Comment vous tutoyer quand je vous vois !
par Papybom
samedi 29 septembre 2012
J’aime le vous, je vous l’avoue ! Vouvoyer est un reflexe envers mon prochain. Sans être vielle France, je déplore l’abandon de cette marque de respect. Derrière cette barricade, je peux observer mon interlocuteur. Ensuite je m’adapte en fonction. Vous voyez, (en deux mots) c’est une défense !
A un militant de base qui lui demandait : « Je peux te tutoyer ? », François Mitterrand aurait répondu : « Si vous voulez ! », raconte la journaliste Claude Aubry dans Dites-moi tu ! (Horay, 1999). Aucun risque de subir un tel affront pour un Anglo-Saxon : de l’autre côté du Channel et Outre-Atlantique, pas d’ambiguïté ni d’alternative, il n’existe qu’un seul pronom, « you ». En Afrique du Nord, en revanche, le tutoiement est de rigueur, le Berbère n’a pas de mot pour dire « vous ».
Cela commence à l’école. Le premier jour de la rentrée scolaire, l’enseignant doit faire connaissance avec ses élèves. Deux formulations possibles :
- « Et toi, c’est quoi ton nom ? »
- « Comment vous appelez-vous ? ». Ce qui serait au moins du bon français.
Vient ensuite la religion majoritaire en France (pour l’instant), le catholicisme.
Dieu s’adresse aux hommes en les tutoyant : « Tu ne tueras point, tu ne commettras pas l’adultère, tu quitteras ton père et ta mère. » Mais ce tutoiement-là n’admet pas la réplique. Mais, en retour et depuis le concile Vatican II (1962-1965), les fidèles ont l’autorisation de tutoyer l’Eternel dans leurs prières : « Donne-nous chaque jour notre pain quotidien. » Lorsqu’il convoque ce concile, le pape Jean XXIII est mû par la volonté de moderniser l’Eglise et d’unifier la communauté chrétienne. Dans ce contexte, ce tutoiement inédit place chaque chrétien à égalité devant Dieu. C’est dire que, ce passage du « vous » au « tu », s’il ne nous apprend rien sur la nature divine, en dit long sur le désir de l’Eglise de ne pas paraître trop anachronique. Par contre, un curé de campagne peut il tutoyer le Pape ?
Il en sera de même pour notre dernière représentation sur terre. Un ami, nommons le Claude Vigneron, est décédé. Il avait, avec l’église, les mêmes rapports que Brassens. Mais sa veuve décida de lui offrir une messe. (Cela ne pouvait pas lui faire de tord, dans son état !). Assistant aux obsèques, j’étais partagé entre le fou rire et la honte pendant son oraison funèbre :
Eh bien, le prêtre, qui l’avait jamais vu de son vivant, qui ne l’avait même jamais vu du tout, le trairait à tu et à toi, selon les piètres dispositions du nouvel office des morts : « Claude, toi qui... Claude, toi que... Claude avec Dieu tu as... et ta famille... ».
Au sein du parti communiste et du parti socialiste, dans la « République des camarades », le tutoiement est de rigueur. On peut y ajouter le parti de Dieu !
Pour la jeunesse et une bonne partie des adultes, le tutoiement est nettement plus convivial. De la convivialité à la vulgarité, le pas est vite franchi.
Le célèbre « T’as de beaux yeux, tu sais » pulvérise la distance entre amoureux. Plus vite, toujours plus proche et un texto rapide pour confirmer : « J’ai envie de toi ».
Je serais plus proche de Monsieur Jourdain dans le Bourgeois Gentilhomme :
« Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour »
Illustration :http://www.teamalexandriz.org/dardfrederic-san-antonio-020a-tue-et-a-toi1956-french-ebook-alexandriz/