Un détour, le nez au vent
par C’est Nabum
lundi 25 avril 2022
Un petit crochet
Voilà bien le plaisir de celui qui se déplace le nez au vent, prêt à saisir une occasion pour infléchir son projet, modifier son itinéraire en saisissant l'opportunité d'un panneau, d'une pancarte, d'une envie soudaine. Un petit détour, un simple crochet, une échappée belle vers une relation, un monument, un panorama, une gourmandise. C'est un bonheur rare qui n'est pas au programme de madame GPS, la bonne dame qui nous montre la voie.
C'est fou cette propension de nos semblables à se faire mener par le bout du nez, les yeux fermés ou du moins braqués sur cet écran parleur, ce robot sans âme qui vous dicte votre conduite. Nombre d'entre-nous ont perdu le réflexe de lire une carte, de se représenter mentalement le trajet recommandé par les grandes sociétés autoroutières qui tirent les ficelles et font des nœuds à la circulation.
Le libre arbitre a cessé de prendre la clef des champs. Le réflexe conditionné du chauffeur est de pianoter avant que de prendre le volant, de confier à son ordinateur de bord ou de poche, le contrôle absolu de son existence. Ce que dira la boîte vocale sera parole d'évangile, j'en ai eu maintes fois la preuve, alors qu'il y a souvent d'autres chemins qui ne mènent pas à Rome.
Se laisser ainsi aller à la servitude chaque fois qu'une machine prend le contrôle me semble être un péril dont d'autres, moins bien intentionnés ne cessent de profiter à vos dépens. Ils savent par le truchement de ces délateurs électroniques tout de vos habitudes, de vos goûts, de vos déplacements et ceci grâce à une collaboration zélée de votre part. Quel prodigieux progrès !
Je perds sans doute mon temps à crier au loup d'autant plus que je le fais par le truchement d'un texte de 5 000 caractères, un pavé dans la mare de l'illettrisme galopant des serviteurs du grand Big Data, des fidèles de l'esclavage numérique. Lire des phrases simples, avec sujet, verbe complément est déjà un tour de force, alors songez donc à la réaction quand une conjonction de subordination vient apporter de la complexité, renforcée par quelques adjectifs et d'autres petits mots devenus totalement obsolètes…
Il convient de tout réduire pour laisser le champ libre à la surveillance planétaire, aux grands manipulateurs qui font de vous des moutons certes mais aussi les propres responsables de leurs malheurs. Ainsi tous ceux qui utilisent les caisses automatiques dans les supermarchés pour mettre à pied leurs semblables sont des monstres d'égoïsme.
Ce grand filet qui s'étend sur toutes nos activités est prétendument censé faciliter nos existences, il permet surtout d'éviter que nous passions par le truchement d'un autre humain pour obtenir un service, réaliser une démarche administrative, passer une commande ou bien effectuer un achat après conseils avisés. Tout se fait sur la toile dans ce grand choc de simplification vendu par les apprentis sorciers.
Essayez donc de comparer la facilité d'alors quand un humain répondait à vos questions, aux difficultés multiples de l'heure avec des formules alambiquées, des clefs de sécurité, des codes secrets, des cryptogrammes traqueurs de robot, des erreurs de manipulation, des piratages multiples, des arnaques de plus en plus sophistiquées, des bugs et des pannes de réseau, des cyber-attaques venant y compris de nations amies…
Oui, tout ceci est le merveilleux monde que vous aspirez de vos vœux, pour tout faire de chez vous, sans perdre de temps à discuter, échanger, se confronter avec un autre individu. Le robot prend la direction de vos vies et cela vous réjouit. Vous vous préparez un monde d'effroi et d'inhumanité. Ça tombe bien, c'est aussi l'objectif des maîtres de la planète. Ainsi ils continueront d'asseoir leur hideuse hégémonie tout en accentuant leurs gigantesques richesses.
À contre-temps.