Connaissez-vous Mr Berlusconi ?

par morice
mercredi 2 mai 2007

On a les soutiens qu’on mérite, dis-t-on souvent. On ne vous apprend rien en citant, à gauche, Hugo Chavez, sorti d l’académie militaire vénézuelienne, putschiste à ses heures, et surtout l’anti-bush par excellence, (un des rares chef d’état à avoir parlé de la possibilité d’une manipulation dans l’affaire du WTC). L’individu n’est pas exempt de dérives autoritaires ni de corruption, ce qui représente un soutien plutôt encombrant, dont le PS français voudrait bien se passer.

Mais il a introduit la démocratie participative, de programmes d’alphabétisation et le micro-crédit dans un état resté très en retard socialement. Fort en gueule, il a aussi réclamé l’ inimaginable extradition du terroriste Carlos, vénézuelien d’origine, mais aussi déclaré "je pense que le socialisme doit se nourrir des éléments les plus authentiques du christianisme", voilà qui va faire plaisir à Mr Bayrou, en train de faire le grand écart sur la question. Chavez, mais également José Luis Rodríguez Zapatero jeune leader socialiste espagnol, dont le grand père, militaire, fut fusillé en 36, après avoir refusé de rejoindre le camp de Franco. Toujours chez la madonne du PS, on trouve Roberto Prodi, démocrate chrétien de centre gauche, façon Bayrou, qui a réussi de justesse à évincer Silvio Berlusconi, l’homme qui domine la vie politique italienne depuis un peu plus d’une décennie. Et le tout premier à se féliciter du premier tour de l’élection française. Silvio Berlusconi, je ne vous apprends rien, soutien Nicolas Sarkozy. C’est logique, et nous allons découvrir pourquoi, car c’est vrai ça, connaissons-nous Mr Belusconi, pour ne paraphraser personne ?

Le rouleau compresseur italien

Dominer, le mot est faible : Sua Emittenza Silvio Berlusconi a passé l’italie au rouleau compresseur de ses idées, de ses hommes et de ses méthodes. Parler d"autoritarisme, à son égard, est un euphémisme. Entrepreneur dans le bâtiment, responsable d’un bonne partie du bétonnage systématique de la côte italienne, il a établi un empire en forme de nébuleuse, où l’on trouve une holding financière, un club de football (et non des moindres, le Milan AC), Fininvest, dirigée aujourd’hui par sa propre fille (le népotisme est une dominante de son action), qui détient la majorité de Mediaset, un groupe de télévision privé concurrent de la chaine publique italienne, et détient des titres de presse, beaucoup de journaux (plus de 50). L’année dernière, sa filiale française (Mondadori france) est devenue majoritaire, assez discrétement de EMAP plc, d’origine anglaise et...le troisième éditeur français, pas moins. Le groupe édite de journaux aussi divers que Closer et le Chasseur Français (voilà qui va faire plaisir à Frédéric Nihous, qui aurait pu faire la une de Closer s’il avait été plus doué). Le groupe Excelsior a été avalé en partie en 2003, avec Science et Vie et Science et Vie Junior. On trouve aussi TéléPoche ( et TéléStar !), Modes et Travaux et Biba, Consoles + et la Veillée des chaumières (amusant les deux titres cote à cote, mais Console+ a été" revendu en 2005 en réalité) , Studio Magazine un temps détenu a déjà été revendu, avec aussi 30 millions d’amis... et Neptune yachting, Silvio étant resté pourtant un grand amateur de bateaux somptueux Mais le groupe a gardé FHM et Max, magazines masculins pour faire plaisir au machisme berlusconien sans doute (et il est grand). Les magazines de voiture sont nombreux : Auto Plus et Auto Journal, L’auto journal 4x4, Sport Auto (je m’étais toujours demandé pourquoi on y parlait autant des Fiat !). En tout cas, du Berlusconi, on en lit tous les jours, déjà, sans toujours s’en rendre compte. Même quand on se promène : le groupe détient Bel-air, qui édite des guides de Camping ! Vous pensiez prendre le large, vous mettre au vert, et éviter la pression de la télé, vous plantez votre tente... en choisissant l’endroit grâce à... Berlusconi, qui vous suit donc partout. C’est aussi la première fortune d’italie, et de loin... ce qui semble logique, tant l’emprise sur le marché est gigantesque.

Côté chi cet côté choc.

