Dans les griffes du Diable : la tragédie des sorcières de Salem

par Giuseppe di Bella di Santa Sofia
vendredi 4 juillet 2025

Durant l’hiver 1692, Salem Village, dans le Massachusetts, s’enfonce dans une fièvre glaçante. Dans les chaumières où crépitent des feux timides, des jeunes filles se tordent, hurlent, accusent leurs voisins ou leurs amis d’actes innommables. Les murmures du Diable s’élèvent, les cordes se tendent à Gallows Hill et une communauté pieuse bascule dans la terreur la plus totale. Comment une bourgade puritaine, tissée de foi et de rigueur, a-t-elle sombré dans une chasse aux sorcières d'une telle ampleur ? 

 

Le foyer de la peur : les origines d’une hystérie

Salem Village, en 1692, est un hameau austère, niché entre des champs boueux et des forêts sombres. Les puritains, exilés d’Angleterre pour leur foi rigide, vivent dans une tension constante : la crainte du péché, des Indiens wampanoags voisins et d’un Dieu vengeur. Les hivers rudes, les récoltes maigres et les querelles territoriales entre familles – les Putnam contre les Porter, notamment – fissurent la communauté. Dans ce climat, la maison du révérend Samuel Parris devient le théâtre d’un drame étrange. Sa fille, Betty, neuf ans, et sa nièce, Abigail Williams, onze ans, commencent à se convulser, à crier, à murmurer des paroles incohérentes. Bientôt, Ann Putnam Jr., douze ans, et Mercy Lewis, une servante orpheline, rejoignent ce délire. Le médecin William Griggs, démuni, déclare : "Le mal qui les frappe n’est pas naturel".

 

 

Les Records of the Salem Witch-Hunt révèlent une société au bord de l’implosion. Les rivalités économiques – les Putnam, fermiers prospères, contre les Towne, plus modestes – se mêlent à des différends religieux. Parris, un pasteur impopulaire, est critiqué pour son avidité, ayant exigé un salaire plus élevé que ses prédécesseurs. Une lettre de Thomas Putnam, datée de mars 1692, trahit l’angoisse collective : "Nos filles sont tourmentées par des forces invisibles, et le Malin agit parmi nous". Les adolescentes désignent Tituba, esclave caraïbe de Parris, Sarah Good, une mendiante errante, et Sarah Osborne, une veuve ayant scandalisé par un remariage hâtif. Tituba, sous la pression, avoue avoir signé un "livre du Diable", un témoignage extorqué rapporté dans les archives judiciaires.

Un détail peu connu, tiré des Essex County Court Records, montre que les accusations initiales visaient aussi des hommes, comme John Proctor, un tavernier prospère mais critique de Parris. Une anecdote, transmise par la tradition orale, suggère que les filles auraient pratiqué des jeux divinatoires – verser du blanc d’œuf dans l’eau pour lire l’avenir – avant leur "ensorcellement". Bien que douteuse, cette histoire reflète une société où la superstition et la foi s’entrelacent, transformant des gestes anodins en preuves de sorcellerie.

 

Les cordes de la justice : les procès de Salem

Au printemps 1692, la peur se mue en machine judiciaire. Une cour spéciale, la Court of Oyer and Terminer, est instaurée sous l’égide de William Stoughton, un magistrat rigoriste. La salle d’audience, très étroite, empeste la sueur. Les "preuves spectrales" – visions des accusés tourmentant leurs victimes sous forme d’esprits – deviennent la pierre angulaire des procès, une pratique controversée même à l’époque. Ann Putnam Jr. témoigne, dans une déposition du 25 mai 1692 : "J’ai vu l’ombre de Sarah Good m’étrangler dans mon lit, et son rire était celui du Diable". Ces récits, souvent incohérents, suffisent à condamner.

 

 

Les accusés, souvent des marginaux, sont broyés. Bridget Bishop, une veuve aux robes trop colorées pour la morale puritaine, est pendue le 10 juin 1692, criant : "Je ne suis pas une sorcière, que Dieu me juge !". Contrairement à l’Europe, où les bûchers symbolisaient une purification par le feu, Salem choisit la pendaison à Gallows Hill, un choix ancré dans la sobriété puritaine, comme le confirment les Records of the Salem Witch-Hunt. Giles Corey, un fermier de quatre-vingts ans, subit un sort plus cruel : refusant de plaider, il est écrasé sous des pierres, son agonie décrite dans les archives comme "un spectacle d’horreur". Les prisons, des cachots froids et infestés de vermine, aggravent le calvaire : Dorcas Good, une enfant de cinq ans, y est enchaînée, accusée d’avoir mordu une accusatrice par sorcellerie.

