Banlieues : l’éducation en question / N°50
par Eric la Blanche
jeudi 9 septembre 2010
Mon copain Mohammed a toujours été un peu jaloux de moi. J’ai toujours senti que son amitié n’était pas complètement désintéressée, qu’elle était mêlée d’envie, d’admiration et que nous n’étions pas sur un pied d’égalité. J’ai l’habitude de fasciner les gens, notamment les gens féminins, alors ça ne me gêne pas trop mais, avec les amis, c’est embêtant.
Momo enviait particulièrement ma capacité à dire tout l’alphabet en rotant à l’envers et aussi mon incroyable succès auprès des jeunes femmes saoules qui viennent de se faire quitter. Et puis surtout, ce qui le fascinait, c’était mon éducation.
« Tu vois, me disait-il, dans ma famille, en banlieue, mes parents ne m’ont jamais appris la moindre chose qui vaille. Ils étaient complètement largués, tournés vers le passé. Mon père est un raté, il n’a jamais réussi à dépasser sa culture et ses origines, il est toujours resté crispé sur ses histoires de traditions débiles. Et je ne te parle même pas de Fatima, ma sœur. Que veux-tu ? Ce sont de pauvres gens mal élevés, sans éducation, incapables de s’adapter à la modernité : mes parents sont des cons. »
Je ne connaissais pas les parents de Mohammed (je n’aime pas les pauvres) mais j’avais bien conscience, effectivement, qu’il n’avait pas bénéficié des mêmes chances que moi au départ. Afin que Mohammed sente bien que ses problèmes d’éducation n’était pas un tabou pour moi, je veillais à me moquer fréquemment de lui devant un public féminin en insistant bien sur ses capacités limitées à rendre une femme heureuse, c’est à dire sur la petite taille de son - comment vous dire ? - la petite taille de son pouvoir d’achat car enfin, Momo n’avait jamais réussi à occuper que de modestes emplois sous-payés.
Je ne vous raconterais pas cette histoire si, un jour, elle n’avait pas fini par mal tourner : la semaine dernière, Mohammed, en pleine affaire Bettencourt – Woerth - Sarkozy, excédé par une humiliation de trop, est retourné chez ses parents. Et il s’en est violemment pris à son père.
« Tu es un nul, lui a -t-il dit, tu ne m’as jamais enseigné que des idées de merde dont je n’arrive plus à me sortir aujourd’hui ; je me retrouve à moitié inadapté à la société française. Je porte le poids de tes traditions moyenâgeuses et grotesques au mépris du pays dans lequel je vis et de ses valeurs. Tu as fait de moi une sorte d’handicapé culturel, un homme qui n’est chez lui nulle part car tu n’as jamais su prendre la mesure de la société dans laquelle tu as élevé tes enfants. Tu es toujours resté figé, aveuglé par tes certitudes et ne t’es jamais adapté. Je te hais : c’est à cause de toi que je n’arrive pas à m’en sortir. »
Il faut dire que son père est professeur de lettres (quand je vous dit qu’il ne faut jamais faire confiance à l’éducation nationale). Il lui a bourré le crâne avec la liberté, l’égalité, la fraternité et la démocratie. Comment vouliez-vous que Mohammed s’en sorte avec ça ?
Mon éducation à moi a été beaucoup plus simple. Toute mon enfance, mon père m’a dit : ne crois pas à toutes ces salades, elles ont été inventées pour handicaper les cons ; profites-en plutôt pour les écraser et sers-toi de mon réseau pour bâtir le tien : regarde en haut, au sommet, comment ils font. Il doit être là, ton modèle. N’oublie jamais : pas de scrupules - et un seul principe : tout pour ta gueule.
C’est pour ça que je suis fascinant.
Et puis moi, il me fait bien marrer, Mohammed.