N’oubliez pas vos papiers

par C’est Nabum
lundi 17 août 2015

Comment ne pas bronzer idiot !

Tourisme industriel !

En ce mercredi matin, les touristes se présentant devant l'Office qui leur est dévolu, habillés d'un pantalon, portant des chaussures fermés, faisaient tache dans la cité balnéaire. Pareils signes de reconnaissance indiquaient à tous qu'ils étaient les nouveaux aventuriers du jour : ceux qui allaient sacrifier une demi-journée de vacances pour visiter la papeterie locale, célèbre pour ses rejets mousseux dans l'océan et le doux parfum dont elle gratifie la bonne ville de M....

Curieux de nature et toujours à la recherche d'un sujet susceptible de vous distraire ou de vous édifier, je m'étais inscrit pour en savoir plus sur ce qui pouvait se tramer derrière les énormes tas de sciures qui dissimulent en partie ce colosse industriel. Comme tout un chacun, j'avais pris mes papiers, conditions sine qua non pour se rendre au cœur de ce monstre fumant.

Un car de tourisme attendait la cinquantaine d'aventuriers du petit matin. Le départ était programmé à 9 h 30, il ne fallait pas arriver en retard car à 9 H 32, la troupe silencieuse s'en allait faire le plein de culture et d'effluves. Un public diversifié : de grands adolescents avec leurs parents, beaucoup d'adultes à la fleur de l'âge, quelques jeunes gens à l'allure fort sage et bien peu de personnes âgées ; je n'avais pas envisagé que cette visite puisse toucher une telle clientèle !

Le car mit quelques minutes pour parvenir dans le bourg de la cité, là où se dresse, menaçante et inquiétante, la terrible papeterie. Source de nuisances pour les uns, symbole de prospérité pour les autres, elle ne laisse pas indifférent et ne manque pas d'intriguer tous ceux qui se rendent un jour à M... . Nous allions enfin savoir !

Mais avant, il fallait montrer patte blanche. La sortie a beau être programmée tous les mercredis durant la saison, le gardien doit attendre le feu vert des autorités compétentes avant d'ouvrir la barrière ; de longues minutes d'impatience devant cette guitoune qui marque l'entrée dans un monde aux contours incertains et aux règles différentes.

Dans le car, les conversations se font discrètes, chacun retient son souffle avant la plongée dans l'enfer industriel. Je ne pensais pas si bien dire ! Les premiers tours de roue (nous restons dans le car) vont nous plonger dans un univers de tuyauteries, de vapeur, d'engins disproportionnés et d'individus casqués et vêtus de jaune. Le bruit se fait souvent vacarme, entre explosions et chocs, fracas et vrombissements. Les ouvriers portent des protections contre le bruit.

Nous pénétrons au cœur de la zone d'écorçage les troncs. Rouleaux démesurés, vacarme assourdissant ; un monde de bruit et de vapeur ! L'eau est ici employée à chaque étape de la chaîne, liquide ou en vapeur : elle est étroitement liée au processus complexe de fabrication du papier. L'usine est donc grande consommatrice d'eau, gourmande à l'excès, elle puise dans la rivière voisine et rejette dans l'océan, un bouillon fumant et moussant qui rebute bien des vacanciers.

Nous sommes séparés en deux groupes. Un employé de la firme est chargé de rendre compréhensible le long processus chimique et mécanique qui permet de transformer un tronc en papier kraft : la spécialité de l'endroit. Malgré les efforts de nos deux vulgarisateurs, leurs voix ne couvrent pas les vociférations du monstre. Il faut tendre l'oreille et prendre ce qu'il est possible de saisir d'autant que le groupe est important.

Je perçois dans le brouhaha le message qu'il convient à tout prix de faire passer. Nous sommes là pour témoigner des efforts louables de la maison en matière de développement durable. Pour enfoncer le clou, nos deux représentants de commerce vantent les mérites de la future chaudière à biomasse en construction actuellement et sont plus évasifs sur les inévitables travers d'une telle entreprise. C'est la loi du genre ; nous devons nous plier au refrain de l'époque.

Il est pourtant question de fioul lourd, de chaux vive, de sodium, de soufre, de liqueurs blanches, vertes et noires. Les odeurs qui nous entourent ne sont pas innocentes : elles sont le prix à payer pour obtenir du papier ; il n'est pas besoin d'enrober le tout d'un discours lénifiant, nous ne sommes pas des naïfs.

Une fois le prêche concernant la miraculeuse chaudière passé, nous découvrons la complexité d'un processus long et mystérieux. Un schéma laisse à croire de manière théorique qu'une telle machinerie pourrait fonctionner en un double circuit fermé ou rien ne se perdrait et où tout serait réinjecté dans le processus de fabrication. Nous nous extasions devant cette merveille théorique ; nous sommes des visiteurs bienveillants.

L'univers que nous percevons n'est pas aussi radieux. L'atmosphère n'est pas vraiment respirable, les oreilles nous sifflent, les employés semblent en perpétuel qui-vive. Dans cette fourmilière humaine, quelques indices laissent supposer que tout n'est pas aussi rose qu'on veut bien nous le dire : des baraquements reçoivent les ouvriers d'autres entreprises, chargés de construire la désormais célèbre chaudière à biomasse. Leurs conditions d'hébergement ne sont pas à la hauteur du discours : un point qu'il est préférable de passer sous silence.

Nous terminons par le bout de la chaîne, la vitrine en quelque sorte de la maison ; le papier. Cette fois, l'ambiance est plus supportable, même si le bruit demeure une constante qui n'échappe pas à l'observateur assourdi. Plus de fumées, plus de jets de vapeur, un univers aseptisé malgré les rotatives en perpétuel mouvement. Il y a quelque chose de magique dans ce vaste ensemble.

Nous repartons vivre le reste de nos vacances avec le message à faire passer à nos voisins de plage : que les odeurs de la papeterie constituent le prix à payer à l'industrie qui fait vivre la région, que tous les efforts ont été consentis pour atténuer autant que possible cette nuisance, somme toute supportable , et que, par ailleurs, la société propriétaire de l'usine a un réel souci de développement durable. Voilà, j'ai rempli ma mission mais, je ne sais pourquoi, je ne parviens pas tout à fait à adhérer au propos.

Durablement leur.


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