Sarkozy et la princesse !

par Georges Yang
jeudi 19 juin 2008

En lisant rapidement le titre, le lecteur pressé peut s’attendre au pire. Encore un article people se référant aux frasques et aux extravagances de notre mal-aimé président, une sorte de chronique de fin de règne (déjà !) de notre nouveau Louis XV, le mal-aimé ou une resucée des potins sulfureux du rocher monégasque ! Mon propos est pourtant tout autre, je veux ici parler de l’acharnement de Nicolas Sarkozy contre la Princesse de Clèves, un roman du XVIIIe siècle !

Mais qu’a donc écrit de si répréhensible, de si intolérable, cette Mme de Lafayette en 1678, pour que le président en fasse son cheval de bataille contre l’élitisme improductif ? Un petit roman (par la taille) assez bien structuré et très bien écrit changeait littéralement de ce qui était lu à l’époque. Cela n’avait rien à voir avec les récits édifiants, teintés de préciosité bucolique, rehaussés de références mythologiques d’Honoré d’Urfé, Mme de Scudéry et autres écrivains à la mode en ce temps-là. On a même parlé ensuite de premier roman moderne. Intéressant au point de vu littéraire, belle étude des mœurs d’une époque, même si l’intrigue se passe sous le règne de Henri II, celui de Louis XIV est présent en filigrane, à la fois au travers de la cour et ses extravagances, mais aussi de l’austère Mme de Maintenon. Bref, une œuvre importante, mais pas de quoi fouetter un chat et encore moins s’exciter contre, comme s’il y avait là, l’origine de la décadence du système éducatif français ! Mais contrairement à ce que dit Corneille, dans ce roman, le cœur a ses raisons que la raison se doit d’ignorer. Cela dit en passant, la Princesse a encore plus de raison et d’abnégation que la Chimène de Corneille.

Par trois fois donc, Sarkozy s’en prend au roman lors d’interventions publiques, en février 2006, en avril 2007 et dernièrement le 4 avril 2008 !

Meeting de Lyon. 23 février 2006 à propos de la Princesse de Clèves :

«  Voilà ce que donne l’Education nationale pour épreuve d’examen ! Etonnez-vous que ça aille si mal. Si c’est ce qu’on enseigne à nos enfants », aurait dit Nicolas Sarkozy.

Libération écrit que les propos étaient déformés et que la véritable référence est la suivante. Il n’empêche, c’est assez grave :

« L’autre jour, je m’amusais, on s’amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d’attaché d’administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d’interroger les concurrents sur la Princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu’elle pensait de la Princesse de Clèves... Imaginez un peu le spectacle ».

Cela tient presque du tic verbal, de l’incitation à la haine de l’élite qui gâche le potentiel économique du pays avec ses rêves de culture digne d’« un vieux pays », on voit tout de suite qui est visé. On voudrait voir plus élogieusement dans cette réaction un désir de sursaut national face à la crise, une sorte d’objurgation à la Caton le censeur, finissant tous ses discours par un sempiternel : « Et Carthago delenda est », visant à la destruction de la cité punique, censée être à l’origine de tous les maux de Rome. Il n’en est hélas rien et Sarkozy est loin du tribun antique. Alors, pourquoi cet acharnement frisant l’obsession ?

Je ne tomberai pas dans la pseudo-psychanalyse facile du personnage. Ce que je sais de lui, je ne l’ai appris que par la presse, la télévision ou internet. Je ne suis ni son intime ni son médecin. Je chercherai ni l’image du père absent ni la frustration de la jeunesse dorée à Neuilly. Je m’en tiendrai aux faits avérés. Elève moyen, pour ne pas dire médiocre, Sarkozy ne s’est jamais fait remarquer comme un être cultivé. Il n’est pas le seul en ce cas parmi les dirigeants politiques, mais le seul à montrer tant de hargne vis-à-vis de la culture.

D’ailleurs, il insiste le 18 avril dernier à Bercy et quand il parle de s’engager « sur la possibilité pour quelqu’un d’assumer sa promotion professionnelle sans passer par un concours ou faire réciter la Princesse de Clèves », il persiste dans sa haine de la culture classique. Il confond d’ailleurs allègrement le temps où l’enseignement des lettres au lycée passait par la récitation de tirades ou d’extraits d’œuvres célèbres de Racine ou Corneille comme Esther et Attali (pas Jacques, mais un autre Athalie), Le Cid ou bien Horace. Or, même si la Princesse de Clèves a été étudiée au lycée, il n’a jamais été question d’en faire apprendre par cœur des chapitres ou des passages entiers aux élèves.

Ceux de ma génération l’ont lu en classe de troisième ou en seconde, je ne me souviens plus. A une époque où les mœurs n’étaient pas aussi libres, les émois de la Princesse, le désir et l’abnégation nous passaient un peu au-dessus de la tête. Je dirai que des jeunes de 14 ou 15 d’aujourd’hui sont plus à même de comprendre ces nuances que ceux d’il y a plus de quarante ans, assez vierges quant à la perception du sentiment amoureux, et ce, dans les deux sens du terme. Comment peut-on apprécier un personnage qui refuse de jouir et se crée des entraves quand on n’est pas encore passé soi-même par les feux de l’amour ? A y regarder de plus près maintenant et avec un certain cynisme, je pense que la Princesse aurait pu se prendre un amant, ne rien dire à son mari et sauver les apparences, mais il n’y aurait pas eu de roman.

