« Le menteur » : un rôle taillé pour Macron

par Fergus
lundi 10 mai 2021

Ce n’est un secret pour personne, Emmanuel Macron aime le théâtre, un art qu’il a découvert lors de ses études secondaires au lycée La Providence d’Amiens grâce à sa professeure de lettres, une certaine Brigitte Trogneux. Or, voilà qu’à l’instigation de son épouse, le président vient, entre deux Conseils de défense Covid, d’accepter de remonter sur les planches pour une représentation exceptionnelle…

La nouvelle peut surprendre. Elle n’en est pas moins véridique : Emmanuel Macron va, dans quelques jours, se produire sur scène sous les lambris et les dorures de la Salle des fêtes de l’Élysée en compagnie de quelques amis comédiens – on parle, entre autres, de Pierre Arditi, Macha Méril et Stéphane Bern ! Le chef de l’État aura l’insigne honneur d’interpréter lui-même le rôle-titre d’une pièce du grand Pierre Corneille : Le Menteur. « Un rôle taillé pour lui  : Emmanuel est Dorante ! », a tenu à préciser son épouse Brigitte avec une lueur d’admiration dans les yeux.

Grâce à l’entremise d’un conseiller Communication de l’Élysée – qu’il en soit remercié ! –, Emmanuel Macron a accepté de me recevoir, moi Fergus, l’humble plumitif d’AgoraVox, dans la Salle des fêtes du château un jour de répétition. Sans doute pour se mettre dans la peau de Dorante, c’est avec la mine satisfaite et l’air imbu de son personnage que le président-acteur s’est prêté à mes questions en reprenant à son compte les vers de Corneille.

Quel effet cela vous fait-il de côtoyer les grands de ce monde lors des sommets internationaux ? Manifestement, le président n’a pas pour tous une opinion flatteuse. Il l’exprime de manière policée, mais ne peut s’empêcher de conclure ainsi en citant Cliton, le valet de Dorante : « Et parmi tant d’esprits plus polis et meilleurs / Il y croît des badauds autant et plus qu’ailleurs ! »

Autrement dit, me dis-je in petto, un ramassis de niais et d’incapables. Et que dire de votre gouvernement ? «  Il y croît des badauds autant et plus qu’ailleurs ! » répète le chef de l’État, sans toutefois citer de noms.

Des oreilles doivent siffler, me redis-je in petto. Et qu’en est-il de l’Assemblée Nationale, du Sénat, du Conseil constitutionnel, de la Cour des comptes ? «  Il y croît des badauds autant et plus qu’ailleurs ! »

Nous voilà bien, le disque est rayé ! Passons à autre chose : Vous n’êtes entré en politique qu’il y a peu de temps, durant le mandat de François Hollande. Comment expliquez-vous votre fulgurante émergence au plus haut niveau ? Sous l’œil conquis de Brigitte, le président se redresse sur son siège et résume ainsi son action ministérielle aux Finances : « Mon nom dans nos succès s’était mis assez haut / Pour faire quelque bruit sans beaucoup d’injustice. »

Certes, mais depuis votre élection, quel a été votre part dans les succès de notre pays ? Emmanuel Macron me présente sa main droite d’un geste ostentatoire et dit d’un ton chargé d’orgueil : « Nos armes n’ont jamais remporté de victoire / Où cette main n’ait eu bonne part à la gloire. »

L’humilité incarnée ! Je ne peux m’empêcher d’une petite pique : Au prix, parfois, de discours divergents entre Berlin et Paris. Sourire en coin, le chef de l’État balaie la remarque : « Le climat différent veut une autre méthode / Ce qu’on admire ailleurs est ici hors de mode. »

Soit ! Changeons de sujet. Qu’est-ce qui vous a séduit chez Brigitte ? Son physique ? Son intelligence ? Ou bien ses phéromones culturels ? Le président rit de bon cœur puis redevient sérieux : « Attaqué par ses yeux, je leur rendis les armes / Je me fis prisonnier de tant d’aimables charmes. »

Voilà qui est clair, rien à ajouter. Et les journalistes ? Comment pourriez-vous définir vos rapports avec la presse ? Le Président prend un air gourmand et me répond : « J’aime à braver les conteurs de nouvelles, / Et sitôt que j’en vois quelqu’un s’imaginer / Que ce qu’il veut m’apprendre a de quoi m’étonner, / Je le sers aussitôt d’un conte imaginaire, / Qui l’étonne lui-même et le force à se taire. / Si tu pouvais savoir quel plaisir on a lors / De leur faire rentrer leurs nouvelles au corps… »

