Survie : l’héritage de nos lointains ancêtres
par Desmaretz Gérard
jeudi 12 juin 2025
En 1856, des ouvriers travaillant dans une carrière de la vallée de Neander près de Düsseldorf (Allemagne) exhument ce qu'ils pensent être les parties d'un squelette d'ours fossilisé, leur découverte va changer le cours de l'histoire. Il s'agit du squelette d'une espèce d’hominidés apparue il y aurait - 300 000 ans et disparu d'Eurasie il y a près de - 40 000 ans. Le géologue William King lui donne le nom Homo neanderthalensis en 1864. La répartition des sites où on été découverts des fossiles néandertaliens s'étend du Portugal à l'Asie, et la plus grande concentration reste située en France à l'ouest du Massif-Central ! Les hominiens sont apparus en Europe au début du Pléistocène moyen il y a un million d'années, un des hauts lieux en Europe occidentale se trouve dans la grotte de l'Arago au nord de la plaine du Roussillon près du village de Tautavel dans les Pyrénées-Orientales. Nos ascendants seraient-ils les Anténéandertaliens...
La période du Würm va connaître plusieurs fluctuations. Au Wurm 2 la forêt disparaît presque totalement, les plateaux sont dénudés ou recouverts d'une végétation steppique balayée par des vents glacials. Les vallées gelées se transforment à chaque dégel en vastes marécages. Le campagnol nordique se rencontre en Bourgogne, et la marmotte en Dordogne ! La faune est caractérisée par « une abondance de rennes et en moindre quantité bouquetins, chamois, antilopes saïga, mammouths, rhinocéros laineux, lemming, chevaux, bœufs musqués, gloutons, renards polaires et lièvres siffleurs venus d'Asie ». Les périodes froides alternent avec des fluctuations tempérées. Pendant les périodes interglaciaires les glaciers reculent vers le nord. La présence de l’homme de Neandertal est confirmée dans le sud de la Finlande (grotte de Susiluola). L'ensoleillement est le même qu'à présent mais les écarts de températures sont conséquents et l'eau concentrée dans les grands massifs glaciaires. A la fin de la glaciation de Würm, Neandertal se repaît d'escargots.
La vie nomade semble avoir été leur quotidien. L'homme de Neandertal vit en petits groupes d'une trentaine d'individus dans des abris sous-roche ou à l'entrée de grottes sans les occuper et situés de préférence sur un plateau (Sapiens occupera les vallées). Lors de ses déplacements saisonniers il établit des abris temporaires pour suivre le gibier, récolter des végétaux ou s’approvisionner en silex qu'il transforme en racloirs, bifaces, pointes, lames, lissoirs. Neandertal utilise le bitume, la poix et la sève pour fixer l'outil sur un manche en bois, et utilise les bolas « pierres rondes réunies par des liens et destinées à entraver les pattes des animaux ». La peau et la fourrure des animaux permet la confection de vêtements, les ligaments et les nerfs servent de liens. Le chasseur se couvre le corps de terre pour approcher ses proies.
L'homme est le premier être qui rapporte sa proie à son camp pour la partager avec les membres de sa tribu (signe de socialisation), les animaux commencent eux par en dévorer une partie in situ. Les chercheurs ont découvert au lieu-dit « La Folie », situé au nord de Poitiers, les restes d’un campement circulaire ceint d'un abri coupe-vent. Si les plus anciens foyers connus remontent à 500 000 ans, Neandertal a découvert comment allumer un feu avec les étincelles de silex entrechoqués et par frottement. Il utilise le feu à l'entrée de son abri pour se réchauffer, s'éclairer, cuire ses aliments sur des pierres, les fracturer, durcir la pointe des épieux, éloigner les animaux et les pousser vers un piège ou un précipice.
L'homme de Neandertal mesure environ 166 centimètres et la femme 154 cm, avec une capacité cérébrale moyenne de 1450 cm3 (Homo sapiens 1590 cm3). Les Néandertaliens auraient développé une corpulence massive pour s'adapter aux climats froids de la région. Leur survie aurait nécessité 6 000 calories par jour, ils « mangeaient probablement ce qui était à leur portée en fonction de la situation, de la saison et du climat ». Leur alimentation était beaucoup plus variée qu’on ne le supposait. Les Néandertaliens exploitaient toutes les ressources à leur disposition : cueillette (airelles, myrtes, châtaignes, noisettes, glands, champignons, céréales sauvage) - chasse - pêche - charognage.
