Ils ne sont pas bien dans leur assiette

par C’est Nabum
lundi 20 décembre 2021

 

Rencontre œcuménique

Un chapon en pleine dépression saisonnière croisa la route d'un mouton qui pour l'heure ne connaissait pas encore les affres de l'angoisse. La volaille s’enquit de ce restant de bonne humeur chez un animal qui comme lui, allait être sacrifié sur l'autel de la gourmandise humaine. Le mouton, assez narquois, il faut bien l'avouer, lui expliqua alors que tant que lui, le chapon était en vie, il pouvait encore couler des jours heureux.

L'animal quoique ailé, manquait singulièrement de culture. Il est vrai que son existence ne lui avait guère laissé le temps de parcourir le vaste monde pour se constituer une expérience de la vie. Bien au contraire, il était resté cloitré dans un petit enclos, sans avoir d'autres compagnons que des semblables qui subissaient le même sort.

Il passait sa vie à engraisser dans l'espoir d'engraisser à son tour tout un vaste et complexe circuit de distribution. Le chapon de terminer son laïus en expliquant qu'une telle vie ne méritait pas d'être vécue et qu'il attendait le trépas avec impatience. Le mouton tenta bien de le réconforter, fort maladroitement du reste.

Ne sachant rien des turpitudes humaines dès qu'il s'agit de remplir une assiette, l'ovin lui conseilla de laisser une trace de son passage sur terre, de rencontrer une femelle et avec elle, d'enfanter. « Si nous ne sommes que des poussières dans cette vaste chaîne de la vie, la possibilité d'engendrer nous permet à tous de nous prolonger un peu. »

Le chapon faillit s'étrangler devant un tel propos. Le mouton sans le savoir enfonçait le clou dans une plaie qu'il portait comme une croix. Pour un animal condamné à achever son existence lors du repas de Noël, la chose relevait de l'anachronisme sans qu'il le sache , du reste. « On m'a coupé les choses pour que je sois plus tendre et plus gras pour passer à la casserole ! »

Le mouton en resta coi. Comment pouvait-on pratiquer pareille indigne castration ? Il en concevait un profond dégoût pour l'espèce responsable de cette souffrance honteuse. Tout animal présent dans la crèche lors de la naissance du responsable de ce massacre qu'il était, il ne pouvait admettre des conséquences qui échappaient totalement à la volonté des acteurs de ce moment historique.

C'est ainsi qu'il narra cet épisode de son existence, l'émotion qu'il avait eue devant le dépouillement de cette famille, l'admiration que lui et les autres animaux présents avaient ressentie devant ce nouveau-né si fragile. Que par la suite, ceux qui célèbrent cet avènement aient besoin de mutiler des volailles pour honorer la mémoire de ce moment, échappe à toute logique.

Le chapon reconnut qu'il n'allait pas tirer les marrons du feu, qu'il passerait au grill et succomberait sans la moindre satisfaction dans l'existence. Il s'en prit vertement au mouton qui allait vivre des jours heureux, paissant tranquillement dans les prés, n'ayant plus rien à craindre du loup.

Le mouton crut bon de rétablir la vérité. Manifestement ce chapon ne disposait d'aucune culture religieuse et n'avait pas été averti du retour du loup dans le pays. Il expliqua à son interlocuteur que si celui-ci était sacrifié à la Noël, lui devait attendre Pâques ou la Trinité pour servir de victime expiatoire, non seulement pour honorer la mort du chérubin mais aussi pour célébrer le geste d'Abraham. Deux religions se mettaient en quatre pour lui faire un mauvais sort, ce qui doublait ses chances de mourir en odeur de sainteté.

C'est ainsi que chapon et mouton, tout en devisant, se rendirent à l'évidence. Leurs existences étaient soumises à des histoires, des sornettes sans doute, inventées par les humains pour justifier leur gourmandise. Comme ils ont toujours eu besoin de prétexte pour se goinfrer, ils ont trouvé dans l'histoire de belles occasions de passer à table. Ils n'avaient plus qu'à subir leur sort, il n'était rien qui puisse les sauver.

Le mouton qui avait encore un peu de temps à vivre, salua une dernière fois le chapon qui venait de confier son âme au véritable responsable de sa mort. Le mouton subodorait que son heure viendrait elle aussi, mais le malheureux, ne savait pas à quel dieu se vouer. Le chapon trouva du réconfort dans l’idée que son homologue demeurerait dans l'incertitude jusqu'au bout. Maigre satisfaction au demeurant mais on se console comme on peut dans pareil cas.

Puis nos deux amis se quittèrent, la mine basse et le moral en berne. Manifestement ils n'étaient pas bien dans leur assiette. Ceci aura-t-il une quelconque influence sur leur qualité gustative ? Il est encore trop tôt pour vous l'affirmer…

À contre-temps


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