Porte et Guillon : une belle jambe / N°45

par Eric la Blanche
samedi 28 août 2010

Le licenciement des humoristes Didier Porte et Stéphane Guillon vu par un Américain

Je ne vous ai jamais parlé de mon copain Joe. Il est sympa, Joe. Il est toujours joyeux, Joe - et il a de belles dents. C’est normal, il est Américain. J’aime bien me promener à Paris avec lui, je lui explique plein de trucs et ça l’intéresse. Ou plutôt, il est très poli.

On regarde les filles, un peu, aussi.

Je l’ai rencontré à Phoenix , Arizona, il y a longtemps, c’était mon correspondant et il parle toujours français comme une bouse malgré les cours qu’il a suivis. Son vocabulaire se limite à "bonjoua, jeu m’eupayle Djo" et "voulay vou cuché euvec moi ?", c’est tout. Et après il rigole avec ses dents.

Il y a des trucs qui m’ont toujours un peu emmerdé chez Joe, son côté travail, famille, patrie la semaine - et le dimanche à l’église mais je ne l’embête pas trop avec ça parce que sa vie n’a pas toujours été facile : il a perdu une jambe dans un accident alors je l’autorise à croire en Dieu. Il n’y a aucun rapport, je sais.

J’essaie de lui expliquer ce qui se passe ici en ce moment, les histoires de ministres qui tapent dans la caisse, qui détournent les lois, les conflits d’intérêt, la politique de la peur, mon pays sous Sarkozy 1er, quoi.

Et il n’en a absolument rien à foutre... mais c’est déjà ça. Au moins, il sait que ça existe. Il me dit juste que si, nous les Français, on a élu des "bavardeurs malhonnêtes", c’est parce qu’ils nous ressemblent. Et il rigole avec ses dents.

Moi je rigole aussi mais j’ai quand même envie de lui faire un croche-pied pour voir s’il a le sens de l’humour aussi développé que moi avec sa jambe en plastique.

Par exemple, ce matin, à la terrasse d’un café, j’ai essayé de lui expliquer l’histoire de Didier Porte et de Stéphane Guillon, humoristes dont les contrats n’ont pas été renouvelés par la nouvelle direction de France Inter. Je lui ai dit aussi que c’était embêtant parce que cette direction avait été nommée directement par l’un des candidats à la prochaine élection présidentielle.

Il m’a demandé ouaille et je lui ai expliqué que c’est parce que les deux types en question se moquaient des scandales du pouvoir en place (le candidat est pésident). Je m’attendais à ce que Joe rigole avec ses dents ou propose à ma voisine de coucher avec lui... mais non.

Il a eu l’air de réfléchir, ce qui m’a un peu inquiété, et il m’a demandé si les deux humoristes disaient la vérité. J’ai répondu que oui, enfin, ils parlent de choses réelles, avec plus ou moins d’humour mais oui, ce qu’ils dénoncent est vrai.

Il a encore réfléchi et il m’a dit : alors c’est grave.

Je lui ai dit : c’est incroyable, Joe, bouge pas, je vais te photographier pendant que tu es en train de réfléchir, tes parents (Bob et Martha) n’ont jamais dû voir ça.

 Enhardi par cette première fulgurance, il a ajouté : la vérité, c’est important.

Une mouche est venue se poser dans ma bouche grande ouverte. J’étais subjugué : Joe pensait !

Il a conclu, sobrement : tu sais, moi, si on m’avait dit la vérité, j’aurais toujours ma jambe parce que j’aurais refusé de partir en Irak.

Et après, il n’a pas rigolé avec ses dents.

Les blablas de la Blanche


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