Debout devant le zinc

par C’est Nabum
jeudi 30 décembre 2021

 

Les bonnes poires pour la soif

 

Maudit virus qui s'en prend à notre art de vivre sans jamais interférer notre folie consumériste. S'il se fait discret dans les grandes surfaces et les transports en commun, il se tapit sournoisement dans les troquets, estaminets et buvettes, prêt à sauter au coup du consommateur debout, celui-là même qui n'ayant pas de vis à vis, risque d'être contaminé par son reflet dans la glace.

L'habitué du comptoir, le coude bien calé, le pied en appui sur la barre, est une proie d'autant plus facile qu'il avale silencieusement son petit noir ou son verre de blanc. Le malheureux ignore sans doute que l'affreux Corona éprouve une haine tenace et irrépressible pour qui ne boit pas de bière. Une déformation professionnelle sans doute.

Le buveur solitaire n'a plus désormais qu'à noyer son désarroi en trouvant une table libre pour abaisser son gosier au ras du plateau du garçon. Les études sont formelles, le serveur est muni d'un bouclier horizontal qui offre une protection absolue à qui passe commande, bien carré sur une chaise.

D'après certains experts de la chose bistrotière, s'assoir sur un fauteuil surélevé sort du cadre protecteur. Cependant, cette assertion exige encore des analyses complémentaires. Des tests sont menés grandeur nature dans les salons privés du Palais avec des coupes de Champagne.

Selon certains dissidents de la pensée officielle, cette expérience ne serait pas probante car, selon ces affreux complotistes, les bulles en éclatant à la surface du verre, constitueraient un formidable repoussoir au méchant virus. Nous n'entendons pas prendre position dans cette querelle qui nous laisse sur le cul, posture réglementaire du reste pour éviter tout risque de contagion.

Se pose alors l'épineux problème du contrôle, effectué par des escouades policières, armées jusqu'aux dents, pour traquer le poivrot qui se tient encore debout. Le tir sans sommation n'a pas encore été prévu par l'arsenal législatif. Ne désespérons pas, tout vient à point pour qui sait attendre dans ce contexte délétère.

Une fois le nettoyage du zinc effectué, nos courageux gardiens de la paix qui flageolent devront-il garder de la hauteur pour contrôler les attablés ou bien se mettront-ils à leur niveau pour se parer eux aussi de tout risque de contamination ? Pour l'heure du côté de la place Beaux Veaux, on reste dans l’expectative. Il y a du reste, une frange de plus en plus importante de la hiérarchie qui prône le retour de la police montée. À cheval sur leur monture, les fonctionnaires seraient ainsi en posture dominante tout en étant assis sur une selle. Des questions techniques demeurent d'autant plus que la terrible maladie provoque une fièvre de cheval.

En attendant, seuls les poivrots indécrottables, ceux qui ont besoin de boire debout pour assurer une meilleure descente seront en ligne de mire et trinqueront à coups de tournées de 135 euros, amende payable uniquement en liquide, est-il besoin de le préciser. Trop de chèques sans provision sont émis par les adeptes de la gueule de bois.

Le législateur a omis de se pencher sur la caisse enregistreuse qui trône en majesté sur le comptoir, désormais abandonné de tous. Devra-t-on la placer sur des roulettes, la munir d'une batterie pour aller de tables en tables, récolter le montant de la tournée. C'est encore à l'étude tout comme la question du port du casque pour le pilote de ce susdit engin motorisé.

Nous ne sommes pas encore au bout de nos surprises dans cette lutte sans merci contre le virus aux multiples variants dans nos chers débits de boisson, emblèmes historiques de l'art de vivre à la française. L'inénarrable premier sinistre nous promet encore quelques interventions à nous couper la chique jusqu'aux prochaines élections pour que nous satisfaisions à notre soif de surprises et de rebondissements.

À contre-jour.


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