Le fait religieux en entreprise

par Eratosthène
samedi 9 novembre 2019

Notre correspondant spécial, Marcel Dubois, est allé à Versailles, ce 15 mars 19, pour enquêter sur le fait religieux en entreprise. Ses découvertes sont alarmantes. Voilà le compte-rendu de son récit chez l'entreprise Mantilles & Calices, entreprise de fabrication d'objets religieux, dirigée par Bernard De la Porte du Tiroir qui Coince.

"Qui se douterait que ces innocents locaux, situés au coeur de Versailles, abritent des employés fanatiques, faisant passer leurs intérêts religieux extrémistes avant la laïcité et les valeurs républicaines ? Et pourtant, de l'extérieur, elle n'a vraiment rien de spécial, cette petite entreprise familiale...

J'arrive donc, reçu par le Directeur général, un homme affable, d'une quarantaine d'années, vêtu d'un costume sombre et d'une cravate. "On va commencer par visiter la partie boutique, puis on terminera par les ateliers", me propose-t-il.

Nous entrons alors dans la boutique qui occupe le rez-de-chaussée. Voiles huméraux, conopées, custodes, calices...s'étendent dans cette petite salle, d'environ vingt mètres carrés. J'en fais le tour, admire les objets qui semblent de belle facture pendant que l'employé à la caisse, qui porte une immense croix pectoral, me regarde d'un air suspicieux. "Les signes religieux ne vous gênent pas ?" dis-je au Directeur. "On est bien obligé d'accepter. J'ai quand même réussi à éviter que les gens ne viennent au travail avec le costume d'un soldat Croisé, c'est déjà cela" me répond-il à voix basse.

Je continue mon tour de la boutique. On y voit aussi des livres, images religieuses, habits liturgiques... "Vous vendez uniquement des objets chrétiens, ou parfois des objets d'autres religions, comme l'islam ?" demandé-je au Directeur. L'employé à la caisse fait la grimace en entendant la question. Bernard De la Porte écarquille les yeux : "j'avais proposé de vendre la reproduction d'une image de Luther, j'ai eu une menace de grève du personnel au motif qu'il était protestant et donc hérétique et impie et qu'il ne fallait pas propager ses erreurs. Alors des objets musulmans ou juifs, pensez donc...." Je montre alors au Directeur la reproduction d'une icône de Roublev : "pourtant, vous vendez bien les oeuvres d'un orthodoxe !" Le Directeur reconnaît, mais ajoute :" j'ai dû autoriser les employés à ne pas encaisser les ventes de cette image, quand un client veut acheter cela, on me prévient, et c'est moi qui fais le caissier...En revanche, j'ai quand même exigé des manutentionnaires qu'ils acceptent de transporter les cartons qui la contiennent. A un moment il faut faire preuve de fermeté !"

Alors qu'un client rentre, l'employé, subitement, part de la pièce, après avoir posé un papier sur le comptoir. Je m'en approche "je m'absente pour cause de récitation de l'Angelus, je reviens dans quelques minutes" indique le papier. Le Directeur, qui a suivi mon regard, confirme "oui, ils ont un droit d'absence pour réciter l'Angelus, à 9h, 12h et 18h. Ce temps est payé, mais dans la limite de cinq minutes, pour éviter les abus. Ils ont une salle de prière, vous voulez la voir ?"

Nous nous dirigeons donc vers l'ascenseur pour monter à l'étage. Une employée femme portant le voile attend l'ascenseur. A peine nous a-t-elle aperçus qu'elle s'en va prendre l'escalier. L'ascenseur arrive, il est grand. "Je ne comprends pas, nous avions la place de monter à trois..." murmuré-je en montant. Bernard semble gêné : "elle est partie prendre l'escalier parce qu'elle estime qu'elle n'a pas à parler aux hommes ou à rester en leur présence, pas à cause de la taille de l'ascenseur".

Arrivés à l'étage, nous arrivons à la salle de prière. C'est une pièce assez spacieuse, avec un crucifix au fond. Quelques employés récitent pieusement l'Angelus pendant qu'un employé agite un encensoir devant une icône. J'interroge le Directeur : "Je suppose que c'est inutile de vous demander s'il n'y a que des symboles catholiques ici ?" Le Directeur sourit "c'est bien, vous comprenez vite ! J'ai quand même réussi à obtenir de haute lutte le droit de mettre un missel de 1969, il y avait des traditionnalistes furieux qui ne voulaient que le leur, celui de 1962, mais j'ai tenu bon ! J'ai quand même concédé que le missel de 1969 soit en latin et pas en français. Vous voulez venir déjeuner ?" Sur ma réponse affirmative il m'entraîne vers la cantine. Quelques employés sont attablés. Je m'approche du serveur et je lui demande ce qu'il a comme viande. L'employé me regarde, ahuri "on est en Carême ! Pas de viande, pas de lait, pas de beurre !" Je prends donc mon poisson - légumes et vais m'asseoir et commence à manger, sous les regards désapprobateurs des employés. Le Directeur me glisse "attention, il faut faire le benedicite, sinon vous vous faites mal voir..." Devant mon air interrogateur, il murmure quelques paroles en latin, puis "C'est bon, allez-y, vous pouvez manger".

