Les adultes aiment le film, les élèves bof !
par Donald Mitsiky
samedi 25 janvier 2014
Je m'appelle Baptist, j'ai dix ans, je suis en CM2, avec ma copine Maële on est les deux meilleurs élèves de la classe. Des fois c'est elle et des fois c'est moi !
Lundi matin, notre maîtresse, Madame Peillon est venue en classe avec un air tout bizarre. On s'est regardés, Vincent et moi, et puis il a haussé les épaules et tout le monde s'est assis en silence.
On était tous interrogatifs (sauf ceux qui n'avaient rien captés), on la regardait fixement et j'ai cru voir ses yeux se brouiller, comme si elle allait pleurer. Elle est pas du genre maussade Madame Peillon, même si elle peut parfois se montrer sévère et même revêche.
Preuve qu'elle était pas dans son assiette, elle dit :
- Asseyez-vous et taisez-vous !
Devant nos airs ébahis, elle ajoute un peu désemparée et hésitante :
- Sortez vos cahiers, aujourd'hui je dois vous parler de sexualité et de tolérance et demain on ira voir un film.
Elle nous a pas dit grand chose qu'on ne savait pas déjà sur les deux sexes. Pourtant, y a un truc qu'on a pas trop pigé, elle a dit que les filles et les garçons c'est pareil, y faut pas faire de différence. Pourtant, quand on joue au foot dans la cour, à part Zoé, y a que des garçons, les filles elles s'amusent entre elles.
Chacun de nous a bien écouté le cours, des fois qu'elle nous révélerait des choses qu'on sait pas. Comme à son habitude, Suzon a perturbé la classe avec des réflexions sur les garçons en les traitant de puceaux et d'autres mots. Il faut dire que Suzon elle a redoublé, elle a onze ans bien sonnés, vu qu'elle est du mois de Janvier, elle fait toujours sa maline et elle aguiche les garçons, surtout les plus grands.
Le matin suivant, le car nous attendait devant l'école, tout le monde était un peu excité. Pour nous accompagner, il y avait la maman à Sami, celle de Marion et aussi celle de Doris et bien sûr Madame Peillon.
Pendant le court voyage les langues allaient bon train, chacun de nous avait sa petite idée du film qui serait proposé. Les délires allaient de "Harry Potter" à "L"âge de glace" en passant par "La guerre des boutons". Comme j'étais assis derrière la maîtresse et parce que je suis délégué de la classe, tout le monde me tannait afin que j'interroge Madame Peillon. Ce que j'ai donc fait sans avoir de réponse, et toujours cet air triste et même inquiet.
Nous voilà donc arrivés à la salle publique, là d'autres classes d'autres écoles vont assister à ce fameux film qui nous intrigue tant.
Le film qu'on va visionner s'appelle "Tomboy", moi j'en ai jamais entendu parler, mais peut-être les copains sont mieux informés.
Le film ne m'intéresse pas trop (sauf quelques passages), alors j'observe un peu mes camarades.
Benjamin et Mélissa ont sommeillé pendant un bonne partie du film. Il faut dire que çà manquait un peu d'action.
Le rang complet derrière mon dos plaisante et chahute, on entend des "chut" du côté des adultes.
La maîtresse, qui s'était mise un peu à l'écart avec une autre enseignante, elles ont chuchoté pendant toute la séance.
Suzon, elle s'était mise a côté d'un garçon d'une autre classe, elle avait une tenue vraiment osée et négligée. A un moment, elle a tenté de glisser sa main où vous savez enfin je crois. En tout les cas ils se sont embrassés, je les ai vus. Mais les adultes ils ont rien vus, ils étaient trop occupés à regarder le film ou à papoter.
A la fin du film il y a eu un peu de chahut, puis chacun est rentré dans son bus. On a fait l'appel et on est retournés en cours. La maîtresse a fait un résumé du film, sans doute pour que tout le monde comprenne bien la même chose.
Laure a dix ans, elle vient de changer d'école et se sent exclue par les autres. Elle va ensuite rencontrer Lisa qui la prend pour un garçon à cause de sa coiffure et de la façon de s'habiller. Laure se dit pourquoi pas et lui dit qu'elle s'appelle Mickaël. C'est ainsi qu'elle est acceptée par les garçons et les filles de son quartier. Mais pendant leurs jeux, elle doit se cacher pour aller aux toilettes et elle met de la pâte à modeler dans son slip de bain pour faire croire qu'elle est un garçon. Mais Lisa tombe amoureuse de "son copain Mickaël" et ils finissent par s'embrasser.
C'est ici que Madame Peillon demande :
- Qu'en pensez-vous, c'est bien ou c'est mal ?
Silence dans la salle ! Quand on entend la voix de Suzon.
- C'est des gouines et puis c'est tout.
La maîtresse, très fâchée :
- On a pas le droit de dire des paroles comme celles là, çà s'appelle de l'homophobie et c'est puni par la loi, quand vous serez adultes, vous pourriez aller en prison pour de telles paroles. Alors ne riez pas, c'est très sérieux ! Alors c'est bien ou mal ?
Mélanie d'un air un peu timide :
- Dans le film, comme çà se termine bien à la fin, on peut penser que c'est bien mais dans la vrai vie, c'est pas bien, on a pas le droit de faire des choses comme çà.
Hugo très sérieux :
- A dix ans, déjà un garçon et une fille, c'est pas bien. Alors deux filles ! Et même çà pourrait être deux garçons ! Vous imaginez !
Zoé demande la parole :
- Moi j'aime pas les jeux de filles, j'aime pas m'habiller en fille, comme dans le film je préfère m'amuser avec les garçons, mais c'est pas pour çà que je voudrais être un garçon.
Maële excédée :
- On naît fille ou garçon, on ne le devient pas. Chez les animaux c'est pareil, il y a des mâles et des femelles, comme il y a des jeunes et des vieux. Je ne comprends pas pourquoi on voudrait inverser l'ordre des choses, c'est pas vous ni nous qui avons inventé l'homme et la femme et tout le reste.
L'intervention très juste de Maële dérida toute la classe, on a eu l'impression que tout le monde venait de comprendre et les paroles fusaient de toutes parts. Madame Peillon était dépassée, je ne l'avais jamais vue comme çà. Debout, les bras tendus vers le ciel, elle tentait de se faire entendre, son visage était tout rouge, ses yeux étaient devenus vitreux. Son autorité en prenait un coup, la classe était déchaînée. Je pensais à mon père : peut-être il faudrait une bonne autorité masculine, quand il se levait, mon père et qu'il nous regardait dans les yeux, on avait plus envie de fanfaronner.
Le vacarme était à son maximum quand la porte s'ouvrit brutalement, Le Directeur, Monsieur Peillon entra dans la salle comme un courant d'air. En quelques secondes, les bruits disparurent, plus un mot. Le regard noir du Directeur en direction de sa femme annonçait sans doute une soirée orageuse entre les époux, comme des fois à la maison quand mon père engueulait ma mère.
Monsieur Peillon n'avait prononcé qu'une seule phrase - vous serez tous punis -, il était déjà parti.
Notre première leçon de sexualité et de tolérance s'achevait ainsi. Vivement la prochaine qu'on s'amuse un peu.
Note du responsable légal de l'auteur : Les patronymes utilisés dans le texte appartiennent réellement aux protagonistes, toutes ressemblances synonymiques avec d'autres personnes ne sont que le fait d'un réel hasard.