Mariage contre nature
par C’est Nabum
vendredi 8 mai 2020
Joindre l’utile à l’agréable
Il était une fois, Louise une charmante femelle écureuil qui n’avait d’yeux que pour Lucas un castor de belle taille. Tout avait commencé de bien étrange façon. L’animal lui avait frappé dans l’œil par une curieuse goujaterie. La dame se promenait de branche et branche dans un arbre en bord de Loire. Le redoutable rongeur, tel un malappris, lui scia non pas la branche mais tout entier l’arbre sous le pied.
Louise tomba dans les bras de Lucas bien contre son gré il convient de l’admettre. Fort heureusement pour elle un profond tapis de feuilles mortes amortit sa chute. Ce qui se passa ensuite relève des impondérables de l’existence. Pour les deux animaux, ce fut un coup de foudre, une rencontre qui allait bouleverser leur existence.
Lucas se rendant compte de sa balourdise, se confondit en excuses. Louise à qui on avait enseigné le pardon ne lui en tint pas rigueur. C’est ainsi qu’ils se lancèrent dans une conversation qui de fil en aiguille, s’acheva en parade de séduction. Il en va souvent ainsi dans les grandes histoires d’amour, quand toutes les conditions sont réunies pour que rien ne puisse advenir, la passion peut abattre tous les obstacles.
Pour Louise et Lucas, il faut admettre que la liste des réserves à franchir était importante. Tout d’abord l’emplacement de leur futur nid d’amour s’avéra épineux. L’une rêvait de voir les étoiles, l’autre préférait se terrer tout en se gardant une sortie de secours sur la rivière. Un notaire seul aurait pu démêler cet imbroglio domiciliaire mais hélas, ce n’était que le commencement du casse-tête.
L’une voulait apprendre à nager et à plonger quand l’autre désirait savoir grimper aux arbres. La première se serait contentée de manger des écorces et le second avait envie de goûter aux fruits oléagineux. Des dissensions physiques se firent jour. Louise rêvait d’une queue couverte d’écailles tandis que Lucas voyait bien la sienne en forme de panache. Leur union s’annonçait des plus problématiques, l'intercession d’un tiers s’avérait nécessaire.
Ils firent appel à la bonne fée Morgane, celle-là même qui se fit la réputation d’être une marieuse, une entremetteuse pour unions délicates. La fée les écouta tous deux, attentivement, avec bienveillance même si parfois, elle laissait échapper un petit sourire qui en disait long sur cet accouplement si incongru qui laissait présager de nombreuses et désopilantes scènes de ménage !
Après bien des réflexions, Morgane leur avoua son impuissance à les satisfaire dans l’instant. Ce qu’elle pouvait faire ne concernerait que leurs descendants puisqu’elle consentait à user de son pouvoir magique pour permettre que leur union fût féconde. Mais là encore, il convenait de se mettre d’accord, établir une sorte de contrat de mariage pour coucher sur le papier la nouvelle espèce à naître.
Morgane voulant ménager la chèvre et le chou leur proposa en tout premier lieu de leur permettre d’enfanter des ornithorynques. D’une part, la fée affirmait qu’avec un nom pareil, leurs rejetons n’auraient jamais le moindre problème en orthographe et d’autre part ils n’auraient jamais besoin de consulter une orthophoniste. L’intérêt de ces deux arguments, pourtant non dénués de fondement, échappa totalement aux deux amoureux.
La fée poursuivit alors ses explications par un exposé naturaliste. L’ornithorynque tient du mammifère et de l’oiseau. Disposant d’un bec de canard, d’une fourrure douce et soyeuse, ce petit animal a de quoi intriguer d’autant que si la femelle allaite, elle pond des œufs. Il nage aisément. Au fond de son plan d'eau, il sonde avec son bec les sédiments ou le dessous des pierres, à la recherche de sa nourriture constituée de têtards, de petits poissons, des escargots d'eau, des crevettes ou des vers, même si l'essentiel de son régime est constitué de larves d'insectes.
