Comme un coq en pāte
par C’est Nabum
samedi 23 février 2013
" Avant le crunch "
La haute-cour des délices
Sur la toile, je suis comme un coq en pâte. Je me « déilleute » au petit matin, bien avant le lever du jour, afin de pousser à qui veut bien l'entendre un retentissant cocorico. Perché sur le tas d'immondices d'une âme noire et d'une société dépravée, je pousse mon cri inutile pour le déplaisir de beaucoup et le contentement de quelques rares personnes.
Vaste est l'extravagante prétention du gallinacé qui veut partager avec la terre entière les circonvolutions de ses démangeaisons sous sa crête rouge. C'est le tout à l'ergot, les agitations dérisoires d'un vieux coq déplumé pour quelques poulettes et autant de vieilles pintades égarées dans les arcanes d'un monde numérique famélique.
Si je commets quelques coquilles, ce n'est pas pour assurer la descendance. C'est que la faute de frappe a remplacé la glissade de la plume ou bien le pâté. Un battement d'ailes aussi vain que mal écrit ne changera rien à l'affaire, les erreurs s'accumulent que d'aucuns prennent pour des fientes de l'esprit. Qu'importe, je parade dans ma basse-cour, coq au vin du haut de mon perchoir ligérien, coq empâté d'une pensée rebelle, coq déchanté ayant renoncé aux plumes sergent major.
Je me gonfle de mon importance d'emblème national à l'approche du seul rendez-vous qui vaille pour venger notre Jehanne. C'est au Rugby que la vieille rancœur ancestrale prend des allures d'épopée sans cesse recommencée. Angleterre- France, l'honneur est en jeu et tous les coups sont permis. Je chante mon chauvinisme exacerbé, le temps unique de ce rendez-vous annuel de toutes nos frustrations historiques.
De ce « gaulus » qui fut tout autant gaulois que coq, je me pare d'une descendance celte, un héritage hypothétique qu'on a depuis longtemps cessé d'enseigner dans les anciennes colonies françaises. La Loire me permet de rêver d'une tradition qui n'est plus ou n'a jamais été. Je gonfle ma voile et mon torse de coq en mature pour chanter la route de l'étain, la fée Morgane et la pierre crapaud de la tribu Liger.
Je ne m'attarde guère sur nos clochers de pierre ou bien d'ardoise fine. Si je joue la girouette, je me préfère dans le girouet de nos bateaux en bois. Que Dieu me pardonne, le royaume des cieux doit être bien triste sans la paillardise ni la grivoiserie chères aux enfants de Rabelais, cet enfant de Touraine et du vin de chez nous. Au vin de messe, coq et poulet de grain ont toujours préféré la gaudriole et la fesse !
Petit coq batailleur, mangeur de vipères et avaleur de couleuvres, j'aime à me mettre dans les pas de l'ami Gaston Couté, poète maudit et chantre merveilleux de la parlure de chez nous. Né le même jour que ce grand homme, je peuple mes billets d'expressions fleuries de notre grand parolier. C'est en chantant sa marseillaise des paysans que je rêve de mener le combat du grand soir.
Mais je ne suis qu'un coq en pâte, un « petiot bourgeoiseau » qui est « ben benaize », protégé par son statut de fonctionnaire et la sécurité de l'emploi. C'est si facile de brailler ainsi quand on n'a pas les pieds dans le fumier de l'existence. Je n'ai plus qu'à rentrer la tête basse dans mon poulailler doré. Je ne suis qu'une illusion apathique.
Il ne va pas tarder le couteau vengeur de celui qui va me couper le cou, me faire rendre mon mauvais sang aigri, tout juste bon à faire quelques sanguettes. On me déplumera pour me mettre dans une cocotte. J'aimerais qu'elle fût de fonte et de couleur orange. Mais je crains de n'avoir pas mon mot à dire. Si je pouvais cependant avoir une seule volonté exaucée, ce serait de finir accompagné d'un Bourgueuil ou bien d'un Chinon de chez nous. Un bon vin rouge et capiteux poussé à flanc de Loire.
Volaillement vôtre.