Rap anduzien

par alinea
jeudi 1er août 2013

L'orage a essoré la chaleur moite et fatigante des derniers jours, vaporisation matinale les pieds dans la rosée ; le soir une brise rend possible une sortie à 19 heures, 17 heures au soleil, la partie la plus chaude d'une journée de calories accumulées.

Les enfants des copains et les copains des enfants sont des musicos de l'été aux terrasses des cafés.

Allons-y.

Pourquoi pas.

Les deux copines s'en vont, toit ouvrant, vitres ouvertes, cheveux blancs dans le vent et Véronique Samson qui passe en boucle, à fond. On n'entend plus les cigales !

Marché nocturne au bourg, des bagnoles des bagnoles des bagnoles. Garons-nous là ! T'es une looser toi, avançons voir ! Tu n'aimes pas marcher ?

Elles voient ; les touristes lymphatiques bouchonnent pour un rien, elles s'engagent dans un parking en cul-de-sac, s'en retournent, sillonnent les ruelles étroites encombrées de piétons, s'échappent, laissent la priorité à celui qui prendra devant elles la place libérée à l'instant. Enfin se garent.

Des files nonchalantes de grands blonds presque obèses s'agglutinent au goulet des ruelles où les chalands charmants exposent des tissus chatoyants, des statuettes en stuc, des bibelots, des gadgets, des riens à bas prix.

Tu as vu ? Il y a plein de gros culs ! T'exagères : Non ! regarde. C'est le peuple. Ah ? Ils sont pas forcés de bouffer n'importe quoi. Bien d'accord ! Une voiture les suit, au pas : si ça se trouve ils disent en nous voyant : il y a plein de gros culs ! Rires.

Sur la place du Temple, les terrasses des cafés restaurants sont pleines à craquer ; des enfants accroupis jouent avec des chiens en liberté ; la nuit tombe, les lumières de la ville font décor de fées pour magnifier une foule sans bruits détaillés, même pas une rumeur et pas tout à fait le silence.

Une fois passée l'arche sur la ruelle qui conduit à la place des Halles, c'est le Mont St. Michel ; le moindre pas est une épreuve de lenteur imposée ; les boutiques sont ouvertes, même le bureau de tabac et la boulangerie ; sinon bijoux, joujoux, cailloux, mode, sacs robes maillots, impossible d'en lécher les vitrines.

On y marche mieux l'hiver, il y a plus d'air ; elles rient.

 

Il vaut mieux être de bonne humeur pour y circuler, s'y résigner : la soupe attendra. Quand le goulet s'élargit, elle jouent des coudes, marche de profil et filent comme des animaux prisonniers qui ont assez pris leur mal en patience et se précipitent dès que la porte de la cage s'entrouvre. Le marché là aussi, autour de la fontaine, la foule s'éclaircit qui se dispatche dans les ruelles adjacentes. Des câbles électriques passent à hauteur des fenêtres, si près qu'il paraît impossible d'en fermer les volets. Bric-à-brac du sud au modernisme bien désuet.

Mais où est donc ce resto où leur table est réservée et où les filles attendent en sirotant du rosé tiède ? Réflexe téléphone pour la mère, réflexe débrouille pour la copine looser qui trouve en premier.

Les musiciens font la balance ; le son tonitruant d'une mauvaise sono, de la caisse claire, du piano électrique de le basse et de la guitare ; Ouille !

On s'embrasse, on hurle pour se faire entendre approximativement, on s'installe, on commande un rosé frais, frais ? Pas assez de place dans les frigos !

Et puis on se tait, l'espace de la table étroite qui les sépare est déjà trop grand pour l'échange ; une cuisinière, deux serveuses pour tout ce populo ; on n'est pas près de manger !

Un homme s'est levé de nulle part et s'approche, Paul ! Un vieux copain pas vu depuis des années ; salut, ça va ? Non, dit-il en sourire. Marie et Sarah sont parties balader ; ils ont déjà mangé ; on peut échanger trois mots, pas plus ; c'est peu pour savoir ! Il s'assoit sur un banc, on lui tend un verre à eau qu'on remplit de vin qui perd tout son gris derrière le vert du verre.

On s'en fout ; c'est l'été.

Marie arrive ; elle était belle comme Cécilia et lui ressemblait fort ; elle a les cheveux rouges des femmes assez jeunes pour cacher les blancs et son visage s'est creusé, son nez en paraît allongé. On s'embrasse : tu me reconnais ? Quand même ! Sa fille émaciée est belle comme un camée, un peu décalée. L'aînée est la serveuse, belle comme la vie, un peu débordée.

On commande ; on attend ; poulet massala ; c'est froid, annonce-t-elle, mais c'est normal.

Deux brochettes de poulet aux hormones farineuses, une cloche de riz basmati et une feuille de salade pousses de soja.

Ah ! Je m'attendais à une cuisse ! C'est sec, il n'y a pas un peu de sauce de soja ? Non.

La crêpe aux champignons arrive un peu plus tard.

