Naviguer sous la pluie

par C’est Nabum
vendredi 12 avril 2013

Le Bonimenteur trempé

La pluie fait des vaguelettes

Le ciel se confond avec la Loire en un vaste ensemble uniforme et gris. L'humeur chagrine et le cœur lourd d'un printemps qui pèse sur le moral, nous attendons un groupe de vingt quatre adolescents espagnols en visite dans notre belle région. Ils sont partis de chez eux, confiants, sous un ciel radieux par une température de 21 °C, ont trouvé la neige à Saint Étienne et le déluge à Orléans. Nous les accueillerons à parapluies ouverts et à grands coups de frissons.

Mon Capitaine est inquiet. Il pleut désormais des cordes. Le ciel est bouché, le temps frisquet, le vent se met de la partie, il balaie les quais aussi déserts qu'en une nuit de décembre. La rivière est grosse et forte. Elle court, elle file, elle se couvre de petites vagues. Il n'imagine pas que nos passagers oseront affronter les éléments déchaînés. C'est faire fi de l'impétuosité ibérique.

Il faut affronter ce temps de chien (canards et oies ne seront pas de la sortie) . Les jeunes ont choisi de se jeter à l'eau ! Ils ne sont pourtant pas bien habillés pour supporter la colère du ciel. Ils ignorent aussi sans doute la surprise qui les attend lorsque nous déboucherons de la petite Loire pour prendre de face ce maudit vent d'Est qui vous glace les sangs. Pour l'instant, ils sont impatients de monter à bord …

Le premier écueil va en refroidir quelques-uns. Les pavés du pierret sont mouillés. Les souliers glissent, la rivière est toute proche et elle gronde. Les quatre plus âgés ; ingratitude de l'adolescence, rebroussent bien vite chemin. Le bateau est mouillé, il n'a pas de toiture. Je ne sais ce qu'ils s'imaginaient. En voilà qui renoncent au premier obstacle !

Leurs camarades ne suivent pas la débandade des aînés. Ils se protègent comme ils peuvent s'enveloppent de sacs poubelles, se serrent sous des parapluies, seules tâches de couleur dans cette journée morose. Nous partons, la pluie redouble ! C'est un temps à ne pas mettre un héron dehors. Tous les animaux qui nous font habituellement belle compagnie et joyeuse occupation sont restés à l'abri. Triste spectacle que notre Loire sans vie … Heureusement que les traces de nos amis castors sont si visibles en cette période de grande activité pour eux.

Les passagers de la pluie écoutent tant bien que mal mes explications historiques. Les rafales de vent couvrent le message qui doit supporter une traduction. Nous abordons alors le pont de Vierzon, les parapluies de retournent, les sacs poubelles volent au vent, les gouttières du pont ajoutent un peu d'eau comme si besoin était ! Trop c'est trop ? Que nenni, cela devient farce et nos jeunes amis prennent plaisir à ce déluge improbable.

Ils rentrent trempés mais heureux. Les voyageurs suivants ont compris le message. Ils sont prêts à affronter les grandes eaux ligériennes. Cette fois, les explications passent mieux, les rires arrivent plus vite. Le vent reste fripon, l'eau insidieuse. Qu'importe, ils se construisent un souvenir qu'ils conserveront durablement en mémoire. Ils ont compris pourquoi on leur dit que la Loire est le dernier fleuve sauvage. La rivière les agresse et ils s'en amusent.

Le dernier voyage bénéficiera un petit instant d'une pause céleste. Nous en profitons pour pousser plus loin, pour aller plus en amont, là où le vent se fait si violent. L'accalmie ne sera que de courte durée et le dernier groupe sera tout aussi rincé que les deux autres. Ça n'a aucune importance, la jeunesse des uns, le bonheur de leurs accompagnateurs transformeront cette sortie calamiteuse en bonheur humide.

Ils rentrent bien vite. Les familles d'accueil vont se demander où on a bien pu emmener leurs hôtes ibériques. Je doute que tous disposent d'un vêtement de rechange, il va y avoir quelques odeurs dans les chambrées. Pour les plus courageux, ceux qui acceptent de rester un peu sur le quai et toujours sous la pluie, nous leur offrons alors une remontée du courant à la voile. Nous n'avons hélas pas le droit de sortir le torchon quand nous avons des passagers, règle absurde qui prive nos visiteurs de ce merveilleux combat du bateau et du courant.

Nous sommes trempés comme des soupes. Après plus de trois heures de rinçage, un bon vin chaud réchauffera le capitaine et le bonimenteur. Voilà une sortie qui restera dans les mémoires. Ces jeunes qui viennent de l'Ébre se souviendront de notre Loire en colère. Nous avons le sentiment de leur avoir permis de comprendre les conditions de la belle et grande épopée de la marine de Loire. Puisque c'était le thème de leur visite dans la région, ils ont baigné dans leur sujet.

Pluvieusement leur.

 


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