Les gredins en noir

par C’est Nabum
vendredi 29 novembre 2019

Bien plus que des coupe-jarrets

Leurs ancêtres étaient tapis dans les recoins borgnes d’une ruelle pavée, profitant de l’obscurité pour fondre sur le passant qui s’aventurait imprudemment seul dans la rue. Patibulaires, sanguinaires, ils passaient le pauvre homme par le fil pour le détrousser de sa bourse. Ils le laissaient pour mort, sans le moindre regard, filant vers une autre victime pour remplir leur bas de laine.

Ils étaient bandits de grand chemin ou bien coupe-jarrets urbains, la potence leur pendait au nez, le risque se prenait donc sans chandelle pour vivre mieux. C’était leur manière fort peu chrétienne de vivre d’une charité si bien ordonnée qu’elle s’arrêtait à eux-mêmes. Il n’y avait rien de bon à attendre de ces canailles, gredins sans âme et vils qu’on nomma brigands par un curieux renversement de circonstances qui n’est pas sans rappeler notre époque.

Pour lutter contre les faux mendiants, les estropiés imaginaires et autres salopards armés jusqu’aux dents, en France sous le règne de Jean II le Bon, on créa une brigade pour contre-carrer les malfrats. Les gens d’armes portaient sur eux, une brigandine, une corselet d’acier, et forts de cette protection, abusaient à leur tour de leur supériorité pour pratiquer à leur compte le pillage et la rapine. Rien ne va jamais dans ce beau royaume de France.

Rien ? Non pas tout à fait. Les brigands modernes jouent les innocents aux mains pleines. Ils organisent avec rigueur et organisation le dépeçage en règle des bourses du quidam. Pas besoin de ruelles sombres et de crimes de sang. Ils manipulent tant et si bien le brave gugus, que l’autre, bercé par les sirènes de la publicité, trompé par la grand matraquage médiatique, va se jeter de lui-même dans la gueule du loup.

Seules les procédures changent. La victime, envoûtée par les slogans, les appels radiophoniques et télévisuels, les reportages réalisés par des médias complices, va glisser sa carte bleue dans la fente du monstre. Il y a une telle diversité des coins du bois que le pauvre bougre peut ainsi perdre sa bourse de chez lui en quelques clics compulsifs.

S’il lui vient l’idée plus saugrenue encore de participer à un grand Sabbat collectif, il se précipitera avec tous les naïfs de la terre dans les grands magasins pour un piratage à grande surface. Se couvrant autant de ridicule que possible, il achètera tout ce dont il n’a pas besoin et même encore plus pourvu que ce soit un fameux vendredi durant lequel il est hors de question de faire maigre.

Le sacrifice du mouton est savamment orchestré par une gigantesque campagne médiatique. Désormais le brigandage se fait au grand jour et sans le moindre risque pour les canailles. Le vol est manifeste, l’entourloupe grossière, le risque inexistant. C’est véritablement la rapine élevée au rang d’œuvre d’art. Les victimes offrent leurs bourses en sacrifice ultime à ce dieu vorace qu’on nomme consumérisme.

Ce Vendredi de triste mémoire sera Noir parce qu’il porte le deuil de l’intelligence collective, de la sagesse des nations et des économies du bon peuple. Mais après tout, s’il en est d’assez stupides pour se laisser berner, dans le libéralisme sauvage nul ne s’en offusque tant personne ne s’encombre d’état d’âme. La conscience n’est pas une valeur qui se monnaye. Il n’est qu’à voir, même l’État coupe la bourse replète des jeux d’argent.

Je vous laisse vous précipiter dans cet enfer moderne. Vous ferez les comptes au petit matin suivant. Il sera hélas trop tard pour revenir en arrière. Moi, je me contente de vous conter la farce à laquelle vous vous livrer les yeux fermés. Longue vie aux gredins en noir, la fortune leur ouvre grand les bras !

Consuméristement vôtre.


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