Le discours apocryphe de Nicolas Sarkozy

par Bernard Dugué
mardi 15 janvier 2008

Chers compatriotes, vous croyez me connaître et vous n’avez pas tort. Autant alors me confesser auprès de vous et dire ce que je pense. On a dit tant de choses sur moi. Que je suis un hyper-président, je suis un fanfaron bling bling, je veux contrôler tous les médias. N’en rajoutez pas. En fait, je veux juste défendre mes valeurs, mes amis, mes acquis et, donc, rester célèbre, au sommet de l’Etat, être connu dans le monde, autant que Jésus-Christ, et me faire réélire en 2012 en ayant mis en œuvre mes desseins d’homme au destin capricieux soucieux de gagner la partie, rester number one, foutre en l’air mes adversaires, autant sur le plan politique que sur celui des idées. C’est jouissif. Je ne suis qu’au début de mon aventure à la présidence. Déjà j’ai osé, heureux comme un gamin qui près de la fenêtre ouverte d’un commissariat crie, mort aux flics, je l’ai fait, je l’ai dit, dans toutes les chaumières qui reçoivent la télé, mort aux 35 heures ! Enfin, je n’ai pas employé des termes aussi grossiers. J’ai juste dit que c’est fini. Comme d’ailleurs j’avais dit un jour qu’il fallait liquider Mai-68. On s’est bien marré ce soir-là au Fouquet’s, avec Guaino et Reno. Vous allez me trouver un côté revanchard. Eh bien je l’assume complètement. Je suis comme le Français moyen. Quand il a subi pendant vingt ans la vue de son voisin heureux et désinvolte, artiste et intermittent, choyé par les collectivités locales et que lui bossait durement et ne pouvait pas se payer la voiture de ses rêves, eh bien ce Français-là, il est content que la roue tourne, surtout s’il a la chance de faire quelques heures supplémentaires et si son voisin commence à crouler sous les dettes, parce que son théâtre subventionné a fermé, eh bien il se réjouit. La joie, même entachée de ressentiments, c’est un élément de satisfaction et, moi, je vous dirais, à mon niveau de président, je suis heureux, vous ne pouvez pas savoir à quel point, de voir les socialistes s’enfoncer dans la mouise, se déchirer, ah, ce combat entre un coq et une poule pour la direction du PS, je m’en amuse, et puis, ça fait de la place à Besancenot, il me plaît celui-là. J’ai tout appris de Mitterrand, je ferais en sorte que l’extrême gauche ait quelque impact pour pourrir les chances du PS en 2012. Je serais même prêt à mettre un peu de proportionnelle. Et puis j’allais oublier, quel plaisir de renvoyer dans la farine ce Joffrin qui dirige un journal fondé par ceux qui ont été tant appréciés, ces gauchistes de 68, July et Sartre. Vous me direz que Sartre n’a fait que regarder les événements. Et alors, qu’en savent les gens, ils ne lisent plus et je peux même vous dire que Jaurès était sarkozyste. Je sais qu’une majorité me croira. Le Français, c’est pas plus intelligent que l’Américain, qui en majorité croit que Dieu a créé le monde et que le Soleil tourne autour de la Terre.

On me reproche un séjour à Malte puis un autre à Louxor. Eh alors. Chirac allait bien dans des suites à l’île Maurice, mais en se cachant. Avec moi, c’est transparent. Non seulement je me fais plaisir, mais en plus je suis célèbre, on me voit autant que les Beatles en leur temps, je voyage en limousine et je passe en plus pour un homme de la transparence, un vrai démocrate, même si ce mot ne veut plus rien dire. Alors pourquoi refuser ces petits plaisirs ? Surtout que ça n’a pas une grande incidence. Les Français, le général disait que c’étaient des veaux. Moi je dis que ce sont des faux-culs. Devant la dame du sondage, ils vous diront qu’ils sont scandalisés, mais, au font, ils en rêvent tous, de luxe et de se payer un top model, et ne croyez pas qu’ils sont jaloux. La plupart me reconnaissent le droit à ces plaisirs de riche. J’ai quelques proches qui ont lu Ellul et m’ont expliqué la propagande et la présence du religieux et même du sectaire. Prenez Raël, il a embobiné ses adeptes qui payent pour qu’il puisse pratiquer la course automobile, son dada, comme pour mon Fillon, un dada qui coûte cher, mais sachez que tous lui reconnaissent ce droit du moment que Raël leur donne du sens et les rend heureux. Moi j’ai fait pareil avec une majorité de Français. Ils ne m’en veulent pas d’aller dans les palaces du moment que je leur ai redonné une espérance dans la France d’après. Et les autres me direz-vous ? Eh bien je les respecte, c’est leur droit de ne pas être d’accord, ils peuvent s’exprimer et si ça ne leur plaît pas, ils éliront quelqu’un autre en 2012. Leur seul problème, c’est qu’ils ne sont pas majoritaires et qu’ils ne le deviendront pas. Vous l’avez compris, je suis le président de tous les Français, mais pour me faire réélire, je n’ai besoin que de contenter une majorité d’électeurs.