C'est pas grave, c'est l'été. On boit pour faire passer. Le rosé est tiède, de plus en plus.

L'homme et la femme s'adossent en serre-livres, le camée se penche et livre ses secrets à la mère attentive.

Le chanteur, un garçon blond et mince est assis sur un haut tabouret ; ses mains aux longs doigts fins martèlent un rythme binaire et soutenu ; on n'entend pas les paroles de ses textes ; putain de sono. Le bassiste est rasé , joue au gros dur, quand il vient dire bonsoir, il a les joues lisses comme un gosse, plus que son crâne ; le clavier est joli garçon et Titi caresse ses cymbales sans trop en faire. On n'a jamais le même regard quand on sait les coulisses !

Après une pause bière et des bises aux copains, ils passent en mode rap.

Il écrit de beaux textes dit Léa ; dommage qu'on les entende mal ! On tend l'oreille

Et l'amitié absente

qui me hante et me tente enroulée sous le lit un tapis en attente

Je suis fort de mon cœur j'ai compris mon malheur

Et toi l'absent je suis là je t'attends

Tu te tires en bagnole tu rigoles tu me snobes

J'apprends et je comprends - ma - vie...

Pourquoi pas du rap avec des instruments indiens, tablas, harmonium, flûte, sarangui.. ?

Pourquoi pas un imaginaire moins moi je ?

Pourquoi forcément des « v » « f » ? Des « j » à la Brigitte Fontaine ?

Sexe violence moi et cacabouilla... plus ou moins hard !

 

Un petit rap fleur bleue ou cucul -la- prâline ?

 

T'as d'beaux yeux

T'es ma fleur

J'donne ma peau

Pour ton cœur

Pose ta joue sur ma joue

Grappe de vigne généreuse

J'suis ton- ser - vi - teur

Tu es belle m'émerveille

Un soleil

Une étoile à midi

Je butine ton fard

Je plonge en ton regard

Je m'y noie, tu sommeilles

Mon beau ra-yon- de - miel..

 

Ça l'fait pas, si ?

 

La place est magnifique ; une porte semi voûtée en pierres roses taillées ouvre un passage bas entre deux bâtisses inoccupées ; le crépi lèpre et les volets estompent leur vert typique de la région ; c'est beau et plein de l'Histoire.

Trois petits bistrot, salon de thé et pseudo restaurant se partagent l'espace ; des chaises des tables partout. Quelques vieux déglingués, du quartier, nostalgiques de leur jeunesse, se trémoussent ; deux petites filles, presque des bébés balancent d'un pied sur l'autre, poupées silencieuses dans leur jolies robes ; une femme sans âge, en jean, maigre en bas, grosse en haut, le teint gris et l'air triste, trouve une chaise et écoute ; ses pieds remuent métriquement.

 

C'est la fête ; pourquoi est-ce si poignant ?

 

Un dessert ? Tu en veux toi ? Non merci, ça va comme ça ; moi je veux bien une crêpe... banane chocolat ! Banane chocolat ? Eh ben dis donc ! Elle partage en petits carrés que l'on pique avec les bois des brochettes oubliés.

Je connais des raps politiques, pas mal, et un sur Monsanto, très bien ; ah ! Non, je ne connais pas.

Une femme d'une autre époque, en robe noire, remue ses épaules éclairées d'un sourire, avec une élégance rare. C'est Paul qui la désigne du menton, admiratif et moqueur.

Des corps difformes aux regards absents passent devant la scène, tenus en main par des aides guère mieux loties. Ils avancent, ils traversent et ne s'arrêtent pas.

Des jeunes filles blondes au port altier font sauter en marchant leurs cheveux brillants sur le creux de leurs reins.

Soudain, laissant au pied de la chaise sac ouvert et portefeuille et carte bancaire sur la table, la conductrice prise de démangeaisons rejoint sa fille et danse aussi. Ils ont quitté le rap, passent en mode pop et chauffent l'assemblée.

Ça sent la fin ; bientôt une heure ; les musiciens fatiguent, pas facile ce métier, surtout quand on a des textes à proposer ; les vieilles copines s'en vont, bisous, signes de la main.

Sur la place des Halles, un peu plus loin, une femme chante Piaf ; un vieux musicien joue de la contrebasse ; vieux saltimbanques, aguerris qui se font des petits plans post gloire. Quand on est vieux, il faut manger aussi.

Tout est encore ouvert mais la foule est moins dense ; elles passent par une ruelle, un arrière de maisons, le charme est suffocant même avec les clims et sans les étendages à linge ; elles s'arrêtent un instant et visitent en pensée ce passé connu que dans les livres. Imaginaire terriblement sollicité.

Des chiens gentils et accoutumés rôdent ; les chalands fatiguent aussi et font leurs comptes mais le compte n'y est pas.

La nuit est belle, l'air est frais et le retour est silencieux de deux respirations volontaires pour contrer les vapeurs de l'alcool.

J'ai un vague mal de tête, ça doit être le chocolat. Le chocolat ? Le rosé, non ?

Elle roule prudemment.


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