 

 

Un fait méconnu, tiré des Massachusetts Bay Colony Archives, révèle que des voix dissidentes s’élevèrent tôt. Robert Calef, un marchand de Boston, dénonça les procès dès juin 1692, écrivant à un ami : "Ces jugements sont une honte, fondés sur des chimères". Pourtant, la frénésie s’amplifie, alimentée par des rancunes personnelles. Les odeurs de cordes neuves, les cris des condamnés et le murmure des prières dans la foule marquent ces mois où Salem semble danser au bord de l’abîme.

 

L’extinction de la folie : la fin de l’hystérie

À l’automne 1692, la raison reprend timidement ses droits. Les accusations, désormais visant des figures respectées comme Rebecca Nurse, une matriarche pieuse, éveillent les soupçons. Le gouverneur William Phips, inquiet de l’ampleur des condamnations – 19 pendaisons et une exécution par écrasement – dissout la Court of Oyer and Terminer en octobre. Une lettre de Thomas Brattle, un marchand érudit, datée du 8 octobre 1692, fustige les procès : "Ces jugements reposent sur des visions et des rêves, non sur la vérité tangible. Nous nous égarons". Les communautés voisines, comme Ipswich, commencent à critiquer Salem, un détail rare consigné dans les Essex County Court Records : un pasteur d’Andover écrit que "la folie de Salem menace toute la colonie".

 

 

Les regrets suivent. En 1697, Samuel Sewall, juge lors des procès, confesse publiquement sa faute dans une église de Boston, un acte consigné dans les Massachusetts Historical Society Collections : "Je prends sur moi la honte de ces erreurs, implorant le pardon de Dieu". En 1706, Ann Putnam Jr. exprime des remords, écrivant : "J’ai causé un mal involontaire, croyant agir pour Dieu". En 1711, la colonie vote des compensations pour les familles, un aveu d’injustice. Les cachots, où des prisonniers comme Tituba ont croupi dans la paille moisie, sont vidés, mais le traumatisme persiste. Mary Herrick, une survivante, décrit des "nuits hantées par les visages des pendus". Une légende prétend que Gallows Hill resta stérile des décennies, comme maudit. Ce récit, bien qu’anecdotique, reflète la culpabilité d’une communauté. Les pendaisons, plutôt que les bûchers, marquent l’austérité puritaine, un choix qui distingue Salem des chasses européennes. La tragédie devient un miroir des excès de la peur, gravé dans la mémoire collective.

 

Les braises de l’énigme : explications et héritage

Pourquoi Salem s’est-elle embrasée ? La psychose collective, nourrie par une foi puritaine obsédée par le Diable, est une cause centrale. Les sermons de Cotton Mather, figure influente, attisent la paranoïa : "Le Malin rôde en Nouvelle-Angleterre, et nous devons l’affronter avec vigueur", note-t-il en 1692 . Les adolescentes, sous la pression des adultes, auraient amplifié leurs symptômes, peut-être par peur ou pour gagner du pouvoir dans une société qui les muselait. Un détail tiré des Salem Village Records montre que Mercy Lewis, une orpheline ayant fui les guerres indiennes, accusait avec une ferveur particulière, peut-être pour exorciser ses propres traumatismes.

Une hypothèse matérielle évoque l’ergot de seigle, un champignon hallucinogène pouvant contaminer les céréales. Les conditions humides de 1691, documentées dans les Massachusetts Bay Colony Archives, auraient favorisé sa propagation. Pourtant, aucun témoignage d’époque ne rapporte de symptômes généralisés, rendant cette théorie spéculative. Les tensions sociales – inégalités économiques, marginalisation des femmes comme Sarah Good, ostracisée pour sa pauvreté, et rivalités familiales – ont catalysé la crise. Un fait rarement cité, tiré des Essex County Court Records, montre que les accusations touchèrent aussi des hommes respectés, comme George Burroughs, un ancien pasteur exécuté pour ses critiques du puritanisme.

 

 

L’héritage de Salem est un avertissement intemporel. Les archives, minutieuses, révèlent une justice dévoyée par la peur. L’absence de bûchers, contrairement à l’Europe, reflète l’austérité puritaine, où la corde symbolisait une punition froide et méthodique. Aujourd’hui, Salem, avec ses maisons à colombages et ses musées, attire les curieux, mais les échos des cris des condamnés persistent. La tragédie rappelle que la vérité s’effrite face à la panique, une leçon gravée dans les pierres de Gallows Hill.

 


Lire l'article complet, et les commentaires