Le cul entre deux chaises

par C’est Nabum
vendredi 6 septembre 2013

Ma première leçon ...

Quand la métaphore prend l'eau.

Dans ce monde fondamentalement matérialiste où notre jeune relève abandonnée aux démons de l'inculture se vautre dans le premier degré, l'intrusion de la métaphore provoque un cataclysme, un tsunami d'incompréhension. La société de l'image n'admet pas qu'elle soit suggérée et non bêtement étalée. Il en va de même pour l'alimentation où les produits pré-mâchés sont désormais préférés à ceux qui résistent et qui demandent quelques efforts de mastication.

Alors, laissons ce cul entre deux chaises s'effondrer de toute sa hauteur. Les virtuoses de la petite note poétique, de la comparaison animalière, de la variation morphologique en sont pour leurs frais, ils n'ont plus qu'à passer la main devant les constipés de l'imagination, les pragmatiques du sens ! On ne joue plus avec les mots, on a déjà bien du mal à en comprendre le sens littéral.

Alors, vous n'imaginez pas les difficultés d'aborder cette forme pourtant si simple de l'expression. Le professeur s'arrache les cheveux, il finit par en perdre la tête devant des élèves qui restent les pieds plantés dans la boue d'un langage sans fioriture. Seul l'argot se permet quelques fantaisies comme si quelques fleurs poussaient encore au plus secret des pavés.

Le vieux singe peut faire des grimaces, elles ne font plus rire ceux qui regardent dans le creux de la main lorsqu'il évoque un poil qui y pousse. Bienheureux encore quand il ne se perd pas dans quelques allusions en noir et blanc qui sont vécues comme une insinuation (mot inconnu du reste) de nature xénophobe. N'allez pas faire patte blanche ni broyer du noir, vous risqueriez une émeute.

L'expression se limite, le pinson fait son « coming-out » quand il se prétend gai. Le crocodile n'a aucune raison de pleurer, l'âne peut monter le son s'il est sourd comme un pot et les alouettes se mirer dans un miroir, tout peut se mêler et se confondre ; le sens se perd dans les failles du lexique et l'incapacité chronique à sortir du cadre.

Travailler l'image, pousser à la construction ou à l'identification de formules stylistiques est peine perdue, un coup de pied dans l'eau, une bouteille à la mer, une miction intime dans un violon n'auront aucune chance d'évoquer la moindre idée ni de déclencher la plus petite étincelle. Nos jeunes égarés de la prose restent bouche-bée et la tête vide !

Pourtant, il se trouve encore quelques phraseurs d'exception qui sortent du caniveau. Dans les quartiers surgissent des pépites, des rappeurs flamboyants, des slameurs enchanteurs, des virtuoses du mot et de son habillage, des marieurs de sons et de rimes, de figures et de tournures. Mais leurs auditeurs n'y comprennent goutte, ne perçoivent que la surface des choses. Ils sont incapables de saisir la beauté du texte.

Comment les prendre par la main, les tirer par l'oreille et les attraper par le cœur ? Même ces textes qui font partie de leur quotidien ne leur sont pas sensibles. Le plaisir passe par la seule rythmique et une macédoine de signifiants qui est broyée dans la moulinette de leur réflexion. Cette magnifique confiture devient un infâme brouet qu'on ne donnerait pas à des pourceaux.

Je n'ai pas de réponse, je donne ma langue au chat ! Pourtant, je conserve, chevillée au corps la certitude que cette fois, le déclic aura lieu, que la lumière surgira des ténèbres et de l'orage. Un éclair, un seul petit éclair suffirait à les mettre en action. Mais je risque une pluie de jurons, une averse de mots vulgaires, une tempête de chahut et d'invectives .

