L’Artémis, navire échoué dans les Sables bientôt inscrit au patrimoine mondial

par Bernard Dugué
mardi 18 mars 2008

Je le tiens de source plus sûre qu’un SMS, une association de citoyens des Sables-d’Olonne s’est constituée en vue de demander le classement du cargo Artémis au patrimoine mondial de l’Unesco. Cette démarche paraît saugrenue et, pourtant, elle participe d’un bon sens parfaitement adapté à la situation. Rappelons que ce patrimoine est constitué de 851 biens, architecturaux, naturels ou bien mixtes, c’est-à-dire associant une construction remarquable des hommes à un site non moins admirable. Les membres de l’association ont dû trancher pour notifier le motif justifiant le classement. Après avoir opté pour un bien de type mixte, puis en reconnaissant que la plage des Sables-d’Olonne n’a rien de commun avec la grande barrière de corail, ni avec une île grecque, ont choisi l’option la plus fréquente, autrement dit l’œuvre architecturale. Rappelons que l’objectif de l’Unesco est de protéger des signes à l’architecture remarquable, témoignant des créations de civilisations anciennes. Or, ce cargo échoué à quarante mètres du rivage n’offre-t-il pas un témoignage remarquable de ce qu’est notre civilisation et pour les générations futures, un élément historique à conserver, au titre des catastrophes industrielles dont nous n’avons que quelques rares spécimens conservés. Le réacteur de Tchernobyl par exemple, mais son sarcophage de béton est hideux alors qu’il ne peut faire l’objet de visites en raison du taux de radiation. L’Erika, l’Amoco Cadiz hélas, reposent sur les fonds des océans alors qu’Artémis est promis à rester pendant des siècles sur cette plage, pour peu qu’on sécurise le site et qu’on coule un peu de béton afin que la mer déchaînée ne nous reprenne pas cette œuvre dont on doit signaler qu’elle est singulière, s’inscrivant parfaitement dans la thématique de l’art contemporain, dont l’ampleur mérite qu’un de ses exemplaires soit classé au patrimoine mondial.

Il y a urgence à défendre cette demande. Le maire a décidé de découper le navire avant cet été s’il est encore là. Pouvons-nous espérer un peu de répit ; que le remorquage échoue à la prochaine grande marée du 7 avril avec son coefficient de 109, chiffre à comparer avec celui de 107, lorsque le navire Artémis s’échoua ce lundi 10 mars, pénétrant dans le sable en étant poussé par la tempête, ce qui lui donne une base sûre pour rester en place. Mais les services du littoral auront sans doute eu l’idée de creuser un chenal et de dépêcher trois ou quatre remorqueurs.

Admettons que la démarche puisse aboutir, que faire de ce cargo qui sans être gigantesque, accuse quand même ses 88 mètres de long ? Justement, j’ai téléphoné à André Touréfel, architecte et chargé de cours à l’école des Beaux-Arts de Nantes. Son avis est d’autant plus intéressant qu’il s’est déplacé pour visualiser le navire. Il m’a confié qu’une possibilité serait de construire une jetée, avec des piliers en acier façon art nouveau, pour relier la promenade du front de mer au pont du navire, alors qu’un embranchement permettrait de canaliser des visiteurs à l’intérieur de la coque où serait aménagé un musée des catastrophes industrielles, avec une thématique gravitant autour de la mer. De quoi faire travailler les maquettistes pour une reconstitution à l’échelle 1/50e de l’Erika, de l’Amoco Cadiz, du Torrey Canyon. Dans une autre salle, un aquarium géant pourrait être installé et chaque jour, une animation spéciale serait proposée, une simulation du naufrage de l’Amoco-Cadiz, avec visualisation des nappes de mazout s’échappant des cuves et une simulation de poisson en plastique en train de crever, remontant à la surface. Un spectacle inoubliable pour les enfants avec de magnifiques jeux de lumières. Comme ceux de la troisième salle où l’on pourrait visualiser ce même mazout répandu sur une plage de sable reconstituée, avec ses rochers, ses algues, son varech, ses odeurs et une dizaine d’espèces d’oiseaux marins empaillés et englués de pétrole. Avec un éclairage adéquat, le tableau serait d’un plus bel effet. André Touréfel, reconnu pour son originalité, m’a d’ailleurs suggéré un titre pour cette reconstitution digne des meilleures productions d’art contemporain : du goudron et des plumes. Enfin, s’il reste un peu de place, le musée pourrait également proposer une reconstitution d’une plage polluée par divers objets en plastique après la tempête et, le cas échéant, un fragment de Méditerranée et ses boues rouges. Ainsi que des galets niçois collés ensemble par du goudron, œuvre d’art conceptuel destinée à évoquer le dégazage d’un des nombreux yachts naviguant au large de la Côte d’Azur. Il n’y a aucune raison que seul, l’Atlantique soit représentée car en matière de pollutions industrielles, le musée devra reconnaître les diversités culturelles. D’ailleurs, la haute autorité sera saisie si la mer d’Aral n’est pas elle aussi représentée.

