Les caillouteux

par C’est Nabum
vendredi 26 août 2022

 

Dialogue ancestral avec le silex

 

À Meusnes existe un atelier-musée désormais presque unique au monde dans ce petit village du Berry au sud de la rivière Cher. Si vous empruntez la route qui relie Selles-sur-Cher à Saint-Aignan-sur Cher, vous découvrirez sur la place devant la mairie une maisonnette de laquelle résonnent de curieux coups. N'hésitez pas à franchir la porte. Vous serez surpris par le désordre sur le sol : des monceaux de pierres noires et blanches. Ici, des gens cassent les cailloux ...

Qui pense que ce n'est qu'un travail de forçat en sera pour ses frais. Deux à trois artisans, du matin au soir jouent aux hommes du Paléolithique, en cherchant le noyau et les secrets au cœur des silex. Armés d'un bois de cerf, ils font entorse à la tradition en frappant sur un chasse-lame afin de faire des éclats à longueur de journée.

Au bout du compte, et après bien des efforts, des déchets et des coups portés, des pierres à fusil sortent de cet atelier, ultime représentant de cette activité pour aller faire le coup de feu avec des armes anciennes dans les clubs de tir et chez les reconstitueurs. C'est tout un art que de tailler dans la pierre pour en sortir un petit élément de forme trapézoïdale avec un angle de 30 degrés pour la partie qui sera de mèche avec le chien.

Les pierres viennent de cette région du Berry où curieusement les vignerons et les œnologues éclairés prétendent que le vin blanc a goût à pierre à fusil. Ne cherchons pas la petite bête, acceptons l'affirmation tout en nous concentrant sur nos trois artistes de l'âge de pierre. Car si le fusil fait son apparition tardivement dans l'histoire de la meilleure manière d'éliminer son prochain, la pierre a de toute éternité été mise au service de l'inventivité humaine. (Merci Napoléon)

Nos trois amis, à l'exception du chasse-lames reproduisent à l’identique les gestes les plus archaïques de l'humanité. Les éclats surgissent comme par miracle de leurs mains expertes, là où ils les espéraient, de la forme attendue, devant des visiteurs totalement ébahis par tant d'adresse. Les explications arrivent, elles se veulent précises, détaillés, pleines d'humour et de savoir, le visiteur n'en demeure pas moins pantois, sans véritablement comprendre ce qui se passe sous ses yeux.

Soudain, au lieu d'écouter ses commentaires, je comprends, médusés, que l'homme parle aux cailloux, à ce bloc de silex avec lequel il entre en communion. Il cherche à décrypter sa structure interne, il le sollicite, lui réclame un peu d'indulgence afin qu'il se plie à ses désirs. Le plus surprenant étant, sans nul doute que la matière inerte, vieille de 90 millions d'années se plie à la volonté de cet homme.

Alors qu'il feint de nous expliquer, de nous donner à comprendre ce mystère qui va se matérialiser devant nous, il implore le silex de l'écouter, de faire tout son possible pour se rendre utile. Le minéral accepte le jeu, entre dans la danse de ces petits coups de bois de cerf qui vont le faire voler en éclat. De cet étrange dialogue, de cette parade amoureuse, le silex se donne à son compagnon. Celui-ci lui en tire les lames et des éclats si fins qu'ils en deviennent des joyaux.

C'est peu dire que nous sommes sous le charme, totalement subjugués par ce savoir-faire d'un autre temps, cette connaissance intime de la matière. Il y a bien plus que de magie dans ce geste qui relève d'une alchimie ancestrale, d'un mystère d'au-delà de la société avancée, technologique et totalement inhumaine. Tout au contraire, notre humanité se résume à ce dialogue entre l'homme et la pierre.

Il est ainsi aisé de comprendre qu'il faut de longues années d'apprentissage sur le tas de pierre du reste pour arriver à cette maîtrise incroyable. Le plus expérimenté arrive à produire deux cents pierres à fusil par jour tandis que son jeune camarade, avec une production de 120 pierres, progresse un peu plus chaque jour et qu'une jeune femme laisse entrevoir de merveilleuses promesses car cette moitié de l'humanité semble apprendre cette technique deux fois plus vite que les homologues masculins.

Que vous dire de mieux ? Les mots sont de bien pauvres compagnons pour rendre compte véritablement de ce qui se passe là. Le mieux est de vous rendre à votre tour dans ce modeste local de la pierre à fusil. Ce qui est exposé touchera votre curiosité pour peu que vous n'ayez pas subit, comme nombre de nos contemporains, l'ablation de cette composante essentielle à notre humanité.

L'essentiel sera ailleurs, comme bien souvent avec les artisans véritables. Vous vous contenterez de regarder travailler ces orfèvres du silex et surtout de les écouter vous transmettre l'amour de leur art ancestral. Vous sortirez alors de ce petit atelier musée avec la certitude que tout un pan de notre histoire humaine s'est déroulé devant vous.

Une question depuis me taraude que je n'avais pas songé à leur poser : « Comment les berrichons du XVI° siècle ont-ils fait pour retrouver des gens vieux de plus de cent mille ans ? Y aurait-il une permanence des gestes essentiels à la survie de l'espèce ? Je devine aisément qu'il n'y a aucune réponse à cette interrogation qui laisse planer une aura de mystère sur cette visite à jamais inoubliable au point qu'il me fallait la partager avec vous sans coup férir.

À contre-temps.


Lire l'article complet, et les commentaires