Bouchon
par C’est Nabum
jeudi 4 août 2016
La modération en moins …
Bison futé boit la coupe jusqu’à la lie. Malgré son conseil de différer le départ, nous voilà englués dans un bouchon dominical. Le temps s’étire et bien que nous ne nous rendions pas à Liège, nous ne sommes pas près d’atteindre notre but. Il faut se faire une raison, aller à la queue leu-leu sans espoir de sortir de la longue file. L'autoroute c’est un piège sans nom, une aberration que nous allons bientôt quitter si tout se passe comme prévu.
En attendant, il faut se résoudre à la patience tout en s’indignant d’un service falsifié. Après tout, nous payons pour rouler et c’est dans la farine que nous sommes menés en bateau par une société incapable de rendre le service qu’elle vend fort cher. Le consommateur serait en droit d’attendre un rabais quand le contrat n’est pas rempli sauf sur le réseau autoroutier où des bandits de grands chemins nous détroussent sans vergogne avec l’assentiment de ceux qui nous gouvernent.
Avez-vous déjà vu les portes latérales s’ouvrir quand vous êtes pris au piège d’un accident ou d’un gros blocage ? Que nenni. Le client est un otage qu’il convient de ponctionner sans merci. Pire même, si jamais vous avez une panne, qu’un camion vienne chercher votre véhicule, non seulement vous allez payer au prix fort le désagrément mais en prime, il ne faudra pas oublier de cracher au bassinet en honorant le montant du péage. L’indignité élevée en principe de fonctionnement.
C’est mesquin, c’est misérable, c’est déplorable ! Aucun geste commercial chez ces grippe-sous du bitume. Non seulement, ils ont bénéficié honteusement de la bienveillante complicité de nos élus pour acquérir à peu de frais un réseau construit grâce au fruit de nos impôts, mais en plus, ils nient les lois du commerce et du droit du consommateur. C’est à hurler d’indignation.
Nous n’avançons pas et j’écris ma haine d’un système que j’évite le plus souvent d’emprunter. Les mots ont parfois un sens assez curieux. C’est donc moi qui emprunte ce qu’on m’a volé sans honte, sans contrepartie. Quel curieux renversement de sens ! Et ce bouchon qui s’interpose devant ma soif de justice. N’est-il pas, lui aussi, paradoxe et espièglerie langagière ?
Nous allons pousser le bouchon plus loin. Tous les usagers d’un service qui ne se réalise pas selon les prévisions et les promesses fallacieuses, vont réclamer une ristourne, un pourboire afin de compenser le manque à rouler provoqué par ces maudits bouchons. La modération du racket s’impose quand le service nous condamne à la station immobile. Ce ne serait que justice !
Un magicien a fait sauter le bouchon. Nous roulons au compte-gouttes mais nous roulons quand même. Une fois la file de droite, l’autre ensuite. Un mince filet de voitures qui se dirigent ainsi vers la délivrance et la côte lointaine. Nous ne resterons pas dans cette prison : à la première occasion, nous prendrons la poudre d’escampette, la sortie de ce piège. C’est chaque fois la même chose : il faut payer pour recouvrer la liberté ; c’est ce qu’on doit appeler une libération sous caution.
D’autres n’ont pas cette chance. Les aires sont saturées par les nouveaux esclaves de notre si belle société. Camionneurs étrangers, payés à coup de lance-pierre, ils sont coincés là pour toute la journée dans l’indifférence des usagers que nous sommes. Ces hommes sont réduits à cet état pour satisfaire notre désir de biens de consommation, pour nous livrer sans en payer le véritable prix, le monde entier à nos portes. Les esclaves modernes d’un monde sans morale ni empathie ; pas un regard pour eux, j’ai mal de tant d’indifférence
Ils sont là, englués eux aussi dans ce bouchon imaginaire. Ils tuent le temps, vivent une parenthèse indigne, une journée scotchée à leur camion. Ils ne peuvent profiter des bienfaits de notre civilisation : la station-service propose des prix prohibitifs à qui ne gagne qu’une bouchée de pain. Les bénéficiaires de leur sacrifice passent sans un regard ; c’est le prix à payer pour ce confort illusoire, l’existence de ces forçats de la route est la contrepartie de nos appétits consuméristes.
J’ai honte ! Je dois bien être le seul. Roulez braves gens. Tout va bien dans le meilleur des mondes. Le bouchon s’est résorbé, un autre se reformera un peu plus loin. Le chemin des vacances est un calvaire mais rassurez-vous, il n’existe pas pour ces pauvres camionneurs, travailleurs déplacés et mobiles qui n’auront jamais le bonheur d’aller se vautrer sur vos plages balnéaires. L'individualisme se moque des exclus de la serviette ; c’est ainsi qu’on peut vivre heureux : il suffit de fermer les yeux, de se couvrir la tête de sable tout en faisant la chasse aux pokémons ..
Bisonfutement sien.