La flottille du Prince
par C’est Nabum
lundi 19 août 2013
Le Bonimenteur va se faire des amis ...
Le pouvoir de diviser et celui d'en rire ...
En un temps lointain, il était un Prince qui régnait sans partage sur sa contrée. L'homme était connu de tous pour ses caprices et son esprit de cour. Il lui était venu à l'esprit, si cette expression peut lui convenir, d'installer en bord de Loire un immense palais dédié au jeu de paume. Ses conseillers n'avaient pas leur mot à dire, quand Prince veut, Prince doit avoir, même quand le Trésor Royal refusa sa côte-part.
Mais ceci échappe au propos du moment. C'est vous le savez bien, la Loire qui est notre sujet de prédilection, tout comme elle fut le moyen pour ce grand notable d'assoir son autorité et de faire rayonner sa province. C'est là, il faut bien l'avouer, son titre de gloire. Le Prince fit tant et si bien que sa bonne ville devint le siège de la confrérie des marchands allant sur la Loire et les rivières allant à icelle. Pour célébrer cette reconnaissance au sein du Royaume, il fit même tous les deux ans, une fête si grande et si belle qu'elle fit encore plus pour sa renommée et son prestige !
L'homme n'était pas un inconséquent. Il avait de la suite dans les idées et des envies de grandeur. Pour concurrencer le canal percé par Henry IV qui allait de Briare à la capitale, il fit à travers la forêt une longue voie navigable qui évita aux bateaux venant du Ponant d'aller au-delà de sa ville. Son canal leur ouvrit les bras pour aller faire commerce à quelques encablures de la maison du Roy, son maître !
Pour marquer son attachement au fleuve tout en accordant aux manants quelques menus plaisirs, il fit l'acquisition d'une flottille princière. Trois belles embarcations toutes rendant honneur par leur girouet à Dame Jeanne, la sainte et héroïne locale. Il est vrai que les mariniers avaient joué un rôle actif dans la victoire de celle-ci sur les maudits anglois.
Le Prince devinait qu'il disposait là d'un moyen fort commode de plier à sa botte les mariniers, gens toujours prompts à la querelle pour peu qu'ils aient, comme souvent, abusé du bon vin de nos coteaux. Ses bateaux, orgueil de la cité, iraient aux plus serviles de ces marins d'eau douce. Pour les remercier de leur allégeance, ils auraient le privilège immense, une fois l'an de porter celle qui se faisait passer pour l'héroïne lors des fêtes célébrant la victoire de la dame.
En contre partie, le Prince accordait à ses valets, le droit d'utiliser à loisir, les bateaux de la cité. Privilège impossible, cela va de soit, à ceux qui n'avaient pas accepté de mettre un genou à terre. Des fêtes étaient même créées de toutes pièces pour que les favoris puissent briller. La Gazette de la province était mise à contribution, les crieurs dans les rues chantaient les louanges de ceux qu'il fallait faire briller.
Malheur aux marins rétifs, aux ménestrels qui se refusaient au joug princier. Il récoltait mépris et indifférence pour prix de leur indépendance. Rien pour les uns et tout pour les autres. L'art de bien gouverner passe nécessairement par le savoir-faire délicat de diviser les siens. À ce jeu, notre Prince n'avait pas son pareil et la tension et les jalousies irradiaient les quais.
Dans cette belle cité, les mariniers en vinrent à célébrer deux saints patrons différents. Même Dieu n'y reconnaissait plus les siens ! Les querelles de clochers devinrent conflits de quais et bientôt batailles navales. D'autant plus, qu'un pendable bouffon, aimait à plaisir jeter de l'huile sur la marmite déjà bien chaude, par des libelles honteux et fort mal tournés. De celui-ci, nous ne dirons rien, il ne respecte rien, n'a ni Dieu ni maître et n'aime rien tant que semer la zizanie et l'outrance !
Le Prince et ses conseillers obséquieux se moquaient des gueux tout autant que de la chose. Pourtant dans la cité et plus loin dans les autres provinces longeant la rivière, on se gaussait du spectacle pitoyable qui s'offrait à tous. Nul désormais n'était dupe de la farce qui se jouait dans la cité, des torts réciproques de chacun. Tous s'accordaient à rire aux éclats des grimaces qui se jouaient là, avec la Loire pour misérable prétexte.
C'est à l'occasion d'une fête locale célébrant une construction humaine pour partager la rivière en deux qu'au nom du Prince, certains poussèrent le bouchon trop loin. La division finit toujours par épuiser les troupes, elle porte en elle, le mal sournois de la discorde et de la rancœur. Ce n'est certes pas le rôle d'un Prince que d'encourager ce fléau. Bien qu'il fut en rien responsable des discordes, il allait l'apprendre à ses dépens ….
Le temps arrivait de sa belle et grande célébration de la rivière. Tous les marins d'eau du pays et même des nations voisines allaient converger vers cette cité aux pratiques vénéneuses. Ils savent désormais, pour l'avoir lu, sous la satyre d'un bouffon, que les apparences ne sont pas le reflet d'une triste vérité qu'il n'est plus possible de leur cacher. Il sera bien difficile de continuer ainsi à faire bonne figure aux uns et à tourner le dos aux autres. Un prince doit être équitable ou accepter de subir les quolibets et les moqueries furent-ils jeter dans son dos ...
Il était grand temps qu'il accepte enfin de mettre tout son monde autour d'une seule et même barre et de jouer la partition de la réunion. C'est à ce prix qu'il sauvera sa réputation et pourra avancer la tête haute lors des belles cérémonies dont il sera le maître d'œuvre. On ne peut tirer indéfiniment parti d'une politique qui devient mesquine à force de faire les yeux. Il se trouve toujours un bouffon pour en faire des gorges chaudes. Le rire peut abattre bien des châteaux de cartes ! Il ne faudrait pas que la demeure princière soit faite de cette humble matière !
Irrévérencieusement leur.