« Consultatif », « délibératif »… De Gaulle va vous balayer tout ça, et sans phrases ! (5)

par Michel J. Cuny
vendredi 4 juillet 2025

Poursuivons notre lecture des travaux que Frédéric Guelton a consacrés au Secrétariat général du Conseil supérieur de la Défense nationale, pour y cerner le rôle, entre 1931 et 1937, du commandant, puis lieutenant-colonel, Charles de Gaulle…

« Il est à noter que le Secrétariat général dispose, de par sa subordination directe au président du Conseil, d'un accès théorique à l'ensemble des informations émanant de tous les services de l'Etat. Il est également autorisé à utiliser les compétences d'organismes privés comme le Comité des Forges, le Comité des Houillères... ainsi que de personnalités du monde économique, industriel, autant que de besoin. » (page 3 du document cité précédemment.)

C’est ici qu’il faudrait évoquer la personne de Gaston Palewski… dont Charles de Gaulle aurait obtenu – selon Michel Debré – le ralliement à sa personne le 5 décembre 1934, c’est-à-dire approximativement à la moitié de son séjour au Secrétariat général, et sept mois seulement après la publication de son livre Vers l’armée de métier (5 mai 1934), ce qui est également l’année de l’acquisition – en viager avec, malheureusement, le décès rapide, dans sa baignoire, de la malheureuse propriétaire - du domaine de la… Boisserie…

Reprenons notre lecture du minutieux travail de Frédéric Guelton…
« Si le CSDN est l'enceinte dans laquelle sont en théorie conduites les réflexions sur l'avenir de la politique française de défense, il est également celle des affrontements, souvent feutrés et parfois violents, concernant l'organisation générale de la Défense nationale et la répartition du pouvoir – politique – et de l'autorité – technique – entre membres du Gouvernement et chefs militaires. Au CSDN, ces affrontements s'expriment sous la forme d'une question : faut-il ou non accorder aux militaires la voix délibérative qu'ils réclament en permanence en lieu et place de la voix consultative qui leur est attribuée par la loi ? » (Idem, page 3)

Voilà à quoi s’appliquera la proposition massive faite par Charles de Gaulle dans les toutes dernières pages de Vers l’armée de métier… Proposition tellement massive qu’André Pironneau choisira de la présenter au milieu d’un long extrait qu’il publie dès le 2 mai 1934 dans L’Écho de Paris, trois jours avant la publication officielle du livre qui date, elle, du 5 mai 1934.

« Voix consultative » ou « voix délibérative », tout cela allait être balayé en un trait de plume ou par un coup de sabre, et la République aussi si possible… et pour le même prix… Nous y reviendrons en temps utile.

Pour bien comprendre en quoi la doctrine du « chef de guerre » de ce De Gaulle des années trente venait s’aligner sur les pratiques alors en cours de Mussolini en Italie (31 octobre 1922 ), et d’Hitler en Allemagne (30 janvier 1933), il ne sera pas inutile de reprendre l’analyse fournie par Frédéric Guelton de la timidité avec laquelle les grands chefs militaires français avaient essayé d’obtenir des responsables civils du plus haut niveau, la transformation de leur voix simplement « consultative » en une voix « délibérative ». Eux ne pensaient pas du tout à la « dictature militaire » qui serait la revendication principale de Charles de Gaulle dans Vers l’armée de métier.

Puisque ce livre vient tout juste d’être réédité (Perrin, 2025), chacun et chacune peuvent se le procurer et s’y plonger… en gardant les yeux et l’intelligence bien ouverts, si possible.

Dans l’immédiat, reprenons le texte de Frédéric Guelton :
« Le plus ardent défenseur de l'accès des chefs militaires à la « voix délibérative » est le général Weygand, qui occupe le poste le plus élevé de la hiérarchie militaire française, c'est-à-dire celui de vice-président du Conseil supérieur de la guerre. S'adressant à Daladier sur cette question en février 1933, il déclare, d'après le compte rendu qu'il en dresse dans son journal personnel :
« CSDN : Je demande qu'il soit réduit et que les soldats y aient droit de vote. Il m'oppose l'autorité supérieure du Gouvernement. Je réponds qu'elle existe toujours, le CSDN ne donnant que des avis, et que la chose ridicule aujourd'hui et surtout malhonnête est que le Conseil des ministres (en fait le CSDN n'est pas autre chose du point de vue des votes) se donne des avis à lui-même. Il le reconnaît.  » (Idem, page 4)

Nous sommes donc en février 1933. Tous ces débats, Charles de Gaulle les suit de près. Il est très bien placé pour le faire. Mais rappelons que nous sommes là dans le « secret » des notes prises par Weygand, et amusons-nous un peu de la suite. Elle montre le peu de cas que le général faisait du président du Conseil, Édouard Daladier, mais aussi en quoi Weygand se range très tranquillement dans le cadre de la lutte des classes :
« Mais la vieille Cocotte a dit qu'on ne pouvait pas exclure maintenant des membres du Gouvernement du CSDN, car ils en font déjà partie et cela serait désobligeant et que des "techniciens" ne pourraient pas avoir de droit de vote ! J'estime beaucoup les techniciens, mais entre un ouvrier électricien et le Général qui aura la charge de commander des millions d'hommes à la frontière et devant les responsabilités duquel toutes les autres tomberont, il y a une certaine différence et le second peut être admis au vote dans le Conseil. En attendant la réforme, le CSDN n'est qu'une triste plaisanterie quand il s'agit d'y traiter des choses sérieuses. » (Idem, page 4)

Laissons le mot de la fin à Frédéric Guelton :
« En dépit de la force et de la régularité de ses offensives, voire de ses attaques qui durent jusqu'en janvier 1935, Weygand échoue. »

Et puis encore ceci :
« En définitive, il apparaît assez clairement que pendant les années trente, les militaires, chefs d'état-major des différentes armées et vice-présidents des différents conseils supérieurs, que sont Weygand, Durand-Viel, Hergault, Denain, estiment qu'ils doivent légitimement et légalement avoir accès au niveau politique de la décision en matière de défense nationale. Ce droit leur est refusé par un pouvoir politique qui, s'estimant seul responsable de la direction de la guerre – y compris dans sa phase pacifique de préparation –, les cantonne dans un rôle d'exécution technique. » (Idem, pages 4-5)

Rien qu’en passant, signalons que l’élimination de Jean Moulin par Charles de Gaulle en juin 1943 dépend, en partie, de cette même problématique des rapports entre le civil et le militaire.

Michel J. Cuny


Lire l'article complet, et les commentaires