Le pouvoir d’achat, parlons-en. C’est là que ça risque de coincer. Pourtant, j’ai quelques outils que je vais donner à mes ministres pour qu’ils en fassent bon usage. Le travailler plus. Pas crédible ces histoires d’heures supplémentaires défiscalisées ? Eh bien figurez-vous que ça marche pour quelques-uns et que l’essentiel c’est de faire croire que ça marche pour le plus grand nombre. Pour gouverner, il ne faut pas donner satisfaction à tous, et puis de toute façon, les gens sont des ingrats. Il suffit donc de faire croire une majorité à la justesse d’une mesure dont ils sont persuadés qu’ils pourront en profiter un jour. Pour les fonctionnaires, j’ai trouvé la solution, partager moins pour gagner plus. Le calcul était si simple. Comme un problème de robinet. Vous disposez d’une somme chaque année, à distribuer à un certain nombre et vous voulez que chacun ait un peu plus l’année suivante. Réfléchissez. Il suffit de partager avec moins de personnes. C’est facile à faire. D’autant plus qu’il y a des départs à la retraite. Pas besoin de jeter les gens, il suffit de ne pas les remplacer. Avec 1 % de masse salariale en moins, j’offre un point de pouvoir d’achat à la majorité qui reste. C’est pas moral ? Peu importe, ça se fera. Je connais bien ce qui s’est passé dans l’entreprise ces vingt dernières années. Les syndicalistes ont accompagné les trains de licenciement, les gens n’ont pas bronché sauf dans de rares cas assez médiatisés. Pour la plupart, l’essentiel est de sauver leur situation. Ceux qui sont restés sur le carreau, ils ont vite été oubliés par leur entourage. Est-ce ma faute ? Les gens ne sont pas moraux ou, s’ils le sont, c’est de moins en moins. Je n’y peux rien si les gens divorcés sont délaissés par leurs amis et pareil pour les chômeurs. Il y a les nécessités économiques, il faut qu’une majorité progresse et, bien évidemment, une solidarité pour ceux qui restent. Voilà pourquoi j’ai dit qu’il fallait envoyer les gosses chez les curés. Ce sont eux qui peuvent apprendre le sens moral aux jeunes et, d’ailleurs, on devrait aussi en faire autant pour les adultes. D’ailleurs, je proposerai qu’on permette aux grandes entreprises de créer une aumônerie, même une petite chapelle ou alors une permanence pour un curé dans les PME, le tout défiscalisé. Il y a bien une assistance sociale dans chaque usine Dassault alors pourquoi pas un assistant moral !