Pour beaucoup d’italiens, Mr Berlusconi est un homme respectable. Marié, catholique pratiquant, donnant de ses deniers mais pas de sa personne (faut pas rêver) à des associations caritatives (euh un peu marquées politiquement, mais bon). Un Bill Gates qui remue plus les mains, quoi. Ça c’est pour le côté pile, vous savez, celui qui vous dit qu’il parle pour tous, qui souhaite réunir, travailler ensemble, qui cite le mot amour tous les deux lignes, quoi. Je ne vous décris pas le tableau on vient de l’entendre à plusieurs reprises durant toute la campagne. Le côté face est nettement moins reluisant. "Sur la base d’actes et de faits acquis, il est certain que le retour de Marcello Dell’Utri au sein du groupe Berlusconi est dû au fait que l’accusé est considéré le plus fiable dans la gestion avec les mafieux, et certes non pas pour ses qualités professionnelles". La phrase couperet est celle du procureur Domenico Gozzo, prononcée le 4 mai 2004 à Palerme, la "capitale" de la mafia. Marcello Dell’Utri est sicilien, c’est un sénateur de Forza Italia, et le bras droit direct de Berlusconi. L’homme est membre du "groupe de sénateurs passionnés de la Bible". Le procureur, acerbe, va même plus loin "la contribution de Marcello Dell’Utri a été essentielle. Nous avons les preuves que le groupe de Berlusconi payait l’organisation mafieuse" (...). En Sicile, il a été plutôt efficace : 61 élus sur 61 poste au centre-droit aux législatives de 2001. Plus fort que Sarkozy à Neuilly. On imagine les moyens pour y arriver. Dell’Utri sera condamné le 11 décembre à 9 ans de réclusion en première instance. La procédure judiciaire avait duré... 7 ans, et la sentence finale rédigée sur 1800 pages. Il démontre que c’est l’argent du promoteur Berlusconi qui a attiré avant tout la mafia, à qui il versera 113 milliards de lires (250-300 millions d’euros) d’investissements non déclarés entre 1973 et 1983, sommes jugées "inexplicables"à l’audience. La raison essentielle : Berlusconi à peur pour sa famille, et préfère payer... à demeure un palefrenier de Cosa Nostra, Arcore Vittorio Mangano, pour la protéger, par exemple, en échange de versements réguliers à la "cause"". L’impôt mafieux type. Quand il y a un retard de paiement, la mafia fait sauter un magasin appartenant à Berlusconi. Imparable, se rappeler au bon souvenir du dirigeant par des explosions. La méhode corse ? Pour d’autres explosions, plus graves encore, on peut consulter cela : http://olivierbonnet.canalblog.com/archives/berlusconi_et_l_extreme_droite/index.html.

Obscène

Question vie privée, il y aussi de quoi gloser. Le commandeur entretient des relations plutôt tendues avec sa seconde épouse (tiens, lui aussi, décidément !). Catholique fervent, Berlusconi le démontre dès sa prise de fonction en 2001 :"Famille, Europe et solidarité internationale étaient à l’ordre du jour des entretiens que M. Silvio Berlusconi, Président du Conseil italien, a eus ce matin au Vatican avec le pape Jean-Paul II et avec le cardinal Secrétaire d’Etat Angelo Sodano." Un pape dont on ne dira jamais assez la vision rétrograde du monde contemporain, et qui bien entendu condamnait la prostitution et l’homosexualité. Berlusconi, typiquement italien, réprouve également l’homosexualité, comme ce même pape : à part que chez lui, ce sont tous, selon lui, des hommes de gauche "tous de l’autre côté" lance-t-il à Monza le 24 avril dernier (http://www.7sur7.be/hlns/cache/fr/det/art_372001.html). La semaine précédente (http://www.7sur7.be/hlns/cache/fr/det/art_365968.html) il avait dû s’excuser devant sa propre femme , après avoir proposé le mariage, sur un ton plutôt léger, à une jeune et jolie députée italienne Mara Carfagna ("Avec vous, j’irais n’importe où, même sur une île déserte (...) si je n’étais pas déjà marié, je l’épouserais tout de suite"). Pour s’en défendre, il avait invoqué dans une lettre d’excuses publiques à son épouse : "Mes journées sont folles, tu le sais. Le travail, la politique, les problèmes, les déplacements (...), une vie sous pression constante". Un habitué, en fait des saillies à caractère sexuel : lorsque que son avant centre du Milan AC ne marque pas de but, la raison est toute trouvée : "Un vrai Milanais et un vrai homme ne se serait pas comporté ainsi. Chez moi, c’est moi qui commande et qui décide ce qu’il faut faire. Shevchenko, par contre, lorsque sa femme l’appelle et l’envoie en bas du lit, il court comme un petit chien". Non seulement il et macho, mais en prime il est... raciste : "un vrai milanais" en dit long sur ce qu’il pense d’un... ukrainien comme Shevchenko. La totale ? non, il peut encore faire pire. En 2002, il affirme que Pour éradiquer la prostitution dans les rues italiennes, il faut rouvrir les maisons closes, ce qui lui met à dos cette fois l’église. Malgré ces protestations, en fait une grande majorité de la population approuve cette initiative, la prostitution à Palerme comme à Naple est un fléau.. anti-touristique.. Silvio Berlusconi va plus loin : il reçoit le jour même quelques-unes de ces dames chez lui... Des contacts qui semblent avoir fructifié depuis. Le 16 avril, le monde découvre avec effarement un Berlusconi de 70 ans se baladant dans un jardin avec un véritable harem, des personnes de la moitié ou du tiers de son âge... Caholique, marié, etc... la duplicité faite homme.