Sous tous les climats et à toutes les latitudes les Néandertaliens se nourrissent de : bison, cheval, renne, bouquetin, chamois, et plus à l’Est de viande de mammouth et d'antilope saïga. Ils chassent le renard, le loup et l’ours pour sa fourrure, et le petit gibier : lièvres, oiseaux, grenouilles, campagnols, rats d'eau, escargots, truites, anguilles, saumons et coquillages. Leurs armes rudimentaires étant dérisoires pour chasser le grand gibier, ils le rabattent vers un piège, un précipice et de contribuer ainsi à l'appauvrissement de toute une région.
En 2016 une équipe de scientifiques étudiant des ossements néandertaliens dans une grotte belge a découvert les « preuves attestant clairement de la pratique du cannibalisme chez les Néandertaliens en Europe du Nord ». Nos ancêtres mangeaient-ils des membres étrangers à leur clan (exo-cannibalisme) - le corps d'un congénère déjà mort (endo-cannibalisme) - pratiquaient-ils le cannibalisme rituel ou le cannibalisme de guerre ? S'ils pratiquaient le dépeçage d'animaux découverts morts ou échoués pour s'en nourrir, difficile d'affirmer qu'ils étaient anthropophages ou nécrophages. Neandertal enterrait ses morts, certains corps inhumés étaient accompagnés d'« offrandes » et recouverts de lourdes pierres pour le soustraire aux animaux.
La découverte en 1983 d'un l'os hyoïde indispensable à l'élocution et la présence d'un gène associé aux développements des aires du cerveau a confirmé que Neandertal utilisait un langage articulé. Si quelques chercheurs avancent que nos lointains ancêtres avaient des capacités vocales depuis plus de 2 millions d’années, cela ne signifie pas qu’ils possédaient un corpus semblable au nôtre. Des linguistes du MIT avancent dans un article paru dans Frontiers in Psychology, que les humains ont créé le langage en associant des sons de primates pour le sens, et des sons émis par les oiseaux pour l’expression. L'oiseau se signale, informe qu'il est sur son territoire, qu'il a faim, pour attirer une partenaire et alerter ses congénères en présence d'un danger. Le gibbon est un des rares primates sans queue à chanter en modulant et en mêlant 14 notes distinctes ! L'abbé Condillac fut le premier à étudier la communication humaine et d'établir un lien avec la communication animale au XVIII° siècle.
Selon une nouvelle étude publiée dans Frontiers in Psychology, la capacité de langage propre à l’être humain existait déjà il y a au moins 135 000 ans. Son usage dans les échanges sociaux serait apparu environ 100 000 ans avant notre ère. On peut imaginer que nos ancêtres avaient élaboré un proto-langage reposant sur des stimulus qui retenaient leur attention. La vue de gibiers, par exemple, déclenchait très probablement toute une série d'actions pour : guetter - décrire - expliquer - situer - décider - coordonner - collaborer (on suppose que plusieurs clans distincts se regroupaient pour chasser les grands animaux) - réaliser l'action en assemblant quelques vocables tandis que les savoirs-faire se transmettaient par l’observation et la mise en situation : chasse à l'affût, battue, désignation des espèces, rabattage vers un piège.
La population néandertalienne sous nos contrées a été estimée à 20 000 individus (Nougier) pour une population totale de 70 000. La mortalité maternelle est courante, 40 % des enfants décèdent avant l'âge de 5 ans et l'adulte peut espérer vivre jusqu'à la soixantaine. Imaginez la surprise lorsque David Frayer et ses collègues de l'Université du Kansas reçurent les résultats de l'analyse d'un os de côte fossilisé mis au jour dans une grotte de Kaprina (Croatie) faisant état d'une tumeur cancéreuse vieille de 120 000 ans !