Pour les fonctionnaires, il se peut qu’il y ait un problème, une résistance, car ils risquent d’être en surcharge. Pour pallier cet inconvénient, je vais créer les CPC, contrats première chance, des contrats spéciaux, un peu plus intéressant que les CES, mais moins onéreux que les emplois jeunes. Notez bien que j’emploie le mot chance et pas embauche qui rime avec débauche. C’est une assurance de bien faire entendre le projet. Et ça passera, du coup je pourrai me moquer de Villepin et du sort réservé à son CPE. Le soir au Fouquet’s, quand mes amis ont bien bu, ils disent de Dominique que c’est un avocat derrière le barreau. A propos du CPC, je récupère l’idée des socialistes. Ca va les faire bisquer, mais ils ont l’habitude. Dans le PS, c’est comme dans le cochon, il y a du bon partout, dans les idées et dans les hommes et, moi, je récupère tout. Les CPC, ça va permettre de compenser la baisse des effectifs de fonctionnaires. Je réduis de 2 points la masse salariale globale, sur ces 2 points, j’en prends un pour le pouvoir d’achat de ceux qui restent et un pour créer les CEC qui vont compenser la perte d’effectif et seconder les valeureux fonctionnaires qui ne vont quand même pas mégoter sur quelques détails moraux. Le sens moral se délite. C’est bien pour cette raison que j’ai proposé les franchises médicales. Pour la plupart, ça ne va pas coûter bien cher dans le budget et, pour les autres, il y aura moins dans l’assiette, mais une fois qu’on s’est habitué à la pauvreté, on n’y prend plus garde. Les pauvres et les handicapés, vous ne pouvez pas savoir, on les aide et ça ne fait que râler. Alors cette année, je n’ai augmenté que d’un point l’AAH et le RMI. C’est scandaleux me direz-vous, surtout quand l’essence augmente. Mais de toute façon, ils n’ont pas les moyens d’avoir une auto pour la plupart. Et puis c’est pas normal, un Rmiste qui dispose d’une voiture alors que son voisin part à six heures du mat en mobylette dans le froid de l’hiver. Voilà pourquoi j’ai chargé le ministre d’inclure le train de vie dans le droit au RMI. Comme ça, le Rmiste devra vendre sa caisse et s’acheter un vélo. Du coup, celui qui part en mob à six heures se sentira moins pauvre et, dans quatre ans, il votera pour moi.

Je suis tout de même satisfait de mon dernier coup. La clause de sauvegarde déclenchée auprès de Bruxelles à propos du maïs Monsanto. Le sujet est tellement sensible que je passe pour un héros auprès des citoyens qui croient que j’ai osé défier le monde agricole. Si, c’est vrai, ma cellule de veille médiatique m’a même informé de quelques commentaires allant dans ce sens sur un site indépendant, Agoravox je crois. En fait, il n’y a qu’une poignée d’utilisateurs du M810 qui seront concernés alors que ça va contenter une majorité de cultivateurs bio, eh oui, ils sont nombreux et aussi satisfaire l’opinion publique. J’ai osé défier Monsanto comme Chirac avait défié Georges Bush sur la guerre de l’Irak. C’est pas du même niveau me direz-vous, mais l’essentiel est de me faire réélire dans quatre ans. Chirac, l’Irak, ça ne l’a pas empêché de devenir impopulaire. Moi je ne risque rien, pas besoin de piller dans les caisses de la mairie pour quelques frais de bouche et les casseroles qui s’ensuivent. Je n’ai qu’à appeler quelques amis de par le monde, je me ferai inviter et je suis sûr qu’ils se bousculeront. D’autant plus que Carla viendra avec sa guitare pour quelques moments de concerts privés. Je les connais les milliardaires. Ils ne savent pas quoi faire de leur fric. On m’a rapporté que certains seraient prêts à débourser 100 000 euros rien que pour avoir à leur table Bono qui chantera a capella au dessert.

Je vais donc continuer à m’activer, mener un train d’enfer, j’aime ça et puis je vais me faire réélire en 2012. J’ai toutes les cartes entre les mains. J’ai réussi à persuader deux Prix Nobel de réfléchir à de nouvelles mesures pour mesurer le PIB. Au besoin je créerai d’autres comités pour travailler sur quelques sujets sensibles. L’important c’est d’agir, d’avoir des résultats et ça, je peux le faire pour beaucoup et surtout ceux qui influent sur l’opinion par leur position sociale, un ami sociologue m’a même parlé de porosité. Et puis persuader les gens que les réalités ne sont pas celles qu’ils voient, mais ce que quelques experts décident de voir. On me reproche de contrôler les médias. Ce n’est pas tout à fait vrai. Ce sont les médias qui sont à ma botte par je ne sais quelle servitude apprise sans doute des anciens règnes. Tant de choses sont dites à ce sujet que je m’en amuse. Ca fait diversion. Les gens oublient la politique. Ils ont la plupart les moyens pour réfléchir. Les médias indépendants ne manquent pas. Mais les Français, ce ne sont plus les veaux du général, mais des moutons qui se précipitent sur la Une et puis se vautrent sur la Deux et Paris-Match et Gala. Il est vrai que j’ai parfois la tentation de maîtriser mon image et de contrôler quelques opérations médiatiques et je me demande si ce n’est pas une bonne tactique. Car je marque quelques points du côté de mes supporters et face aux opposants, ça me permet de faire diversion. Du coup, l’opposition perd son temps sur ces questions pas vraiment importantes et oublie comment se fait la vraie politique en tirant sur le leurre que je mets à leur disposition. Les journaux d’opposition perdent leurs munitions.

