Le Prévôt et la Harengère
par C’est Nabum
vendredi 15 avril 2022
Mariage de déraison, main dans la main
Il fut un terrifiant comté sur lequel régnait un prévôt impitoyable pour les humbles et fort généreux pour les puissants. Il maintenait son pouvoir par un astucieux jeu de dupe qu'il avait mis au point avec une harengère, égérie illusoire d'un peuple crédule. Tous deux avaient élaboré un pacte secret, l'une servant d’épouvantail pour effrayer ceux qui étaient tentés par un autre système, l'autre attirant les naïfs par sa bonne mine et son sourire policé.
De ce pantomime qui ne manquait jamais de fonctionner au moment du renouvellement des mandats, le prévôt se drapait dans sa légitimité pour maintenir à flot le bon fonctionnement du territoire tandis que la harengère vociférait à plaisir pour décourager tout changement. Le premier laissait venir à lui les apeurés, les loyalistes, les familles historiques du comté. La seconde renforçait les gueux, les bannis, les exclus dans la conviction que personne sauf elle, ne pourrait jamais changer leur sort.
Le prévôt en réalité n'agissait que pour les plus riches, il se moquait du plus grand nombre qui devait se plier à ses injonctions, ses menaces, ses taxes et ses mesures coercitives. Il brandissait à chaque nouvelle mesure vexatoire le risque de sombrer dans les bras de la mégère hideuse, de l'hydre terrifiant de l'anarchie et de la terreur. Le mécanisme était d'autant mieux huilé que sa complice en rajoutait dans les roulements d'épaules, les invectives et les anathèmes.
À côté de ce numéro de duettistes, les éventuels impétrants se trouvaient impétrés, englués dans une logique qui les excluait totalement. L'unique alternative était le joug ou le feu. Il n'était nullement question pour eux de se faire entendre tant les crieurs publics, les gazetiers et les colporteurs évoquaient à longueur de temps le combat sans pitié entre le bien et le mal.
Le prévôt se frottait les mains, lui qui avait su avec brio réduire à néant les autres candidats présentables en courtisant les plus vils et vénaux de leurs collaborateurs. Promettre des places, flatter, séduire par des nominations juteuses permit de siphonner les rangs des autres coteries. Il ne restait véritablement que la troupe de la Harengère, un vaste ensemble de beuglants incapables de présenter une alternative crédible.
La harengère quant à elle n'était pas mécontente du rôle qu'elle avait accepté. Repoussoir idéal, plus redoutable encore que son géniteur qui lui avait mis le pied à l'étrier dans ce domaine, elle vivait pleinement la notoriété qui accompagnait son rôle d'éternelle seconde. Seul petit souci dans la famille, sa nièce qui aspirait véritablement au pouvoir et qui avait honteusement déserté dans la bataille. Un jour ou l'autre, cette dernière viendrait rompre l'équilibre établi entre les deux autres.
En attendant, tout se passe le mieux du monde dans ce comté. La menace supposée de la méchante harengère évitera les indispensables sujets de l'heure, les menaces sur l'avenir de ce territoire. La crainte de l’épouvantail poussant le peuple à se précipiter dans les filets de celui qui ne fera rien pour sauver ce qui peut l'être encore.
Le prévôt continuera de favoriser les moins nombreux, de punir les autres, de jouer les matamores sur la scène internationale tout en méprisant souverainement ces pauvres imbéciles qui lui ont redonné les clefs du palais. La harengère vitupérera de plus belle, confirmant ainsi qu'il n'y avait aucune autre solution tandis que ses hurlements couvriront toujours plus les voix de la sagesse et de la raison.
Comme il n'y a nulle raison que ça change, tout ce joli monde nous conduira d'un pas serein vers la catastrophe inévitable désormais. L'essentiel penseront les braves gens étant d'avoir échappé au pire. Curieuse manière de fermer les yeux, de se boucher le nez et les oreilles !
À contre-temps.