La Covidie humaine

par C’est Nabum
mercredi 2 septembre 2020

Éternelle source d’inspiration.

Balzac aurait pu être éternellement reconnaissant au pangolin et à la chauve souris d’avoir ainsi rafraîchi ses sources d’inspiration. Jamais vent plus frais n’a soufflé sur le théâtre de la comédie humaine au point de transformer jusqu’au nom même de cette farce. Grâce en soit rendue à tous les acteurs de cette épopée homérique, aussi tragique que pathétique qui permet hélas de rire jaune sur les maîtres de ce monde. Malheureusement pour nous, le grand écrivain tourangeau ne pourra honorer de sa prose cette fabuleuse aventure romantique.

N’ayant pas la prétention d’emprunter ses pas, je me contenterai d’un petit résumé en 5 000 caractères là où le grand homme eut consacré des dizaines de volumes pour décrire les turpitudes d’une époque durant laquelle Eugène de Rastignac a pris les commandes de la nation, tandis que Jean-Joachim Goriot devient un industriel avisé tirant largement parti de la situation en vendant à prix d’or du gel hydroalcoolique.

Le docteur Rouget quant à lui s’est glissé subrepticement dans le comité d’experts, mandaté qu’il était par un grand groupe pharmaceutique pour saborder un traitement efficace et trop bon marché. Eugénie Grandet, un temps ministre de la santé a laissé faire avec une coupable bienveillance pour finalement tenter vainement de conquérir le cœur des parisiens.

Antoinette de Langeais est parvenue à ses fins. Elle a épousé son cher Eugène de Rastignac et observe à distance les différents épisodes de cette sombre affaire. Elle a abandonné ses grands principes pour se murer dans son palais et garder un silence prudent. Elle qui nous avait habitué à courir les salons s’est montrée d’une discrétion saisissante.

Vautrin a gagné des galons. Il a profité de la grande confusion des esprits pour enlever un ministère, preuve s’il en est que l’intégrité n’est pas nécessaire dans cette fastueuse covidie humaine. Il y eut bien quelques femmes surtout pour s’élever contre cette désignation mais l'opinion de la plèbe n’a guère d’importance en pareille situation. Camusot quant à lui a quitté la robe pour prendre le barreau en main. Un avocat défroqué ne vaut sans doute guère mieux qu’un ecclésiastique véreux.

Tout ces personnages auraient inspiré de belles pages à notre brave Honoré. Il y avait de quoi plonger à nouveau dans les bas fonds de l’âme humaine. Un livre eut alors été entièrement consacré à Horace Bianchon ce médecin vertueux et compétent qui cette fois a trouvé refuge du côté de la Canebière. Il aurait eu face à lui les plus caricaturaux visages de l’hypocrisie et de la vénalité, de quoi donner des ailes à Balzac. Face à ce brave homme, les docteurs Denis Minoret et Bouvard, médecins corrompus auraient trouvé place dans la cellule interministérielle de crise.

Émile Blondet et Lucien de Rubempré se seraient retrouvés tous deux sur les plateaux de BFM pour soutenir les décisions absurdes du pouvoir, pour divulguer des informations tronquées, parcellaires ou même erronées. Percevant alors le pouvoir nocif des médias, ces deux là et d’autres encore auraient semé le désarroi et la terreur dans la population. Fort bien secondés au début de la crise par l'inénarrable Dinah de La Baudraye, porte sottise du pouvoir, Balzac aurait dépeint cette mégère en trempant sa plume dans le vitriol.

Parmi les intellectuels Raoul Nathan aurait alors retourné sa veste. Fidèle des fidèles des différents princes au pouvoir, il découvre soudainement la fourberie de Rastignac et s’élève contre cet individu plus prompt à servir des intérêts obscurs qu’à défendre le peuple. Chez les petits commerçants condamnés à la faillite par les décisions du pouvoir, les figures de César Birotteau et Félix Gaudissart auraient alors donné corps à des drames qui sont totalement évacués de l’actualité.

Balzac eut sans doute consacré un livre à l’homme de l’ombre, celui qui a fait Rastignac et pour lequel celui-ci travaille. Jean-Esther Van Gobseck s’est montré avisé en lançant la carrière de ce jeune premier prometteur. Il reçoit en retour des dividendes importants tandis que le bon peuple est taillable, amendable et corvéable à merci sous la tyrannie de la finance.

Oublions ceci et laissons à regret Honoré vivre son éternité en paix. Il est malgré tout dommage que personne ne se lève pour dépeindre les noirceurs d’une crise qui mériterait une immense saga. La Covidie humaine a un titre, il ne lui reste plus qu’à hériter d’une grande plume.

Balzaciennement vôtre.


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