L’homme qui venait de nulle part !

par C’est Nabum
mardi 27 mai 2014

Fable électorale

Tout parleur vit au dépend de celui qui l'écoute …

Il était une fois, quelque part dans une ville de Loire, un homme qui fut découvert dormant sur un chaland, un de ces grands bateaux de transport pendant la glorieuse époque du fret naval. Bien mis, il n'avait pas l'allure des vagabonds qui fréquentaient les quais pour y quérir un petit travail et quelques sous.

Le matelot qui le découvrit vit de suite qu'il n'avait pas affaire à quelqu'un d'ordinaire. Comme il ne voulait pas commettre une quelconque bourde en agissant inconsidérément , il alla quérir son facteur, celui qu'aujourd'hui on désignerait sous le nom de capitaine. Le brave marinier le supposait seul apte à démêler l'énigme que constituait ce personnage.

Le voiturier sur eau attendit que le dormeur se réveillât . Lui aussi avait constaté chez lui cette sorte d'élégance qui fait les grands personnages. Non pas qu'il fût vêtu luxueusement, bien au contraire. L'homme qui reposait sur le pont témoignait, malgré la nuit passée à la belle étoile, de ce soin vestimentaire qui vous place souvent au-dessus du commun.

Quand ce dernier ouvrit les yeux, le capitaine interrogea ce curieux passager clandestin. Il voulait savoir d'où il venait et ce qu'il voulait. L'homme répondit dans une langue châtiée, avec courtoisie et finesse. Il embrouilla si bien son questionneur de mots savants et de formules énigmatiques que le pauvre marinier en avait oublié les questions initiales

Le patron du navire supposa alors qu'il avait devant lui l'un de ces riches marchands qui aiment parfois à venir surprendre l'équipage. Il fallait donc faire preuve de prudence dans la manière de traiter ce mystérieux inconnu. Le risque était grand de se mettre en danger en repoussant un personnage important. C'est vers le commanditaire de sa cargaison que le marin jugea bon de se tourner. Il fit quérir ce riche négociant qui serait à même de converser avec l'énigmatique visiteur.

Un bon moment plus tard, l'homme d'affaires arriva. Pendant ce temps, personne n'avait osé déranger le personnage qui reposait encore, entravant le déchargement sans que personne jamais ne le priât de se déplacer. Les mariniers, pour grossiers et querelleurs qu'ils pussent être au quotidien, montraient bien des égards aux « gens de la Haute ».

Le riche marchand fut à son tour interloqué par la réponse de l'étranger. Si sa vêture cette fois n'avait provoqué chez lui ni émoi ni respect- l'homme ne portait que des étoffes solides mais ordinaires- il fut estomaqué par la langue châtiée du personnage, ses tournures et ce vocabulaire qui l'égaraient à plaisir. Il avait devant lui un homme d'une grande éducation. Un noble ou bien un illustre savant, un homme de lettres ou un ambassadeur. Certes moins riche que le marchand mais apparemment de rang social plus élevé.

Il importait peu que le négociant ne comprît rien au discours tenu par ce curieux personnage. Sa mine et son instruction faisaient qu'il fallait lui accorder le respect dû à son rang. Qu'il puisse avoir l'esprit troublé n'en retirait rien à sa noble origine. C'est donc vers le Prince qu'il fallait l'envoyer. Ces gens de la noblesse n'aiment pas qu'on maltraite l'un des leurs. C'est une faute qui pourrait bien lui valoir des revers dans son commerce.

Le personnage sans nom fut conduit en grand équipage jusqu'au Prince en son château. Le bruit avait circulé dans la ville plus vite encore et la curiosité avait fait son œuvre. Pour très affairé que pût être un prince de sang, il lui fallait satisfaire à la curiosité. Ainsi, ayant repoussé une chasse à courre, reçut-il dignement ce mystérieux visiteur dont on vantait la distinction.

