J’ai Honte !

par C’est Nabum
mardi 13 décembre 2016

Je n'ai jamais dissimulé d'argent dans un Paradis Fiscal ni demandé un dépassement d'honoraire à mes élèves ...

Fonctionnaire je fus …

Les temps sont venus du grand règlement de compte, de la curée généralisée, de l'hallali contre les pauvres fonctionnaires. La droite revancharde, celle qui fréquente les donneurs d’ordre et les grandes fortunes, va tailler des croupières à ceux qui sont la honte de notre nation, l’indignité absolue, les parasites honteux. Et je dois à la vérité de vous avouer que j’en fus !

Oui, messieurs les bien-pensants, je fus fonctionnaire et pire que tout, enseignant : la pire engeance qui soit, celle qui ne travaille que six mois de l’année et tout juste 20 heures par semaine dans l’esprit de ceux qui vont poser une main de fer sur le pays. Alors, je profite de l’occasion qui m’est encore donnée de m’exprimer librement pour faire la liste de toutes mes turpitudes alors que j’étais censé œuvrer pour la nation à ses frais.

Oui, grandes furent mes fautes et mes dérives. J’ai honte mais il convient de vous livrer sans fard ni mensonge la triste réalité qui fut la mienne durant cette carrière de privilégié, d’éternel profiteur, de vacancier à plein temps. Que les âmes sensibles, les contribuables imposés encore quelque temps sur notre infortune, les professions libérales passent leur chemin ; ce qu’ils vont lire ici leur sera, sinon insupportable, pour le moins totalement inimaginable.

Tout d’abord, c’est très tôt que j’ai pris le mauvais chemin. J’ai choisi cette activité éminemment rémunératrice, non par goût de lucre, ce qui eût été pardonné dans votre monde, mais -je ne sais si je peux avouer ce crime absolu-par vocation. Voilà, le pavé est lancé dans la mare croupie des motivations obsolètes. Je suis entré dans la carrière pour reprendre le flambeau que m’avaient confié des maîtres exemplaires, tous militants de l’école Freinet, des gens qui s’étaient engagés dans un combat pour l’égalité des chances, la culture et la laïcité.

J’ai été un pur produit de l’Ecole Républicaine et j’ai voulu rendre ainsi ce que j’avais reçu en héritage. Motivation dérisoire, engagement idéologique, utopie sociale, je sais que vous ne pouvez comprendre pareilles hérésies. Je vous en demande humblement pardon. Car non seulement, ce sont ces raisons qui ont guidé mes choix, mais en plus, ce fut de manière désintéressée. Je sais que ce mot écorche vos oreilles mais j’ai choisi de ne rien vous dissimuler de mes travers.

Je n’ai donc jamais travaillé pour vos enfants : les chers petits chérubins, ceux des écoles de centre-ville, des classes privilégiées et des écoles privées. Je suis toujours allé semer la mauvaise parole, l’esprit de rébellion dans les quartiers difficiles auprès des adolescents en rupture ou bien en échec, en situation de handicap ou bien à la rue. L’argent que me versait l’Etat l’étant à fonds perdus pour un public qu’il convient de laisser à l’abandon. J’ai pensé changer le cours des choses, briser la malédiction de la naissance ; je vous en demande pardon. Il convient de laisser croupir cette jeunesse : celle qui doit constituer votre variable d’ajustement pour abaisser toujours plus les salaires et les droits de ces misérables qui n’ont d’autre ambition que d’être ouvriers ou employés.

Je n’ai pas hésité à payer, non seulement de ma personne, mais également de mon temps et de mon argent personnel. Bien sûr, dans votre monde, cela relève de la faute professionnelle, mais j’ai sciemment donné du matériel, offert des livres, payé des sorties sur mes fonds propres, faute de pouvoir obtenir le budget pour le faire. J’ai même parfois voyagé en fraude avec des élèves, faute d’avoir pu obtenir les bons de transport. Mais oui ! Je pensais ainsi rétablir une égalité que vous combattez de toutes vos forces. Je ne savais pas que j’agissais mal.

Pire que tout : j’ai donné de mon temps. Des dimanches, oui, c’est horrible ; j’ai parfois consacré le jour du Seigneur à encadrer des groupes d’élèves dans des actions culturelles ou des sorties lointaines. Que j’aie pu préférer mon travail à la grand messe est déjà un crime, mais que ce fût sans obtenir rémunération complémentaire doit vous paraître inconvenant. Sachez que c’est pourtant ainsi dans ce métier de fainéants.

Je ne vous raconte pas les petits désagréments que chacun a connus dans ce curieux métier. Un véhicule abîmé, des objets de valeur disparus ou bien cassés, la nécessité d’acheter soi-même ordinateurs, livres, documents, matériels divers. C’est impensable au pays des notes de frais, des frais de déplacements, des cadeaux et des dotations en tout genre. Pour les parasites, les ondes sont brouillées …

Souvent, comme beaucoup de mes collègues et moins encore que les instituteurs du primaire, je fus sollicité pour encadrer des associations, des centres de vacances, des stages. Parfois dédommagé, souvent bénévole, j’ai pris la place d’un vrai professionnel de l’animation, un éducateur sportif ou un animateur. Je me rends compte maintenant à quel point j’ai mal agi et je comprends votre courroux. Dans votre monde, on ne fait jamais rien pour rien. Votre dédain doit venir de cet insupportable mépris de l’argent. Comment redresser la France avec des gens si peu vénaux ?

Alors, n’hésitez plus une seule seconde. Videz tous mes semblables, débarrassez l’état de ces inutiles, dégraissez le mammouth ! N’y allez pas de main morte : des gens comme moi n’ont rien compris à la société de vos vœux. Pire même, nous sommes tous d'indécrottables mécréants qui pratiquons la charité, la générosité et l’altérité sans jamais mettre les pieds dans vos églises. C’est à vous décourager d’être bon catholique en versant scrupuleusement des dons défiscalisés. Nous sommes des gens à éliminer, nous donnons du temps mais pas d’argent. Quelle horreur !

Allez. Sus aux fonctionnaires, mort aux enseignants ! Crachez sur nous, humiliez ceux qui sont en place. N’hésitez pas ; c’est bien pire engeance que vous. Vous seuls, n'est-ce pas, croyez être dans le vrai, libéraux cupides, entrepreneurs avides, politiciens corrompus. Vous pouvez nous diffamer, nous rayer de la carte. Jamais, jamais, vous ne parviendrez à être réellement utiles au pays. Vous vous servez et oubliez de servir, sans jamais avoir honte.

Fonctionnairement leur.

 


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