques douceurs. Le diététicien attentif ne trouve plus cette fois à redire à ces préliminaires.

L'éternel Gaulois ne peut se satisfaire de cette entame de raison. Il se précipite sur la cochonnaille comme la vérole sur le clergé. La saucisse sèche, l'andouille de Vire, le jambon de Bayonne sont les indispensables de cette étal de charcutier. Le cholestérol rôde sournois, au coin de la planche à découper ! Les régionalistes aiment à apporter le grain de terroir, le foie gras y joue le rôle titre mais rien n'échappe à la diversité de nos provinces.

La cuisinière ou le maître queux se mêlent aussi de la chose. La pâte feuilletée se joue de toutes les chausse-trappes pour agrémenter tout ce qui peut traîner en réserve. Du crottin de Chavignol à la sucrine du Berry, des fromages de notre France aux produits de la mer, il est possible de passer au four l'ensemble de la production nationale de qualité.

La table ploie sous les possibles, il faut néanmoins trouver une place pour les prétextes de la fête. Ici, point de produits spiritueux. Seul le vin a droit de cité. Tricolore, il réveille la fibre patriotique de celui qui a depuis toujours offert son foie à la viticulture française. Blanc ou Rouge, avec ou sans bulles, sec ou doux, nature ou cuit, fermenté d'épines noires, d'oranges amères, de noix vertes ou de feuilles de pêchers le vin est au centre de la table en majesté. Seul le rosé qui ne montre pas son pedigree officiel est proscrit depuis qu’il a basculé dans le camp des produits frelatés.

La table tolère éventuellement quelques crèmes de cassis ou de mûres, de framboises ou de safran pour aller sur des chemins de traverses. Mais le « naturel » est la plus belle des manières à déguiser le Nectar des Dieux que nous honorerons avec dévotion tout au long de la soirée. Quelques verres, bus nécessairement avec modération et sa camarade Parcimonie vont libérer la parole et colorer les joues. À la vôtre !

Épicuriennement vôtre.

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