S’intéresser aux pauvres, est-ce de l’indécence ?
par George L. ZETER
mardi 3 juin 2025
C’est la question à se poser. Car souvent leurs soucis sont repoussés sous le tapis. En général, tout le monde s’en contre-fiche de ces « ayants des besoins urgents », qui souvent viennent d’ailleurs, de pays impossibles à situer sur une carte et pour embellir le tout, baragouinent notre langue dans un sabir indéfini, pièges pour linguistes distingués. Cependant, quelle poésie !
De ce pas, je vais vous conter à partir d’une pépite repérée sur le Net, ce qu’est d’être désargenté dans ce Paris de l’an 25, bien après Jésus-Christ. Ils/elles sont juste-juste question pognon et statut social, mais pas en savoirs, connaissances et capacité de rire du pire, de bricoler et de se démerder. Voici donc le documentaire cinq étoiles Restos du Cœur : « Appartement proche Paris, charme atypique », réalisé par Marion Angelosanto, elle-même habitante du lieu.
Pantin, ville de banlieue proche. Le talent vrai est de savoir donner le ton dès les premières images. D’une fenêtre, deux femmes regardent la cour intérieure de leur immeuble digne d’un bidonville de Calcutta. Un petit oiseau suicidaire court au milieu de nombreux rats. Ces rats, sont bien gras, jouent au jeu de la queuleuleu ce qui donne un ton plus léger au sujet. Ces rongeurs sont pourtant les vrais habitants de l’immeuble, car bien plus difficile à déloger que leurs « comparses » humains. Voilà, dès les premières minutes, le décor est posé, entre une étude sociale, humaniste et un film à sketches façon jacques Tati. Dès le départ, cette ambiance me rappelle le livre de Cavanna, Les Ritals et sa description du quartier italien de Nogent. En 1978, l’écrivain confiait en décrivant son quartier des années 30 : « les Ritals, ce sont aujourd’hui les bougnoules… Les seuls étrangers en nombre étaient les Italiens. » Un livre tout en gouaille, rires et d’entraides, teinté de chamailleries, comme en 2025 dans cet immeuble du quartier des quatre chemins au 32 avenue Jean Jaurès à Pantin.
L’instigatrice est Marion Angelosanto. Réalisatrice de ce documentaire, propriétaire d'un deux-pièces joliment rénové. C’est le quartier où ont vécu ses grands-parents immigrés italiens dans les années 50. Quatre ans après son installation, coup de massue. L’immeuble est frappé d’un arrêté de péril. Etre frappé d'un arrêté de péril cela veut dire qui présente un danger réel, notamment pour ses occupants. Ainsi, dans de telles situations, les propriétaires se verront obligés de réaliser des travaux afin d'obtenir la mainlevée de l'arrêté ou de quitter les lieux. Il y a des Fissures, de la corrosion, des moisissures, des fuites, des peintures toxiques, tout est de guingois... Le rapport de l'architecte conclut qu'il devra être envisagé un plan de redressement global de l'immeuble, portant aussi bien sur les campagnes de travaux que sur les habitudes de vie des occupants. Pour sauver l'immeuble, il faut refaire tout l'immeuble. Cout estimé ? Environ un million et demi d’euros… (Des normes très contraignantes, dans un marché immobilier en surchauffe, cherchez l’erreur.)
Les copropriétaires et locataires décident de donner un coup de propre pour prouver leur bonne volonté, avant de faire appel aux organismes d’aide à la réhabilitation. Peinture de la porte d'entrée et du hall, changement des boîtes aux lettres, réfection de la cour pour chasser les rats. Tout le monde se mobilise et se félicite du travail effectué, sous la houlette du nouveau syndic, une femme énergique et de caractère.
Je ne vais pas vous raconter le film, qui mérite d’être vu. Ce qu’il en ressort cinématographiquement, c’est qu’en 52 minutes, Marion Angelosanto raconte son histoire, mais aussi dénonce le mal-logement, les complexités administratives, la politique sociale défaillante et aussi, les dérives symptomatiques liées à notre époque et au quartier, avec les vendeurs de drogue, les squatteurs, la prostitution, le vandalisme et le chacun pour soi. D’ailleurs, un symbole de la course à l’échec : Rapidement le hall tout repeint et la porte d’entrée seront dégradés et tagués de nouveau… Et les rats de retour ?
Il faut le voir comme une tranche de vie avec ses difficultés et ses joies, telles : cette dame tunisienne qui vit là depuis vingt ans, qui a élevé ses quatre enfants dans 25 mètres carrés et qui parle avec nostalgie des bons moments. Une galerie de personnages attachants et réels : Sa voisine veuve, le monsieur du 5e escroqué par un marchand de sommeil, les ouvriers immigrés sans papiers qui n’hésitent pas à se relever les manches pour participer aux travaux, le pharmacien du rez-de-chaussée qui donne un coup de main financier. C’est une tour de Babel avec ses rigolades, ses prises de bec et une volonté de s’en sortir malgré les mauvais augures, tout ça emmené par une musique guillerette digne d’un film d’Umberto Benigni. Comme dit une voisine : « Dans cet immeuble, c'est la France en petit ».
Voilà, c’est une histoire de pauvres gens malmenés, dont tout le monde s’en bas les steaks. Éveillé l’attention sur un micro événement sociétal comparé à : par exemple la claque donné par Bribri dans les dents de son Manu mobilise tout le landerneau des RS, alors, cette tranche de vie dans un immeuble délabré et ses habitants tentant de le réhabiliter, de survivre… Pas de quoi casser la patte à un canard !
Presque un sujet qui tombe à plat comme un ch’veux sur la soupe. De l’indécence au bon goût quoi…
Georges ZETER/juin 2025
Ce documentaire « Appartement proche Paris, charme atypique » est diffusé sur Arte. Il est également disponible sur arte.tv
https://www.arte.tv/fr/videos/115519-007-A/pourquoi-se-loger-est-il-si-cher/
Lire sur Télérama l’interview de Marion Angelosanto.