En voiture Simone !

par C’est Nabum
lundi 23 décembre 2019

Les amortisseurs s’en souviennent encore…

Quand Marcel prononça cette formule qui allait rester dans les mémoires : « En voiture Simone ! » la dame ignorait encore tous les périls qu’elle allait traverser. Le beau Marcel avait sans doute une idée derrière la tête, elle n’était pas dupe tout autant, il convient de l’avouer, assez tentée de se laisser griser par ce charmant garçon.

Depuis que ce séducteur lui avait joué de l’accordéon à bretelles, elle savait qu’elle était passée de proie à prochaine amoureuse de ce diabolique musicien. Mais comment résister à l’appel du soufflet, à la puissance évocatrice des valses, à la folie des polkas. Bien qu’elle dansât avec d’autres, qu’elle se laissait emporter sur le parquet par des cavaliers de substitution, Marcel la suivait des yeux avec une telle avidité que c’était avec lui qu’elle chaloupait.

Elle était envoûtée. Elle l’avait attendu à la fin du bal, sachant que, en agissant ainsi elle se dévoilait, se donnait implicitement à l’accordéoniste. C’était désormais lui qui menait le bal, non plus celui qui venait de se terminer mais bien cette sarabande intime qui allait les mener jusqu’au bout de la nuit.

Alors quand elle entendit cette invite, elle savait que se jouait là le début d’une romance qui pouvait tourner court ou tout au contraire lui ouvrir les portes du Paradis. Ce qu’elle ignorait alors c’est dans quel véhicule son cavalier allait la conduire à destination. Elle pensait que le musicien, connu dans toute la contrée pour ses prestations appréciées des danseurs, disposerait d’une automobile confortable. Quel ne fut pas son désappointement quand elle découvrit une Dyane break toute brinquebalante.

Mais le cœur a ses raisons que le confort ignore. Quand elle monta à bord, son destin chavira dans la plus invraisemblable des épopées. Marcel se montra charmant, lui ouvrit la portière, lui dit un mot gentil lorsqu’elle s’installa sur le siège. Faisant le tour, prenant place à côté d’elle, il eut encore une expression de bienvenue, jouant à cette occasion le maître de cérémonie.

Le contact mis, le moteur ôta toute possibilité de conversation. L’absence de direction assistée contraignant même le chauffeur à garder les deux mains sur le volant tandis que la petite route de campagne privée de marquage, l’obligeait à une concentration extrême. Les nids de poule, nombreux sur une voie qui tenait plus du chemin que d’une chaussée routière succédaient aux dos d’ânes. Simone en avait le cœur chaviré.

Ajoutons à ces désagréments, l’odeur de tabac froid associée à celle de chien mouillé et vous aurez une petite idée de l’inconfort de la situation. La romance prenait des allures incertaines surtout quand le pilote, toujours silencieux, s’engagea dans un chemin creux, au milieu des bois. Elle rêvait d’un lit douillet, elle allait découvrir l’inconfort des amours à ressort !

La Dyane s’immobilisa, le contact fut retiré, les lumières s’éteignirent. L’obscurité était totale. Dans quel coupe gorge avait-elle été conduite. Elle s’était jetée dans la gueule du loup, la suite risquait de tourner au fiasco. Adieu ses rêves d’émotion et de griserie. Cette relation allait être des plus prosaïques. Pourtant Simone ne se résolut pas à évoquer ses craintes, elle désirait ne pas décevoir celui qui l’avait séduite par ses trilles endiablés.

Déchanter avec un musicien ! La jeune femme imaginait déjà les moqueries de ses camarades. Toutes l’avaient vue partir au bras de cette vedette des parquets. Elle se jura quoi qu’il se passe, de ne pas narrer le fiasco qui lui était promis. « Ma fille, tu l’as voulu, il va falloir que tu passes à la casserole dans cet habitacle malcommode. ». Simone se réconfortait comme elle pouvait, pour se donner un peu de cœur à un ouvrage qui ne s’annonçait pas sous les meilleurs auspices.

Marcel serra le frein à main. Il pouvait enfin lui accorder considération et caresses. Ses doigts : Simone en conserve encore un souvenir ému ! L’accordéoniste pianotait sur son corps. Elle frissonnait, elle roucoulait. L’inconfort s’était dissipé, il n’y avait que ce merveilleux solo tout en délicatesse qui enchantait un duo qui se découvrait.

Il y eut encore des baisers langoureux, des enlacements à vous couper le souffle. Décidément, elle ne s’était pas trompée d’instrument même si le batteur ne lui avait pas déplu. Elle avait eu une touche avec Marcel, c’est lui qui venait compléter sa belle collection tout au creux de sa musette à souvenirs galants.