Une fois le déjeuner terminé, nous allons visiter les ateliers. "Là, j'ai été très ferme", me dit le Directeur en guise de présentation. "Des salariés aux machines ont réclamé le droit de faire les signes de croix et de joindre les mains en récitant le Notre Père tout en travaillant. Hé bien c'est non. Pour des raisons de sécurité, si vous n'avez plus les mains sur la machine, comment vous faites pour contrôler ? Je ne veux pas d'accident de travail ! Ils doivent donc juste se limiter à réciter le Notre Père ou faire le signe de croix mentalement" L'atelier semble propre et bien entretenu. Les brodeuses s'affairent ici à damasser d'or une magnifique chape. Là un homme d'une cinquantaine d'années regarde d'un oeil expert un ostensoir qu'il travaille. "Heureusement qu'ils sont catholiques et pas Amish", me glisse Bernard. Je hausse le sourcil. Le Directeur explique "les Amish refusent l'électricité. Au moins je n'ai pas eu ce genre de problèmes avec les catholiques." On entend, assez bas, un "Ave Maria" de Schubert. "Oui, les employés ont le droit d'écouter de la musique, mais on m'a bien fait comprendre qu'il était impossible d'avoir de la musique, je cite, païenne et dégénérée. Donc on fait passer de la musique religieuse catholique".

Tandis que l'on redescend, une idée me vient subitement à l'esprit "Je suppose qu'aux élections professionnelles tout le monde vote CFTC ?" Le Directeur répond "non, elle fait 10 pourcents des voix, pas plus. La très grande majorité considère qu'elle est très molle et défend insuffisamment les valeurs chrétiennes et surtout se compromet trop avec les protestants, donc seuls les plus modérés votent pour elle ; on a un syndicat maison qui fait 90% des voix" Je ne tiens plus : "mais comment font les employés non catholiques ? Ils se font discrets ? Ou vous n'embauchez que des catholiques ? " Le Directeur se passe la main sur son front : "c'est vraiment compliqué. On a deux protestants, ils sont tolérés par les collègues parce qu'ils ont accepté de chanter les litanies de la Sainte Vierge à leur embauche, c'est le bizutage réglementaire. En revanche les orthodoxes ne sont pas trop mal acceptés, pour une raison bien simple : ils sont aussi peu favorables au Pape François que la majorité des catholiques de l'entreprise !"

Une sonnerie retentit, tout le monde se lève. "Encore l'Angélus ?" "Non, c'est l'office de None." Je regagne la salle de prières, mais celle-ci est vide : "où sont-ils ?" "Oh, pour l'Office Divin, ils vont sur le parking de l'entreprise. Au moins comme cela ils ne bloquent pas la rue". Je jette un coup d'oeil à la fenêtre : les employés sont en bas, en train de psalmodier l'office. Deux hommes, habillés en soutane et surplis, font office de chantres.

Je continue mes questions : "vous ne travaillez pas le dimanche ?" Le Directeur confirme : "ni dimanche, ni les fêtes d'obligation, ni la Saint Pierre et Saint Paul, ni l'octave de la Pentecôte, ni l'Octave de Noël, ni encore pas mal de fêtes diverses...Mon prédécesseur avait proposé d'ouvrir le dimanche avec des employés volontaires ; le jour dit il n'y en avait qu'un seul, et tous les autres salariés ont bloqué l'accès à l'entreprise, on n'a eu aucun client qui a pu entrer ! Donc je me garde bien de remettre le sujet sur le tapis"

J'ai terminé mon tour d'entreprise. Je remercie le Directeur et prend congé de lui, sans parvenir à comprendre où il se place, s'il est une victime involontaire ou un complice de cet état de choses. Le désir de maintenir la paix sociale et de ne pas faire de vagues a l'air d'être plus fort que l'adhésion aux valeurs citoyennes et républicaines qui nous rassemblent. C'est dommage, mais la lutte contre l'obscurantisme doit primer."

Bon, cela vous fait sourire ce genre de choses ? Alors quelqu'un peut-il m'expliquer pourquoi le Télégramme https://www.letelegramme.fr/france/travail-une-augmentation-des-pratiques-religieuses-constatee-en-entreprise-07-11-2019-12427748.php? a l'indécence d'illustrer un article sur les pratiques religieuses constatées en entreprise avec une croix alors que l'on sait pertinemment que la pratique religieuse en entreprise ne vient majoritairement pas des catholiques ni même des chrétiens ?


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