Le musée des pollutions marines, pensez-y, un spectacle inoubliable dont vos enfants se souviendront. D’ailleurs, un partenariat a été envisagé entre Ségolène Royal et Jean-Marc Ayrault pour un cofinancement entre régions et la possibilité de coupler le Futuroscope de Poitiers avec le musée des Sables-d’Olonne ; un pass permettant de proposer les deux visites à un prix spécial.

Il y a le musée, certes, mais aussi l’exploitation du cargo à des fins touristiques. Imaginez-vous un soir d’été, par un magnifique coucher de soleil, en agréable compagnie, dégustant un plateau de fruit de mer avec une vue inoubliable, perché sur le pont de l’Artémis, face à la ville des Sables-d’Olonne, ses touristes déambulant sur le front de mer, cette faune bigarrée que vous contemplez à perte de vue, bobos parisiens en tongs, bourgeoises BCBG du coin, Allemands en short, une composition exceptionnelle, un tableau vivant, transfiguration d’une œuvre expressionniste germanique de la Belle Epoque, avec les lumières de la ville scandant cette vie qui renaît le soir, cette renaissance de ces corps qui, le jour, étaient inertes sur le sable, offrant leur peau au dieu soleil pour une tunique basanée fabriquée avec une huile solaire. J’ai contacté Nonce Taffani qui tient une paillote à Ajaccio et se dit prêt à investir pour occuper une des rares places disponibles sur le pont. Thierry Marx ayant déjà réservé à prix d’or, selon mes sources, un emplacement des mieux situés pour proposer des spécialités dignes d’un trois étoiles.

Mais tout n’est pas perdu. Il reste des places disponibles sur le front de mer. Par trente degrés le soir, vous pourrez déguster sur une terrasse des moules à la crème en contemplant Artémis, sa coque rouillée qui avec des rayons de soleil couchant, offre un spectre de couleurs des plus réussis avec des reflets que le meilleur des impressionnistes ne saurait reproduire, la coque d’Artémis à la tombée du jour, un Van Gogh s’étendant telle une fresque de 88 mètres. Et lorsque, le soir arrivé, la batterie de projecteurs rouges et bleus se met en branle, vous verrez ce cargo devenu un ange de métal surréaliste donnant l’impression de voguer sur le sable. Enfin, lorsque la marée montante viendra lécher le pourtour de la coque, les reflets des projecteurs offriront une incomparable danse de couleurs aussi somptueuse qu’un feu d’artifice à Palavas. Minuit pétant, place à la musique. Les concepteurs du projet ont tout prévu. Une discothèque sur le pont et déjà, les invités VIP ont réservé la soirée d’inauguration ce 7 juillet 2008 avec un David Guetta prêt pour la fiesta.

Dernière minute, l’association des Ensablés-d’Olonne, qui pilote ce projet, a décidé de lancer une pétition auprès du président Sarkozy. L’intérêt est évident, car d’autres sites comme le mont Saint-Michel ou la tour Eiffel sont saturés. En plus, il est évident qu’une telle opération participe à la croissance économique, dynamisant l’industrie du commerce, augmentant le pouvoir d’achat des saisonniers. C’est aussi l’occasion de reconnaître enfin le talent de l’art contemporain en France et de laver tous les camouflets lancés depuis New York et Venise, autres places célèbres pour leur tribut aux œuvres conceptuelles. Et puis, après s’être débarrassé de David Martinon au consul de New York, quelle aubaine pour virer Christine Albanel du gouvernement en lui proposant la présidence du comité de pilotage de cette opération Artémis. La place est libre d’autant plus que Claude Allègre n’a pas été retenu, l’ancien ministre de Jospin niant que l’Erika ait réellement causé une pollution sur les côtes Atlantiques.


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