Mais enfin, convenez que vous mentez avec un aplomb déconcertant, ce que tous les Français ont pu constater dans le traitement politique du Covid. Comment faites-vous pour ne pas en être gêné ? « Le ciel fait cette grâce à fort peu de personnes ; / Il y faut promptitude, esprit, mémoire, soins, / Ne se brouiller jamais, et rougir encore moins. »

J’entends bien ! Cela dit, vous y allez fort. Et souvent. Comment le justifiez-vous ? Le chef de l’État reconnaît qu’en politique la fin justifie les moyens avant de ponctuer ainsi sa réponse : « Ne t’épouvante point, tout vient en sa saison, / De ces intentions, chacune a sa raison.  »

Quand même, Corneille a le dernier mot lorsqu’il vous fait dire : « Blâmez-moi de tomber en des fautes si lourdes, / Appelez-moi grand fourbe et grand donneur de bourdes. » Emmanuel Macron rit cette fois franchement avant d’avouer : « Cette tirade, Corneille me le pardonne, je l’ai bannie du texte au profit de cette autre, écrite de ma propre main : « Louez-moi d’être plus malicieux que palourde, / Appelez-moi grand maître et grand meneur de gourdes. »

Après les « veaux » du Général, voilà les « gourdes » de Jupiter. Quel respect pour le peuple ! Nous sommes à un an de la prochaine présidentielle. Monsieur Macron, pensez-vous être réélu ? Le président m’offre un sourire carnassier en prononçant ces mots sur notre pays : « Je m’y suis fait quatre ans craindre comme un tonnerre ».

Mais redouté ne veut pas dire réélu, la campagne risque d’être difficile. Le chef de l’État balaie l’argument : « Tout le secret ne gît qu’en un peu de grimaces, / A mentir à propos, jurer de bonne grâce. » Souriant, il ajoute en levant un voile sur sa méthode : « Sans changer de discours, changeons de batterie. » Un buste de Marianne trône dans un angle de la salle. S'adressant à celle qui symbolise notre République, Emmanuel Macron ajoute sur le ton grave du sacrifice de sa personne : « Oui, c’est moi qui voudrais effacer de ma vie / Les jours que j’ai vécus sans vous avoir servie. »

Est-ce un effet de mon imagination ? Il m'a semblé voir Marianne sourire. Un mot pour terminer, monsieur le Président. En admettant que vous décédiez soudainement, quelle épitaphe souhaiteriez-vous que l’on grave sur votre stèle ? Le visage du président s’illumine d’un sourire gourmand : « Si j’en crois Brigitte, ce bon Corneille a écrit en parlant de lui-même : "Peu m’ont égalé à ce jour, mais aucun ne m’a dépassé !" Pas mal comme épitaphe, non ? Mais à l’évidence, elle n’est pas à la hauteur de mon personnage. C’est pourquoi je veux que l’on grave sur le monument funéraire qui sera érigé en mon honneur au cœur de la nef du Panthéon : "Beaucoup ont tenté de l’égaler, mais nul n’y est parvenu !" »

Décidément incorrigible !... Vient le moment de prendre congé. Emmanuel Macron me saisit l’avant-bras et, dans l’espoir que ma restitution dans les colonnes d’AgoraVox ne soit pas trop sévère à son égard, me glisse à l’oreille cette requête : « Ne soyez pas rebelle à seconder mes vœux, / Je ne suis point ingrat alors que l’on m’oblige ».

Ma réponse est sans ambages : « Permettez-moi, Monsieur, d’être sourd à ce chant ; / Votre valet ne suis, ni mon maître vous n’êtes. / Souffrez que mon rapport, au cœur de ma gazette, / Décrive tel qu’il est celui qui toujours ment ! »

« Corneille ? » demande Brigitte d’un air étonné.

« Hélas ! Madame Macron, si peu parés d’émaux, / Ce n’est pas un génie qui a commis ces mots, / Moins brillant que ce Pierre, mais moins sot qu’une puce, / Ces vers-là sont signés, non Corneille mais Fergus. »


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