Sur une toile cirée

par C’est Nabum
vendredi 1er mars 2013

Billet roboratif

Se mettre tous à la même table !

Poursuivant la ronde de mes nostalgies personnelles, je viens ici, me mettre à table, avouer à la moquerie des générations montantes et si modernes, de biens étranges pratiques que nous menâmes à l'imitation de nos glorieux anciens. Je sais désormais ces pratiques révolues. J'oserais les qualifier d'obsolètes ou bien d'incongrues si ces mots n'étaient pas, eux non plus, passés d'usage chez ceux dont je me fais fort d'éclairer la bien triste lanterne.

Il fut un temps, je devine qu'ils ne voudront pas le croire, où dans nos modestes cuisines, il n'y avait ni congélateurs ni micro-onde. La chose va leur paraître si étrange qu'ils me prendront pour un demeuré ou un vieux fou ( ce qui n'est pas tout à fait faux). Je n'irai pas à évoquer l'absence du réfrigérateur, cela en serait trop pour eux et ils me feraient enfermer sur le champ.

Pourtant, nous avons connu ce temps pas si lointain où le repas se préparait à l'avance, où il fallait faire quelques achats le jour même alors que nous n'avions alors pas la possibilité de recourir au super-marché. Nous allions chez des commerçants de proximité qui rechargeaient le lait à la fontaine, qui ne vendaient des bouteilles pleines que contre l'échange de contenants vides.

Nous achetions nos légumes chez le maraîcher du coin et devions alors subir les caprices des saisons et les aléas du temps. Nos fruits n'étaient que ceux qui poussent dans la région et la viande venait des abattoirs municipaux ou bien de l'arrière-cour. On tuait encore le poulet ou bien le lapin et certains poussaient l'originalité jusqu'à engraisser le cochon.

Passer à table supposait donc une organisation qui se respectait. Celui ou le plus souvent celle qui avait préparé à manger avait passé du temps à s'approvisionner, à éplucher des légumes qu'on ne vendait pas encore tout près et à mijoter avec amour ce qui allait servir lieu de repas familial. Le pain était frais du jour, le boulanger s'était levé aux aurores pour remplir son office.

Et c'est ainsi que midi et soir, toujours à la même heure, règle incontournable dans toutes les familles, même si de l'une à l'autre, l'horaire n'était pas souvent le même en fonction du métier exercé ou des coutumes de chacun, la famille au grand complet passait à table. Gare à celui qui manquait l'heure. Il lui fallait alors excuse en béton pour supporter la colère paternelle !

Je crains une fois encore de ne pas être cru. Le menu était unique. Pas d'option particulière ou de variante spécifique pour le caprice de l'un, les dégoûts de l'autre et les envies du dernier. C'était à prendre et à finir. La famille tirait sa solidité de son passage à table. C'était le grand échange des nouvelles, la conversation allait son train entre deux bouchées du même plat. La télévision, pour peu qu'elle fût déjà inventée, ne trônait pas en majesté.

Si je vous ai fait grâce des préliminaires, je ne puis en faire autant pour la levée de table. Les plus jeunes ne voudront rien en croire, mais il fallait en ces temps glorieux faire la faisselle en plus de débarrasser la table. Personne ne pouvait s'échapper. Il fallait laver, rincer, essuyer et ranger tandis que d'autres préparaient le café (il n'y avait pas non plus de cafetière électrique) ou bien essuyait la table.

Cette fois, on peut cependant noter quelques variantes suivant les familles ou les régions. Chez certains, le café était bu dans le verre de table à condition qu'il fut « Duralex », il ne pouvait en être autrement. Dans ce cas, la vaisselle était postérieure à ce moment. Chez les autres, il n'était pas concevable de le boire sur une table encore ornée des reliefs du repas. Les tasses étaient sorties après la vaisselle et elles attendaient jusqu'au repas suivant dans l'évier.

Mais en dehors de cette menue différence, dans tous le pays, le même rituel ne différait guère. Sur la toile cirée, chacun tenait son rôle et ne sortait pas du cadre. Il y avait en ce temps là un rituel sacré qui mettait chacun à sa place. Les enfants ne faisaient pas selon leur unique fantaisie. Il se trouve que cela se sentait à l'école comme en bien d'autres endroits.

Le récent scandale de la viande de cheval a jeté une suspicion nécessaire et parfaitement légitime sur les plats cuisinés. J'ajoute à mon tour ma petite sauce piquante et mon grain de sel. Refusez, si vous voulez bien m'en croire, le tout-prêt, le surgelé, le consommable selon le désir de chacun. C'est en mangeant tous la même chose au même moment que notre nation retrouvera ses valeurs. Jetez le micro-onde aux oubliettes de la mal-bouffe et instaurez une heure de repas à votre marmaille.

Bulle-gommement vôtre.

Vidéo finale


Lire l'article complet, et les commentaires