De la beauté des bas-côtés

par C’est Nabum
jeudi 2 juin 2022

 

Du coq à l'âne en toute indépendance.

 

Il est un endroit merveilleux où rien ne se passe comme ailleurs. Il convient de savoir, pour comprendre ce curieux phénomène que dans les îles, les humains n'ont pas la même perception des choses que le commun des continentaux. Qu'importe du reste la taille de l'île et sa distance au reste du monde, elle s'honore d'une différence qui devient immanquablement une distinction.

Cette histoire se passe dans une île dont la magnificence saute aux yeux au point que de cette évidence elle a fait sa marque, sa signature : île de Beauté. Quand les hexagonaux se mirent en demeure de tracer des routes là où il n'y avait que des chemins de terre, de pierre et de poussière, ils durent se plier aux exigences d'un relief qui ne s'en laissait pas compter.

Les routes se firent escarpées, sinueuses, étroites parfois, souvent pentues et jamais tranquilles. Ce n'était du reste pas un défaut majeur puisqu'elles laissaient les camping-cars à quai, leur préférant de très loin vélo, cyclo et auto, pourvu que ce joli monde cohabite en paix. À toute chose, malheur est bon, la Corse avait tracé sa voie.

Il ne manquait plus que de pondérer les ardeurs des as du volant ou du guidon. Partout ailleurs, un politicien aussi avisé que cupide eut songé à semer de ci de là la mauvaise graine de la délation électronique. Las, ici, le radar aurait rapidement pris du plomb dans la tête enregistreuse, il fut préférable de renoncer à ce qu'on prétend être un équipement de sécurité. La fiscalité routière n'était donc pas la bienvenue dans cette belle région.

Les technocrates, habitués de tout régenter en province de leur chère Capitale, se dirent qu'il fallait agir en cette île comme partout ailleurs en truffant les routes de dos d'âne, de chicanes, de ralentisseurs et de ronds-points. Curieusement pour la dernière proposition, il ne s'est pas trouvé d'élus locaux, désireux de profiter de l'aubaine pour détourner à leur profit un peu d'argent. Leur probité est à ce titre remarquable.

Restaient alors trois solutions. La chicane fut immédiatement repoussée. Le mot risquait fort d'être mal interprété, perçu comme une provocation langagière et qui plus est intraduisible en Corse. Le ralentisseur sembla redondant avec la nature même de la sinuosité du réseau routier. C'est donc le dos d'âne qui allait être retenu quand les autochtones, ayant encore en mémoire le rôle précieux de cet animal dans l'histoire de leur pays, s'élevèrent contre ce détournement sémantique.

 

« Que les ânes restent à Paris et que nos mulets couvent des jours heureux dans nos fermes ! », s’écrièrent en chœur des chanteurs polyphonistes. Devant une levée de boucliers qui n'appartenaient ceux-là pas au CRS dépêchés en masse sur l'Île, il fut décidé de négocier un compromis acceptable par l'état et le territoire insulaire.

Le débat fut houleux, les noms d'oiseaux volèrent, les armes faillirent prendre la parole quand un nationaliste traita d'âne le préfet portant fièrement un coq sur son veston. La saillie fit beaucoup rire avant que de prêter à réfléchir : plutôt que de tout mettre sur le dos de ces pauvres bourriques, pourquoi ne pas confier la régulation du flux routier aux animaux du cru ?

L'idée explicitée de la sorte laissa pantois les représentants de l'État. Il faut bien avouer qu'un énarque n'a qu'une connaissance livresque de la faune et encore ne distingue pas entre un animal sauvage et son cousin d'élevage. Ceux-ci exprimèrent publiquement leur incompétence en la matière et laissèrent pour une fois, la décision leur échapper.

Le vote fut acquis à l'unanimité du parlement Corse et depuis ce jour, les chèvres, moutons, vaches et cochons qui se promènent tranquillement sur les bas-côtés et parfois au milieu de la chaussée, sont considérés comme des supplétifs de la police de la route et à ce titre, bénéficient des lois qui protègent les forces de l'ordre. Prenez bien garde à ne point leur causer d'ennui, il pourrait vous en coûter fort cher.

À contre-sens.


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