Mais peut-être que pour rentrer en grâce, faut-il le moderniser ce roman ? L’inscrire dans un contexte plus actuel, je n’ose dire branché ! Mais si j’osais cependant, je vois bien un remake qui pourrait plaire à notre président. Christine Albanel n’aimerait pas trop, mais, étant en quasi-disgrâce, elle a intérêt à la fermer. En voilà le synopsis.

La Princesse de Crève, salope !

(Le titre sonne à la fois soixante-huitard et banlieue, de quoi faire vendre en jouant sur deux créneaux et ratisser large.)

Une présentatrice TV, genre journaliste en vue, faisant la couverture des médias est l’épouse d’un ministre ayant des problèmes d’image et en disgrâce (passagère ?). Elle rencontre lors d’une soirée mondaine, organisée par un publiciste connu, un chanteur de rap (ou un ex-footballeur de l’équipe de France, c’est à voir. De toute façon, un avocat fiscaliste ferait trop France d’en haut). La soirée se poursuit en boîte, puis au domicile de la présentatrice. Après quelques coupes de Ruinart et quelques rails dans le nez, le chanteur dit à la belle :

- Je te kiffe trop grave !

Il est certain que « Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour » tomberait dans le précieux et le ridicule en ce début de siècle.

Suivent quelques innocents attouchements et l’héroïne se reprend, elle rajuste son chemisier et son collant, se refait un autre rail et déclare tout de go :

- La fidélité, c’est tendance !

Dépité, le chanteur (ou le footeux) n’en pense pas moins, mais comme il sait se tenir, s’excuse, demande où sont les toilettes et va discrètement s’y astiquer pour éviter de montrer par trop son émoi et cacher l’apparence de la poutre. La belle ensuite le conduit gentiment à la porte et lui dit en lui mordillant l’oreille :

- Hélas, je respecte trop mon mari ! Il est naze, mais je ne vais pas le tromper, même si ça fait ringard !

On est loin de : « Va, je ne te hais point » de Corneille, mais, c’est plus moderne.

Ensuite notre rappeur s’en va voir ses potes de la Courneuve. Il vient les chercher pour finaliser la reprise de Simon and Garfunkel : Cecilia, you’re breaking my balls !

(Il faut déjà penser à la version filmée si l’on veut vendre, donc les potes sont choisis selon des critères ethniques pour caser des seconds rôles parmi les comiques en vogue issus de quartiers difficiles.)

- Alors, la pouffe de la télé, tu te l’es goinfrée ?

- Telmor, la soirée, j’ne te dis pas !

On est loin du ton du roman initial, mais on colle à l’intrigue. « Ne craignez point de prendre des partis trop rudes et trop difficiles, quelque affreux qu’ils vous paraissent d’abord : ils seront plus doux dans les suites que les malheurs d’une galanterie », passerait mal aux oreilles de Sarkozy et lui ferai rejeter le film.

Par la suite, le mari déjà déstabilisé par un risque de remaniement ministériel qui peut très bien lui coûter son poste, se répand en griefs injustes envers son épouse. Querelles et cris, voire gifles. Dans un moment de colère, elle lui dit qu’elle en aime aussi un autre et qu’elle est bien conne de lui rester fidèle.

- Je t’aime encore, pauvre nœud, mais tu me fais chier avec ta jalousie de glandu ! Allez, casse-toi, connard !

La dernière réplique permet au principal intéressé de se sentir doublement concerné et, comme disent les psychologues, de s’approprier le personnage.

On est encore aussi loin de : « Quelque dangereux que soit le parti que je prends, je le prends avec joie pour me conserver digne d’être à vous. Songez que pour faire ce que je fais, il faut avoir plus d’amitié et plus d’estime pour un mari que l’on n’en a jamais eu : conduisez-moi, ayez pitié de moi, et aimez-moi encore, si vous pouvez. »

Le temps passe, le ministre est viré et la jalousie s’installe. Il force un peu trop sur le mélange amphétamines et whisky et se retrouve un soir au volant de sa Porsche ou sa BMW (voir qui est le meilleur sponsor, la Fiat Uno serait totalement incongrue dans le scénario). Le platane arrive enfin comme un sauveur à sa détresse.

Funérailles à la Boulin ou à la Bérégovoy. Veuve, la présentatrice refuse de revoir le chanteur et se lance à cœur désespéré dans une aventure lesbienne avec l’égérie d’un groupe de néo-punk féminin. (Il faut, lors de la version écrite, penser à la bande-son et ne pas mettre que du rap.)

La mort du ministre fait jaser, une certaine presse évoque un complot socialo-franc-maçon !

Je pense que ce modernisme dans la situation et de langage peut intéresser un producteur. On peut imaginer une version cinématographique dirigée par Guillaume Canet ou Matthieu Kassovitz avec Isabelle Carré, Vincent Cassel et François Berléand dans les rôles principaux. Une sorte de remake trash du film de Zulawski avec Sophie Marceau sur la fidélité !

Après, ensemble tout devient possible ! Utilisation du roman comme matériel pédagogique dans les collèges, projection du film pour la formation des maîtres, réappropriation du texte par les jeunes des collèges en rap, en sketchs verlan wash-wash ou en slam… On pourra enfin perdre du temps avec la littérature dans les établissements scolaires de la République. Mais qu’en pense Darcos, lui qui est passé par les lettres classiques, Khâgne et Louis le Grand ? Il doit manger son chapeau comme tous les autres, être cultivé est mal vu en haut lieu.

Pourtant, relire la Princesse de Clèves et la remettre dans son contexte permettrait à notre président de savoir que l’on n’achète pas la Carte de Tendre dans les stations Total !


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