Morgane termine en précisant qu’ayant emmagasiné plusieurs proies dans ses joues, l’animal remonte à la surface pour faire la planche sur le ventre. C’est alors qu’il mâche en s'aidant de sa langue et des plaques cornées de sa bouche, qui font office de dents, avant d'avaler. Lucas et Louise n’en pouvaient plus. Changer de régime alimentaire, il n’en était pas question. Enfanter un carnivore, ce serait s’exposer, eux les rongeurs à tous les périls. La reconnaissance du ventre finirait par les mettre en péril. Leur refus devint catégorique quand ils découvrirent la représentation que leur montra la fée. À franchement parler, cette idée n’avait ni queue ni tête si on en croit ce qu’ils avaient sous les yeux.
Morgane changea alors de catalogue. La période était propice à tenter de leur vendre un animal à la mode. Elle proposa le pangolin pour satisfaire les désirs d’écailles de la belle Louise. Lucas se récria. Que leurs enfants passent leur vie dans les arbres ne lui plaisait guère mais qu’en prime, ils finissent dans des assiettes exotiques, il n’en était pas question.
Louise aimablement rappela au castor qu’il n’y a pas si longtemps, ses congénères subissaient le même sort, transformés qu’ils étaient en pâté ou en saucisson sous les bons offices des moines qui prétendaient alors que l’espèce appartenait à l’ordre des poissons. Lucas reconnut qu’il devait en convenir et eut le malheur d’ajouter à destination de Louise : « Ce n’est pas ce qui risque de t’arriver ma petite puce, toi qui es couverte de parasites ! »
Morgane devina que le dialogue allait tourner vinaigre. Les considérations d’hygiène corporelle font souvent achopper les plus belles rencontres. Il convenait de passer l’éponge sur ces deux refus tout en changeant radicalement de suggestion d’autant plus que ces petits parasites, eux aussi causèrent bien des misères dans l’histoire de l’humanité.
Morgane qui aurait pu faire une carrière en politique leur conseilla de ne rien changer. Qu’ils s’aiment puisqu’après tout, il convenait toujours de s’incliner devant la force des sentiments même quand ils échappent aux lois communément admises. Il n’avait qu’à renoncer à mettre au monde une descendance. Ce serait pour eux le plus sûr moyen de ne pas provoquer de désastre.
Lucas et Louise ne semblaient pas enthousiastes devant cette perspective. Morgane leur confia alors un secret : « Regardez mes doux amis, la sottise des humains sur terre. Vous qui les approchez d’assez près, n’avez-vous pas remarqué combien ils sont aveugles et sourds aux cataclysmes qu’ils engendrent. Nous leur avons envoyé un message, un signal d’alerte sans équivoque possible. Rien n’y fait, ceux qui tiennent les commandes n’accepteront jamais de renoncer à leur course folle vers le néant. Profitez de votre bonheur pour ce qui vous reste à vivre, ce sera même très bien s’ils vous en laissent le temps. »
Lucas et Louise se récrièrent. D’autant que leur espérance de vie n’était au mieux que d’une quinzaine d’années. La fée de leur prédire que c’était bien assez pour que les adorateurs du Dieu argent ruinent définitivement la vie de l’espèce humaine sur la Planète. Comprenant enfin qu’il n’était plus temps de tirer des plans sur la comète, ils s’aimèrent en dépit de leurs différences.
Ils n’eurent pas d’enfants, ce qui après tout, pour leur donner en héritage une planète dans un tel état, n’est pas plus mal. Quant aux humains, combien sont capables de croire cette histoire ? Même Morgane a depuis longtemps renoncé à leur apporter ses lumières. Le cas de ceux qui gouvernent à leur destinée est depuis longtemps désespéré.
Hybridement vôtre.
Le croisement de l'écureuil et du Castor est évoqué dans le roman étrangement visionnaire à paraître très prochainement du duo : Nadine Richardson et C’Nabum. Il n’y aura pas de virus mais un curieux mal qui fait des ravages dans une société, certainement engendrée par la crise actuelle et d’autres menaces encore en suspens. Soyez patients ...