Quand homo sapiens apparait, au moins six autres espèces l'on précédé : Homo. naledi H.heidelbergensis, H. floresiensis, H. erectus, H. long et H. neanderthalensis. Les scientifiques s'interrogent sur les conditions ayant entraîné l'extinction d'Homo neanderthalensis il y a environ - 40 000 ans au profit d'Homo sapiens (Homme sage) qui aurait quitté l'Afrique pour s’installer en Eurasie il y a - 54 000. Néandertaliens et Homo sapiens ont coexisté 14 000 ans. « Neandertal possédait un front fuyant et un menton effacé, des arcades sourcilières proéminentes, des orbites enfoncées et un nez évasé. Sa cage thoracique est large et en tonneau ; ses os robustes ; ses jambes et ses avant-bras sont courts. Petit et trapu, il était doté d’une musculature puissante. (...) On sait que certains avaient le teint clair et étaient roux ou encore bruns avec des yeux marrons ». Chez Homo sapiens l'os frontal se redresse - la voute crânienne s'élève - la face se réduit - la denture diminue - le menton se dessine.
Vers - 35 000 ans le climat commence à se réchauffer, Homo sapiens mène une vie familiale et communautaire regroupant une cinquantaine d'individus dans des grottes aménagées. En l'absence d'abri naturel, Homo sapiens élève une tente ou creuse une fosse d'une dizaine de mètres de longueur, large de quatre ; le toit constitué de branches est recouvert d'une couche de terre d'une vingtaine de centimètres d'épaisseur. Le centre de l'habitat collectif est occupé par un foyer et une cheminée. Le foyer est recouvert de pierres ou galets pour maintenir la chaleur comme dans un sauna. L'aire de chasse couvre 1 500 km2 ; les os et les bois de rennes sont sculptés et/ou transformés en harpons.
Le néolithique marque l'apparition de l'agriculture, de l'élevage, la sédentarisation, l'apparition de nouveaux outils (la houe, l'herminette, l'hameçon) et la modification de l'environnement. L'ancienne cité lacustre découverte au large de la péninsule de Lin sur le lac d'Ohride au sud-est de l'Albanie, datée entre - 6 000 et - 5 800 ans, aurait accueilli la première population sédentaire d'Europe ! L'habitation palafittique établie sur un plancher supporté par quelques 100 000 pilotis en chêne et reliée à la rive par une passerelle aurait pu abriter quelques centaines d'individus...
« L'Homme est né de la difficulté » et très tôt il eut à surmonter de nombreux obstacles à sa survie. « En l'espace de 8 000 années la population de la " Gaule " atteint une cinquantaine de milliers d'habitants ». Aujourd'hui plusieurs milliards d'hommes et de femmes descendent de quelques dizaines de milliers d'Homo sapiens. Il subsiste dans le patrimoine génétique de certains Européens jusqu'à 4 % d'ADN néandertaliens ; le 0,5 % chez les Africains confirme l'accouplement entre les deux espèces et auxquel il faut ajouter le métissage avec des Dévoniens d'Asie. « Les noirs n'apparaissent que tout récemment à l'échelle géologique. Le plus ancien fossile typique connu trouvé au Sahara occidental remonte à - 7 000 ans »...
Une étude publiée dans Nature Genetics de mars 2025 remet en cause l’idée d’une lignée évolutive unique chez Homo sapiens. Des chercheurs de l’Université de Cambridge ont découvert que les humains modernes descendent de deux populations distinctes qui se sont séparées il y a environ 1,5 million d’années et qui se seraient retrouvées il y a 300 000 ans « bien avant que les humains n’entrent en contact avec les Néandertaliens et Denisoviens ». Notre patrimoine génétique serait la transmission de 80 % pour le premier, et de 20 % pour le second. « Cet événement a renforcé notre ADN à hauteur de dix fois ce que représente celui des Néandertaliens chez les humains modernes non-africains ».
Le remplacement des Néandertaliens par les Homo sapiens qui « restent à ce jour nos plus proches parents » reste une énigme. Dernière théorie : « Neandertal a peut-être été victime de la maladie hémolytique du fœtus et du nouveau-né. Dans le cas d'une mère néandertalien et d'un père Homo sapiens ou dénisovien, il y a un conflit rhésus. La grossesse est alors perçue par le corps de la mère comme une greffe avec un corps étranger et la mère se défend en produisant des anticorps. Ces anticorps viennent attaquer les globules rouges du fœtus, ce qui provoque une anémie potentiellement létale. À la fin, dans les petits groupes de Néandertaliens, il n'est plus resté assez d'individus pour perpétrer l'espèce ». Selon les statisticiens, un taux d'infertilité de un pour mille dans une population peu nombreuse suffit à entraîner son extinction à moyen terme. Une correction, une précision, une remarque ?
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