Le bel attelage que voilą !
par C’est Nabum
lundi 4 mars 2019
Archimède a la pépie.
Laissons Archimède à son petit travers, c’est justement lui qui va donner matière à cette histoire. Il est assis sur une pierre blanche, en guise de banc, placée juste devant la porte de l’estaminet. N’ayant comme à l’accoutumée aucune pièce en poche, le brave homme compte sur la générosité des habitués de l’endroit.
Le premier à se présenter devant lui est un maquignon, fort réputé dans tout le pays par sa pingrerie tout autant que sa rudesse dans son négoce. L’homme, à sa mine satisfaite, a dû réaliser de bonnes affaires. Un portefeuille apparemment rebondi constitue une bosse que le quémandeur ne manque pas de remarquer sous la biaude de sa proie. Archimède boute son béret et le plus gracieusement possible, après moult compliments lui demande s’il peut lui offrir une chopine de rosée.
Le marchand jure qu’il a gagné son argent par son travail et qu’il n’entend pas entretenir la fainéantise d’un va-nu-pieds, d’un propre à rien, d’un parasite et d’une gueule à vin. Si pour les trois premières remarques, l’homme se démarque nettement de celui qu'il humilie de la sorte, à la vue de sa trogne, il est douteux que le dernier qualificatif ait pu tout aussi bien le désigner.
C’est pour cette dernière remarque qu’Archimède, habituellement placide et indifférent aux quolibets dont il est coutumier, se prend de rogne contre ce prétentieux marchand. Qu’il soit pingre, passe encore mais mal embouché, c’en est trop. Le clochard dispose de pouvoirs mystérieux. C’est d’un geste menaçant de son bâton magique, qu’il .. transforme dans l’instant l’indélicat en un vieux mulet à qui il botte la croupe en lui disant d’aller boire l’eau de la rivière. L’animal la queue basse et les oreilles rabattues n’a d’autre solution que d’obéir !
Quelques minutes plus tard, un femme bien mise, une maraîchère fort gironde qui a vendu tous ses légumes au marché du bourg, va franchir à son tour la porte cochère pour pénétrer dans l’auberge qui est aussi relais de poste. Le vagabond, homme soucieux de rester galant avec les dames, se lève, lui fait révérence et se permet de lui réclamer, le plus poliment du monde, quelques pièces pour se rafraîchir le gosier.
La dame au lieu de lui rendre son salut et lui accorder une réponse, se contente de le repousser d'une rebuffade accompagnée d’un profond soupir qui n’inspire rien de bon. Elle n’a sans doute pas l’intention de perdre son temps avec un tel sacripant. Archimède prend la mouche, il se sent piqué par la moue dédaigneuse et sans doute méprisante de la paysanne opulente. Une fois encore, il joue du bâton et après l’avoir métamorphosée en une solide jument de trait, il s’octroie qui plus est un petit plaisir, lui caresse la croupe en la guidant vers le pré voisin ou un mulet broute depuis quelque temps.
Un quart d’heure passe durant lequel le mendiant se sent défaillir tant sa gorge est sèche. C’est alors qu’arrive un colporteur croulant littéralement sous le poids de son fardeau. Il porte sur le dos, sa boutique ambulante, une boîte capable de s’ouvrir pour laisser apparaître les marchandises qu’il propose à la convoitise des clients. Le tout est fixé par des sangles qui lui scient les épaules.
Le colporteur spontanément salue Archimède qui comme les deux fois précédentes, humblement réclame un coup à boire. L’homme dépose son fardeau près de son quémandeur, rentre dans l’auberge et en sort avec une chopine de vin rouge et deux godets, l’un pour le clochard et l’autre pour lui. Archimède boit goulûment, il a si soif ! Puis la chopine vidée, il entreprend de savoir où se rend le marchand, chargé de la sorte. Le colporteur de lui raconter qu’il a encore dix lieues à parcourir avant que de rejoindre l’atelier du maréchal ferrant qui doit avoir terminé de recercler les roues de sa charrette à bras.
Le colporteur de se confondre en remerciements, retourne quérir une nouvelle chopine. Il charge ensuite la mule de son bât encombrant et pesant tandis qu’il enfourche la vieille ganache. Avant de partir, il demande à son bienfaiteur comment lui restituer ses animaux. Le vieil homme de lui conseiller de prendre une badine bien souple et d’en donner un grand coup sur la croupe de ses animaux. Ainsi, ils retrouveront d’eux-mêmes leur chemin.
Le colporteur termine son parcours de la manière la plus confortable qui soit. Arrivé chez le ferrant, il trouve sa charrette prête. Il hésite bien quelques instants, se dit que la mule pourrait lui faciliter le travail. Mais l’homme est honnête, il a promis, il fait comme le vieux a demandé. Il y a là un noisetier idoine pour couper la plus belle badine qui soit. Il en cingle la croupe de ses deux récents compagnons qui partent immédiatement au galop.
Quelle ne fut pas la surprise du colporteur de les voir tour à tour retrouver leurs formes initiales à quelques pas de là ; l’âne en marchand, la jument en une paysanne. L’histoire pourrait s'arrêter là mais ces deux-là s’étaient découverts durant leur transformation bien des points communs. Comme jusque là, leurs caractères bien trempés les avaient éloignés du commerce des autres, ils étaient tous deux célibataires endurcis.
Ils se trouvèrent en harmonie, se marièrent peu de temps après. Pour leur noce, ils cessèrent de se montrer pingres. Le colporteur leur vendit toutes ses babioles tandis qu’Archimède fut convié au repas ainsi que tout le voisinage. De la fête, il ne faut retenir que la formidable cuite prise par le vagabond. Pris de trop de besoin, il subit bien malgré lui la facétie du colporteur qui fort de l’histoire qui lui avait été confiée, s’empressa de prendre le bâton du clochard pour le pointer vers lui. Le malheureux fut dans l’instant transformé en cochon. Comme les victuailles venaient à manquer, c’est lui qui offrit de quoi poursuivre les agapes. Voilà ce qui arrive à qui aime à jouer des tours de cochon aux autres !
Métamorphosement sien.
Tableaux de Jean Commère