Le premier jour

par C’est Nabum
vendredi 4 septembre 2015

Une reconversion qui manque de classe ...

Ma retraite-béret …

Voilà, j'entre dans l'immense cohorte des oisifs, parasites improductifs, profiteurs honteux et retraités indignes. Il faut accepter cet état scandaleux pour beaucoup et surtout parfaitement inutile dans une société qui chante la productivité à outrance, l'entreprise et l'initiative. Pour eux, je ne suis rien ; ce qui à proprement parler ne change pas grand chose à l'opinion qu'ils pouvaient avoir de l'enseignant que j'étais auparavant.

Non , je ne produisais aucune richesse : c'est là ma faute, ma très grande faute. Que je poursuive dans cette voie alors que désormais j'ai du temps de libre pour enfin apporter ma contribution à la destruction de notre planète, je devrais m'en réjouir afin de pouvoir donner un coup de main à tous ces requins et ces monstres qui systématiquement anéantissent ce que des milliers de générations avaient patiemment constitué.

Je ne dois pas vraiment comprendre le message, à moins que je ne le fasse exprès : ce qui ne serait pas surprenant de la part de l'un de ces maudits représentants de la classe la plus réactionnaire, rétrograde, obsolète qui soit : le corps enseignant. J'ai voulu m'affubler du titre qui fait leur gloire : entrepreneur, lui octroyant un statut mineur, certes, mais bien dans mes cordes à moi qui ne me déplace qu'en deux roues : « Auto-entrepreneur me voilà ! »

Le changement est brutal pour celui qui, sa vie professionnelle durant, ne fut qu'une sangsue sociale, un parasite d'état, un ces odieux fonctionnaires qui bénéficiaient d'un statut privilégié. Désormais, je pensais pouvoir rapiner la tête haute, profiter de mes voisins, tricher et truander le fisc avec délectation à l'instar des serpents qui sifflent au-dessus de nos têtes.

Hélas, je n'ai pas droit à une retraite-chapeau : je n'ai rien fait qui vaille une telle récompense. Je n'ai licencié personne, je n'ai exploité aucun travailleur lointain, je n'ai ni spéculé ni manié des fonds que je ne possédais même pas. Je me suis contenté de donner un peu de savoir à des gamins voués au chômage ou aux tout petits métiers et j'ai consacré mon temps libre au bénévolat. Non , vraiment je ne mérite pas les largesses de la vie et dois me contenter de la portion congrue des richesses de cette société.

Conscient de mes fautes, de mes errements passés, mes erreurs idéologiques, j'ai souhaité devenir « auto-entrepreneur » pour enfin disposer d'un numéro de Siret : ce passeport pour la dignité afin de pouvoir créer par moi-même un revenu qui soit enfin le fruit d'un travail gagné à la seule sueur de fronts qui ne sont pas miens. Je devine que vous dressez l'oreille ; voilà un mouton égaré qui rentre dans la bergerie pour continuer de se faire tondre d'une manière plus digne à vos yeux.

Que nenni, je me suis encore gravement fourvoyé, je ne vais créer aucune richesse, je ne vais rien fabriquer de tangible ni même d'utile ; je ne serai jamais des vôtres ! Je vais vendre du vent et parfois du bonheur, apporter un peu de chaleur aux personnes âgées, aux enfants, aux délaissés, aux démunis, aux exclus de la galette, je vais, ah, que j'ai honte à vous le dire, jouer les passeurs pour l'imaginaire. J'aurai pour cela une bien modeste retraite-béret, chacun fait selon ses mérites dans ce monde inique et comme je n'en ai aucun …

Je deviens Conteur, un vrai professionnel comme dirait un homme qui fut autrefois un ami, un raconteur de fadaises, un souffleur de vent. Nous ne serons jamais d'accord, vous n'écrivez jamais de mots de cette façon ; aux mots vous préférez les nombres, vous n'avez rien d'humain. Passez votre chemin, ne me comptez pas au nombre des vôtres ; si j'en ai l'apparence ce n'est qu'au travers d'un statut qui n'est qu'une modeste couverture.

Quant à tous ceux qui aimeraient entendre mes histoires, mes contes et mes chansons, n'hésitez plus : je suis libre. Il vous suffit de me contacter par le truchement de ce site. Pour les maisons de retraite, les écoles, les associations, les bibliothèques et autres médiathèques, pour les librairies, pour les amis et les inconnus, je répondrai toujours présent. Vous voyez à quel point je persiste dans l'erreur : tous ces lieux sont appelés à disparaître si on laisse faire nos joyeux prévaricateurs !

Me voici donc à ce premier jour. À tire personnel, il coïncide avec deux autres premiers jours, ce qui ne peut que m'émouvoir. Pour ma grande fille, c'est le premier jour de son congé de grossesse quant à sa jeune sœur c'est aussi pour elle le premier jour de travail après l'obtention de son diplôme. J'aurai contribué à la grande chaîne de la vie ; pas de la manière des ignobles mais à la façon des simples, des humbles, des modestes, des anonymes qui furent, qui sont et qui seront les seuls maillons nécessaires de l'humanité tant que les premiers ne l'ont pas encore anéantie.

Entrepreneurement vôtre.


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