Pour l’essentiel, la France est un pays qui ne fonctionne pas si mal, avec des gens compétents et bien formés, mais des lenteurs, des blocages et des pesanteurs. Quels boulets ces assistés et ces situations acquises. J’ai parlé de rupture et de politique de civilisation. Je me fais des idées, je suis un peu mégalomane, mais on me le pardonnera car je suis ambitieux pour la France et surtout pour moi qui, je l’espère, rayonnera autant que mon pays. Je me plais à m’illusionner. En ce sens, je suis le vrai pote des Français qui eux aussi, savent s’illusionner et, comme je les connais bien, je sais qu’ils sont de purs Occidentaux, capables de raisonner et ratiociner sur des réalités qui n’existent pas. D’ailleurs je m’en suis amusé, lorsque j’ai lancé ce concept de politique de civilisation. Les gens ont réagi comme ils réagissent quand ils entendent parler l’altermondialisme. Pour le reste, la société française est dans une vitesse de croisière bien établie, avec ses points forts et ses faiblesses. Je redoute quelques effets économiques, mais, sur le fond, tout ira de son train habituel sur lequel je peux greffer quelques réformes. Vous pensez que je vais redresser la France. Détrompez-vous, je ne vais que la gérer. Mais pour être populaire et me faire élire, j’ai dû vous faire croire que j’avais la carrure du général. Je ne changerai pas la France, je veux juste la commander et me faire réélire. Je ne suis pas plus mauvais que d’autres et d’ailleurs le moins mauvais. C’est ce que me susurre l’ange du miroir. Mais je préfère l’archange des illusions qui me renvoie l’image du meilleur et c’est grâce à lui que je suis devenu président. Je me suis cru le meilleur, j’ai persuadé les Français que je l’étais, je n’ai plus qu’à utiliser les mêmes ficelles et ma réélection sera acquise. Je ne ferai pas de mal à la France, ni de bien d’ailleurs. Grâce à moi, elle aura le sentiment de changer et d’avancer. Je dispose de tous les instruments pour y parvenir. Enfin, je voudrais dire combien je suis désolé pour ceux qui restent sur le carreau, mais la France repose sur des gens dotés de compétences et de finances que je ne peux trahir. Je me dois de leur assurer la progression de leurs moyens, ou du moins leur maintien, puisque ces gens travaillent ou font travailler leur argent. Je ne peux pas me permettre de priver les Français de bonne classe de leur séjour à Courchevel, du dernier coupé BM pour Monsieur et du sac Vuitton pour Madame. Ces gens-là ont du mérite. D’ailleurs, depuis bien longtemps j’ai travaillé mon mental et mes convictions pour être certain que les pauvres ne doivent leur situation qu’à leur démission face aux labeurs de l’existence. Je fais coup double, je limite les aides aux déclassés et je décomplexe en même temps ceux qui sont en pointe dans l’existence des classes et le progrès social. Je suis d’ailleurs l’homme du progrès social. C’est un nouveau concept que je vais lancer, après la politique de civilisation. Le progrès social, qui bien entendu, se distingue du progrès socialiste. Sur ce coup, je leur pique une racine étymologique et je leur dame le pion !

Mes chers compatriotes, je vous dois respect, reconnaissance, surtout pour la majorité qui va me réélire en 2012. Vive la France, vive la République, vive moi !


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