L’association tourne en eau de boudin
par C’est Nabum
vendredi 1er avril 2016
1 avril ...
Cochon qui se dédit
Revenons, si vous le voulez bien, dans notre cher village de Saint Berdolin sur Loire. La vie y est toujours mouvementée : rien ne peut s’y dérouler de manière paisible et sereine. Il faut dire que les gens d’ici ont fort mauvaise réputation, qu’on les affuble d’un curieux sobriquet : le nom d’un animal qui mord plus qu’il ne caresse … Les quelques mésaventures d’une des associations qui célèbrent la tête de cochon illustrent à merveille les soubresauts qui justifient pareille réputation.
La tête de cochon est une spécialité locale ; les « Licheux du Goret » furent les premiers à célébrer la gourmandise charcutière avant que de connaître une querelle intestine qui provoqua un schisme et donna naissance aux « Goûteux du verrat ». Tout aurait pu en rester là si une troisième tendance n'était venue semer la pagaille au pays des andouilles. « Les Chars Cuités ! » vinrent mettre les pieds dans le plat et leur groin dans le débat local.
Chaque confrérie disposait de sa fête, de sa spécialité et de ses rituels. Il y avait, bien sûr, des tiraillements entre les différents groupes, des transfuges et des querelles. Il ne peut en être autrement au pays de Rabelais. Que les chapitres charcutiers fussent à couteaux tirés entre eux n’était que tout à fait naturel. Comme aimait à le dire un des fondateurs de la première association, « On ne fait pas de l’art, on fait du cochon ! »
C’est au sein de l’association doyenne que se déroula la tambouille incertaine que je vais évoquer ici. Que l’affaire tournât ainsi en eau de boudin prouve à quel point il n’est pas facile de fédérer les gens, de les réunir sous une même bannière. Il y a toujours un complot qui couve, des intérêts contradictoires et des ego qui se heurtent. Tout est bon dans le cochon pour se faire le museau …
« Les Licheux du Goret » vivaient sereinement leur passion gourmande. Ils étaient un petit groupe d’amis qui aimaient à célébrer la saint Cochon, tuer l’animal et le préparer des mille et une manières qui en font sa gloire et sa réputation gustative. Tout aurait pu durer longtemps ainsi, en dépit des bouderies avec les deux autres groupes rivaux. Mais qui n’a jamais engraissé un porc ne sait pas que l’enflure finit par faire du gras …
C’est ce qui se passa dans cette association qui eut soudain l’envie de grandir, de grossir, d'accueillir de plus en plus de membres pour le seul plaisir de battre à plate couture les groupes antagonistes. Parmi les nouveaux arrivants, certains n’avaient jamais mis la main à la pâte ni même rempli l’auge d’un cochon. L’association prospérait en perdant de vue ses objectifs initiaux.
Pire même, au sein des « Licheux du Goret » fut créée une branche satellite : « Les amis franco de porc ! » qui décida de donner dans le culturel. Ces charmants personnages voulurent créer une foire du livre cochon : on mesure à quel point le lien originel était ténu. Le succès fut pourtant immédiat : la foire répondait à un besoin latent ; les curieux s’arrachaient les opuscules que vendaient nos chers lettrés.
Bientôt il y eut des tiraillements entre les deux faces de la même association. La confusion se fit, on ne savait plus qui décidait de quoi. Le deuxième groupe n’était-il qu’une émanation du premier ou bien un groupe autonome disposant de ses propres règles ? La contestation montait, le président semblait perdre la main et certains, dans la branche culturelle, voulaient s’émanciper des contraintes et de la supervision de la maison-mère.
Des noms d’oiseaux voletèrent dans les deux camps, de vilains tours de cochons s’échangèrent d’une sensibilité à l’autre. Le président était de plus en plus contesté. La révolte couvait, la contestation mijotait. De plus en plus souvent, les réunions prenaient l’allure de soupe à la grimace et finissaient souvent en queue de poisson. Le tire-bouchon n’apaisait plus les querelles et les dos se tournaient. On se regardait de travers dans la confrérie …
L’assemblée générale fut le point d’orgue de la mayonnaise. Un groupuscule se présenta face aux candidats du président en place pour tenter d’investir la place. Il y avait un ténia dans la farce. Pour être certain de réussir le coup d’état, un appel à pouvoir fut mené clandestinement. Chaque camp allait compter ses troupes. Les séditieux ayant l’avantage de mener la bataille par surprise. Dans la place, on ne se tenait plus ni les coudes ni mêmes les côtes : il fallait montrer pâte blanche et panée pour être sur l'étal du charcutier en chef.
Le jour de l’élection la surprise fut totale pour les hommes du président. Les comploteurs gagnèrent la mise ; le pâté sentait le faisan. Depuis, les deux camps se battent froid. La chair cuite vire à l’aigre, le cochon tire la gueule et les amis d’hier deviennent des ennemis du jour. Les rumeurs circulent, l’élection serait entachée d’irrégularités, des pouvoirs auraient été falsifiés, les urnes bourrées, des gens manipulés. Le président ratiocine dans la choucroute tout en se faisant tirer l’oreille pour réunir les siens. Les conspirateurs sont vus de travers et s'étripent joyeusement…
Tout va pour le pire, dans le meilleur des mondes. Le cochon, à trop faire l’andouille, a tranché dans le vif. Les « Licheux du Goret » se font la gueule. Que dire de mieux ? Quand il y a tant de têtes de cochon dans une association, il n’est rien à espérer de bon. J’observe à distance la farce, je ne veux pas me mettre la rate au court-bouillon pour ces enfantillages. Les gens bons finiront bien par retrouver la raison et les autres iront faire leur mauvaise tête ailleurs. Si cette histoire ne manque pas de sel, c’est que c’est la meilleure manière de conserver le cochon qui sommeille en chacun de nous.
Cochonnaillement leur