Marcel l’invita à passer à l’arrière de sa Dyane, aussi chasseresse que pêcheresse. La dame allait s’en rendre compte. Il lui fallut passer par le coffre, le peu de romantisme de ce bref passage dehors allait immédiatement s'estomper. La belle, tout à son désir d’aventure, n’avait pas songé à tourner la tête, son Marcel se chargeait de lui troubler les idées. Elle fut aux anges, le coffre de la fourgonnette était aménagé, un petit palace pour conversation intime…

Un sol matelassé, un espace tout juste à leur taille pour quelques acrobaties que l’esprit inventif des amants aime à expérimenter. Une lumière tamisée, rien qui put perturber leurs ébats à l’exception notable de l’accordéon qui était convié à la fête. Marcel commença à la dévêtir. Simone, craignant sans doute pour ses vêtements, lui glissa qu’elle le ferait elle-même, c’était plus raisonnable comme si la raison avait place dans cette folie.

Ils se dénudèrent chacun de leur côté, se contorsionnèrent, se cognèrent parfois. L’exercice n’est pas aisé, plus mal commode encore est le rangement des vêtements qui finalement sont abandonnés au hasard, dans la confusion des sens. Ils étaient enfin nus, à se découvrir mutuellement. Moment délicat durant lequel le voile de la pudeur se déchire.

Simone eut un frisson. Elle lui susurra à l’oreille : « Chauffe Marcel !  » L’habitacle s’était considérablement refroidi. Le musicien semblait attendre cet instant pour sortir le grand jeu. Il déclencha un petit chauffage d’appoint, un système électrique sur batterie qui eut l’effet escompté. La dame n’aurait plus la chair de poule contre ce beau coq empanaché.

Ils se couvrirent de baisers. Leurs bouches se firent exploratrices. Parfois, lors d’un changement de position, l’accordéon, quelque peu bousculé, laissait entendre un gémissement prémonitoire. L'excitation en dépit de l’inconfort gagnait les deux partenaires. La dame se faisait fontaine, l’homme avait brandi son étendard. L’assaut allait pouvoir commencer.

C’est ainsi que se mouvant plus brusquement que jusqu’alors, les amortisseurs émirent une longue plainte lugubre. Marcel en fut un temps décontenancé, perdant de sa superbe. Simone se remit à l’ouvrage pour gagner à nouveau sa confiance. La chose ne fut pas trop compliquée, il est vrai.

Tous deux étaient disposés à établir une liaison plus intime quand un inconnu frappa à la vitre. Un garde-chasse tonna à travers le pare-brise que la propriété était privée, qu’il fallait déguerpir au plus vite de l’endroit. Marcel descendit la vitre arrière pour s’excuser et lui promettre de partir dès qu’il aurait enfilé ses vêtements. Il le fit non sans donner quelques coups de genoux et de coude à une Simone déconfite et incapable de la moindre réaction.

Habillé de guingois, le chauffeur reprit sa place, mit le contact, bien loin de celui qu’il espérait établir et sortit de la propriété sur les chapeaux de roues. À l’arrière l’accordéon et Simone gémissaient de concert, chahutés en tous sens. Simone se retrouva cul par-dessus tête sans le moindre plaisir.

Arrivé sur un espace plat en dehors de ce chemin creux, le chauffeur demanda à Simone quelle conduite adopter. La magie du désir avait tiré sa révérence. La belle chiffonnée lui demanda de lui laisser le temps de se rhabiller puis de la conduire chez elle. Il l’entendit maugréer, tenir des propos indignes d’une jeune fille. Elle fit si grand ramdam que l’accordéon une fois encore ponctua sa gesticulation de plaintes dissonantes. Après de longues minutes, elle revint s’asseoir à sa place en maugréant : « J’ai perdu une chaussette ! »

Marcel fut éconduit à tout jamais. Simone se jura de ne plus jamais vivre un tel cauchemar ni de jamais plus regarder un homme en marcel. L’amour sur quatre roues n’était pas pour elle même si depuis le pays tout entier aime à répéter : « En voiture Simone » pour un oui ou pour un non. C’est à la fin du bal qu’on paie le musicien, l’accordéoniste ce soir-là ne reçut pas la monnaie de sa pièce. Il se consola avec un trophée, un dérisoire souvenir d’un fiasco colossal, une chaussette qui plus est, trouée.

Ainsi finissent parfois les amours clandestines. Les passagers ne sont pas toujours récompensés et il faut bien reconnaître que pour prendre son pied, la voiture n’est certes pas le meilleur des endroits.

Naufragement leur.


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