Le grand embouteillage

par C’est Nabum
lundi 25 octobre 2021

 

Le bouchon de liège

Un bouchon se forma à Liège au quart de sept heures et par un étonnant phénomène d'amplification bloqua Bouteille à la demi de vingt heures. Nombre des automobilistes ainsi en carafe se dirent qu'ils allaient boire le calice jusqu'à la lie. Certains plus pressés que les autres, sortirent de leurs véhicules pour fouler au pied les interdits de la maréchaussée. Marcher était devenu impropre à la santé humaine, l'air ambiant étant saturé de miasmes et de pollution.

Bientôt il y eut un tel désordre que ces piétons contraints s'entrechoquèrent, que les véhicules immobilisés furent pour eux les raisons de la colère qui ne manqua pas de tourner au vinaigre. Le bouchon en question fut le prétexte qui laissa se déverser un flot de mécontentement trop longtemps retenu.

La bonde avait sauté, plus rien ne pouvait arrêter l'ire générale. Un torrent d'insultes, d'horions et de vilains gestes que les uns attribuaient à l'ivresse du moment tandis que d'autres pensaient qu'il fallait qu'un jour enfin sautent les plombs dans une société où tout allait désormais de travers. Tout allait à vau l'eau depuis si longtemps, il n'était que normal que rompent un jour les digues qui jusque-là avaient contenu tant d'exaspération macérée !

Quand le vin est tiré, il faut le boire, la révolution cette fois allait naître d'un blocage total de la circulation. Prendre son pied pour tenter d'aller plus loin, fut le coup fatal porté aux adorateurs de la déesse automobile dans une atmosphère rendue électrique par toutes ces batteries qui se déchargeaient vainement. Que tous ces adeptes néophytes de la marche contrainte en viennent aux mains expriment non seulement leur ignorance des lois immuables de la bipédie mais plus encore une parfaite méconnaissance de leur morphologie.

Certains, nous ne pouvons le passer sous silence, firent des pieds et des mains pour obtenir un passe-droit, une mesure dérogatoire, pour prendre la tangente par une voie de dégagement. Mesure rendue impossible par la réaction des riverains, calfeutrés dans leurs demeures qui se refusèrent à voir les voies piétonnes adjacentes et néanmoins privatisées envahies par des ci-devant mis à pied.

Tous à la même enseigne. Piétons et automobilistes unis dans un même phénomène de blocage de tout mouvement. Les voies de communication étaient toutes aux arrêts. Si rien ne pouvait avancer, pire encore, la toile elle-même s'était figée. La grande panne avait gagné les centres névralgiques de la pieuvre numérique. Le bug de Facebook n'avait constitué en l'occurrence qu'un galop d'essai avant la grande paralysie générale et malheureusement finale.

Incapables de recourir à leurs si précieux téléphones mobiles, les prisonniers de cette phénoménale toile d'arrêt nié, se trouvèrent totalement désemparés. Incapables de penser par eux-mêmes depuis tant d'années, devant leurs écrans vides et leurs véhicules immobilisés, certains se donnèrent la mort en sautant dans le vide. Il leur suffisait de plonger dans leurs pensées pour effectuer le grand saut.

Pour tous les autres, il était déjà trop tard. Le vide sidéral de leurs esprits ne pouvant apporter une réponse cohérente à un phénomène qui échappait totalement aux écrans de contrôle, eux même en panne sèche, ils se laissèrent aller à l’apoplexie. Des flots d'hémoglobine coulèrent dans les caniveaux, envahirent les trottoirs, gagnèrent les rez-de-chaussée. Le grand déluge annoncé depuis toujours par les Sibylles du désastre inéluctable voyaient enfin leurs prévisions réalisées.

Seul, par magie sans doute, les GPS de tous ces véhicules, devenus la dernière demeure d'une partie de l'humanité, adressaient dans le vide le même sempiternel message « Faites demi-tour ! ». Hélas, comment enclencher la marche arrière quand une course en avant effrénée voyait enfin son accomplissement ? Quant aux fossoyeurs de notre Monde, ils étaient tous en route vers les étoiles...

Cauchemardesquement vôtre.


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