Oui vraiment qu'il est difficile de travailler la langue avec des élèves qui l'ont si chargée. Leur langue n'est pas vivante, elle agonise dans un ruisseau d'immondices ou nulle paillette ni pépite ne sortira des maigres filets d'eau qui suinteront de leurs stylos. Pourtant, j'espère encore, demain le soleil se lèvera sur un autre jour, un jour d'espoir et de métaphores spontanées.

Illusoirement leur.

Gael Faye :

« Métis »

Depuis mes sources du Nil jusqu'en haut de la Tour Eiffel

J'aurais tout fait jusqu'à m'en étouffer

J'aurai tout jeté, mes refrains, mes couplets, écoutez

Le studio, je l'aurai fermé, le micro, je l'aurais coupé, j'ai douté

J'avance sur des chemins cahoteux

Venez goûter mes vérités dans les bouquins de Jean-Paul Gouteux

Dégoûté d'avoir une vie non méritée

Regardez, je suis brillant mais je reflète l'obscurité

Identité de porcelaine, j'ai fait ce morceau là

Pour assembler le puzzle d'un humain morcelé

Jamais à ma place, des frontières j'effaçais

Mais frais comme Damas mon sentiment de race

Blanc et noir, quand le sang dans mes veines se détraque

Je suis debout aux confluents du fleuve et du lac

Mon métissage c'est pas l'avenir de l'humanité

Mon métissage, c'est de la boue en vérité

 

Quand deux fleuves se rencontrent, ils n’en forment plus qu’un

et par fusion nos cultures deviennent indistinctes

Elles s’imbriquent et s’encastrent pour ne former

qu’un bloc d’humanité debout sur un socle

Et quand deux fleuves se rencontrent,

Ils n’en forment plus qu’un et par fusion nos cultures deviennent indistinctes

Elles s’imbriquent et s’encastrent pour ne former qu’un bloc d’humanité

 

Un beau bordel chromosomique, demande à Bentton, mais laisse béton

On aura beau se mélanger on restera des cons

La race humaine un clébard marquant son territoire

Gueulant l'appartenance à son département, ni blanc ni noir

J'étais en recherche chromatique

Mais le métis n'a pas sa place dans un monde dichotomique

Donc c'est dit c'est dit je suis noir dans ce pays

C'est pas moi qui l'ai voulu je l'ai vu dans le regard d'autrui

C'est comme ça, laisse-les chanter nos mélanges de couleur

Laisse-les parler de diversité, de France black, blanc, beur

On serait tous métis, le reste c'est de la bêtise

Voilà que j'ironise sur ce que les artisans de la paix disent

J'ai pas de frontière, j'ai pas de race

Je suis chez moi partout sans être jamais à ma vraie place

Mon seul pays c'est moi, mon seul amour c'est toi

Toi l'autre différent mais au fond si proche de moi

*

Métissé, prisé ou méprisé, j'ai dû m'adapter

Ballotté entre deux cultures ça commence à dater

Adolescent, complexé toujours en quête d'identité

Y avait le blanc y avait le noir, j'étais celui qui hésitait

J'évitais de choisir à l'âge où l'on veut faire partie

Endossant la faute de tous les camps je devenais martyr

On m'a dit 50/50 mais j'y ai pas trouvé mon compte

Car le glacier fusionne à l'océan à la saison des fontes

Je soupire, ça transpire, la connerie, ça s'empire

Quand on m'appelle le sang-mêlé, sous-entendu, issu de sang pur

Je vois bien ces questions ne nous mènent à rien

L'humanité est colorée donc, soyons daltoniens

Je vous parle d'amour, vu qu'il expire dans un mouroir

Je suis mulâtre, ébène albâtre voulant abattre le miroir

Et comme l'Afrique est en instance de sang entre ciel et Terre

J'ai le cul entre deux chaises, j'ai décidé de m'asseoir par terre !

*

[Chœurs de Fin] (en dialecte Dioula)

Kouma chaman fôla
Ota fôla a kélé yé
Kouma chaman fôla
Ota fôla hèrè yé


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