Le Prince tomba lui aussi sous le charme des mots qui font des courbettes, des phrases qui n'en finissent pas, des tournures qui vous charment tout en vous égarant en chemin. Décidément, c'était un formidable discoureur, un manieur de la langue qui éblouissait son auditoire sans jamais lui livrer son secret.

Le Prince craignit lui aussi de se trouver en face d'un plénipotentiaire, un envoyé du roi ou d'une grande puissance étrangère, un ambassadeur ou un chevalier en mission. Il y avait grande menace à ne pas lui accorder les honneurs dus à sa charge. C'était le Roi en personne qui devait entendre cet envoyé discret, ce prosateur magnifique. Il y avait chez lui la délicatesse et la subtilité des grands princes de l' Eglise mais rien ne trahissait en lui l'appartenance à un ordre quelconque. C était donc vers Sa Majesté qu'il fallait le guider. Le roi lui serait certainement reconnaissant de lui avoir permis de rencontrer cet illustre visiteur.

L'homme fut choyé. On le nourrit, le vêtit encore mieux. On le parfuma, le lava avant de le conduire en grand équipage vers le divin souverain. En attendant, il conservait ce mystère qui le nimbait d'une aura presque céleste. Durant ces quelques jours, il festoya, profitant de toutes les délices de la vie de château.

Vint alors le jour où il eut l'honneur d'être reçu par le roi en personne. Le monarque avait, lui aussi, entendu cette incroyable histoire. Il voulait à son tour se faire son idée et découvrir enfin qui était ce mystérieux inconnu. L'homme s'inclina respectueusement devant le souverain tout en ne sacrifiant pas à la révérence traditionnelle. Voilà bien un signe supplémentaire de son importance et de son étrangeté.

Le roi s'amusa de sa conversation brillante. Il finit pourtant par s'irriter de sa manière de parler par énigmes et périphrases et lui posa enfin la question que tous les autres n'avaient jamais osé lui poser. « Mais qui êtes-vous au juste, homme qui parlez si bien pour ne rien dire ? » L'inconnu, le sourire aux lèvres, s'inclina avec un ample geste de salut, pour enfin dévoiler son mystère.

« Sire, vous êtes le premier à vouloir savoir le secret de mon identité. Je n'en sais rien moi-même, ce qui ne devrait en aucun cas vous offusquer. Il est bien rare que le quidam sans ressources soit quelque chose aux yeux des puissants et des importants. Je ne suis rien tout autant que personne, un humble souffleur de vent. Je vais par les chemins pour abreuver mes semblables de belles paroles et de mots aussi creux que bien sonnants. Je ne suis pourtant pas un raisonneur ni même un moralisateur ; j'évite ce travers que je laisse à ceux qui ont l'esprit retors. Je vous offre, contre un sourire ou un morceau de pain, mes boniments pour le seul plaisir de vous enivrer de belles tournures et de gentilles histoires. ».

Le roi, qui était ce jour-là d'excellente humeur, fut ravi de la farce et de la franchise de cet homme. Il comprit tout l'usage qu'il pouvait faire de ce roturier distingué, de ce discoureur qui ne dévidait que phrases alambiquées et propos sans rime ni raison. C'était exactement l'homme qu'il lui fallait pour endormir le peuple et tous les quémandeurs, les solliciteurs et les mécontents. Il le nomma sur-le-champ ministre et porte- parole.

Depuis ce jour, en souvenir de la marine de Loire et de ce bonimenteur mystérieux, il est d'usage de dire que les beaux parleurs, ces verbeux discoureurs, bavards impénitents qui vivent aux dépens de ceux qui les croient, manient une langue qu'on prétend de bois. Vous serez désormais moins ignorant en comprenant que tous ces gens qui ne font que pérorer et blablater, dauber et jaboter, débagouler et baragouiner pour ne rien dire, ne souhaitent que vous endormir et vous mener en bateau.

Politiquement leur.


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