Lézard de Bédriaga
par C’est Nabum
samedi 18 juin 2022
Son droit de réponse
Ne pensez pas que je lézarde et encore moins que je sois le responsable des fissures que vous percevez si vous venez jusqu'à toutes ces ruines qui parsèment mon domaine. Si je me la coule douce, passant le plus clair de mon temps à jouir sur les rochers de granit d'un soleil qui brille ici sans compter, je ne mérite pourtant pas la douteuse réputation que certains continentaux accolent à nous autres, les insulaires.
Si je me prélasse ainsi c'est que ma nature m'impose de faire le plein de chaleur pour réchauffer un sang que je garde froid. Le grand créateur, m'ayant octroyé ce joli coin de maquis, avait eu dans son immense sagesse, la prescience que j'aurai à y côtoyer des bandits d'honneur, des fugitifs et de drôles de compagnons, chauds du bonnet et de la gâchette. Pour m'en préserver, j'ai l'esprit grégaire et donc le sens de la tribu.
C'est ainsi que j'ai appris à me fondre dans le décor sans faire d'histoire, cherchant le plus possible à passer inaperçu afin que nul ne vienne me marcher sur la queue. Remarquez bien que la mésaventure n'aurait rien de catastrophique, je sais me régénérer, réparer vos outrages. Une compétence dont je ne suis pas peu fier qui fait bien des envieux parmi vous.
Si je suis un saurien, n'allez pas faire confusion en me traitant de vaurien. Je tiens à la nuance tout en revendiquant toute ma place. J'ai d'ailleurs droit à une description dans Wikipédia, ce qui atteste de ma respectabilité. Quand on vit dans le maquis, ce petit détail n'est pas anodin. Je vous livre donc ce qu'on dit de moi : « Le Lézard de Bédriaga a l'air plat et possède une morphologie longue et élancée. Il a le nez pointu et des membres très robustes avec lesquels il grimpe très facilement. Ses écailles sont lisses (non carénées) et collées au corps. La queue est jusqu'à deux fois plus longue que le corps. Il se reconnaît facilement à sa tête effilée et son museau pointu. »
J'avoue qu'à la lecture de ce portrait, l'envie me prend de me saisir du fusil de l'un de mes voisins. « Avoir l'air plat », voilà bien une appréciation qui me ferait monter sur mes grands chevaux. Comment peut-on dire pareille baliverne alors que je vis dans un décor grandiose qui ne manque jamais de relief ; il y des balles qui devraient se perdre sur la toile …
Ma morphologie car c'est ainsi que ces prétentieux qualifient mon allure générale, ma physionomie, mon physique, serait d'après eux, longue et élancée. Sur la longueur, ma queue s'honore de me donner une telle importance et je concède cette appréciation flatteuse mais que diable vient faire cet élancé qui me donne des fourmis dans les guiboles et l'envie d'en découdre.
Voilà qu'en prime, ces indélicats me collent un nez pointu. Fort heureusement, la lecture de Cyrano de Bergerac m'a permis de passer outre un tel manque de tact. Devant tous les caps, les baies et les péninsules merveilleuses que j'admire à loisir, je peux prétendre aisément à ces mauvaises gens que je ne me mouche pas d'un appendice quelconque.
Que mes membres soient robustes dans le paysage où j'évolue ne mérite certes pas qu'on en fasse mention ainsi. Qui fréquente le maquis, son relief n'est pas un pied plat à la cuisse légère. Point n'est besoin de le signaler ainsi. Nous les insulaires de l'intérieur, humains ou bien animaux, avons le pied solide, je peux vous le garantir.
D'après ce portrait, mes écailles ne seraient pas carénées. Appréciation de béotien qui n'a jamais cherché à m'attraper. J'ai évalué mon CX en soufflerie et je peux vous certifier que je n'ai rien à envier aux concurrents qui brillent lors du rallye de Corse, la plus belle course automobile au monde. Alors va pour les écailles collées au corps et lisses de surcroit, mais que cet individu retire son insulte placée entre parenthèses.
Qu'il se rattrape en exagérant considérablement la taille de ma queue atteste certainement d'un traumatisme chez cette personne, une frustration ou je ne sais quel complexe. Il se peut que cette remarque me fasse venir des curieux à la recherche de cette spécificité en un tourisme spécieux que je condamne.
En conclusion, celui qui me prétend pas caréné, résume son propos sur mon apparence en reprenant les adjectifs effilé et pointu. J’espère que je croiserai un jour ce rédacteur désobligeant et me réjouis d'avoir trouvé un avocat, continental certes, mais qui a bien voulu prendre ma défense et me servir de porte-parole à visage découvert. Je tiens à remercier ici ce bonimenteur d'ailleurs et lui propose une ceinture en peau de mes congénères pour remplacer celle qu'il mettait sur scène, qu'il a perdu en se rendant à bicyclette à un spectacle.
À contre-lecture.