La 5, échec et mat

Mais ce que les français ont gardé comme image de Berlusconi, historiquement, pour l’instant, c’est celle de l’aventure délirante de la "5", le double français de "Canale 5", acheté en 1986 par Berlusconi. Petit rappel des faits. La cinq d’origine provient d’un constat Mittterandien, encore aujourd’hui d’une brûlante actualité : la télé, ça coûte tellement cher à faire, que l’état ne peut se charger de tout. Autant en laisser à de groupes privés, même si la haute autorité de l’époque rechigne à en accepter le cahier des charges. Le 20 février 1986, les français découvrent avec étonnement une télévision... euh... surnaturelle : avec comme élément dominant des plateaux transparents partout, un vrai cauchemar de nettoyeur de surface. Des néons et des paillettes à tous les étages, et un flot ininterrompu de séries télévisées américaines constituent le menu du jour, invariable. On redécouvre K2000 ou SuperCopter, StarTrek ou la Cinquième Dimension qui deviennent d’un kitsch absolu, visionnés 20 an après leur réalisation. Le kitsch et le mauvais goût, voilà les deux moteurs de la chaîne : Amanda Lear comme présentatrice ou Christian Morin et sa clarinette, il doit y avoir mieux... ailleurs, certainement. La chaîne, lancée à grand renforts de publicité fait rapidement un flop commercial, mais ce n’est pas cela qui va la tuer. Ce qui va sonner le glas de son existence, c’est... la privatisation ! Jacques Chirac a gagné l’élection législative de 1986, et François Léotard lui propose de privatiser la plus chère des chaînes d’état, à savoir...TF1. La Cinq, jugée "créée par Mittterand" est donc condamnée, il n’y a alors pas de place publicitaire, alors, pour deux chaînes "privées" : on lui interdit de diffuser des films, c’est en fait signer son arrêt de mort, effective le 3 février 1987, ou son autorisation d’émission est résiliée. Place à sa remplaçante. Robert Hersant saute sur l’occasion, avec l’aide de Berlusconi, qui a prêté ses studios depuis le début (avec les célèbres plateaux en polycarbonate transparent), et place comme journalistes Patrice Duhamel, Jean-Claude Bourret (Mr OVNIs) et comme fine fleur du spectacle Patriclk Sebastien, Patrick Sabatier et Stéphane Collaro. Avec Berlusconi, ça plane toujours haut. On est pas sur Arte, et ça se voit, on est sur la 5, version 2. On y découvre aussi des reportages signés Patrick de Carolis, actuel président de France2, qui accueille vingt ans après, un soir d’élection (la dernière en date) Michèle Alliot-Marie en lui faisant la bise devant une rédaction de France2 assez abasourdie. Mais la télé, ça coute cher, Hersant, malade et fatigué, jette l’éponge et refile le bébé à Jean Luc Lagardère, qu avait tenté d’acheter...TF1 en 1987. Soucieux de présenter un autre look que les fameux plateaux à serpillères, Lagardère dépense dans les décors et l’image extérieure de la chaîne : un an après, le déficit atteint 1 milliard, et on licencie plus de 500 personnes... et le reste suit. C’est la fin en 1991, qui se termine en eau de boudin, J-C Bourret faisant de la résistance comme un martien, un rôle qu’on ne lui attendait pas. Berlusconi fera bien une dernière tentative de rachat, mais le PAF français n’est déjà plus extensible. Il abandonne. L’argent, ça ne suffit pas toujours pour faire de la télé, mais ça aide, disent certains. Ou alors il en faut vraiment beaucoup !

La tentation de Milan

Or aujourd"hui, les mêmes tentations herziennes resurgissent : la télé coûte encore plus cher, et l’état s’est engagé dans un gouffre financier avec la gestion de 9 chaînes d’état, un record en Europe. Des chaînes d’état qui servent aussi la propagande, on ne voit pas pourquoi changer une équipe qui gagne. Sur la dernière née, France 24, la "voix de la France à l’étranger" le Canard fait remarquer que les temps d’antenne des candidats présidentiels sont bien étranges. Du 9 au 20 avril, Nicolas Sarkozy a parlé 2 h19 contre 14 minutes à Ségolène Royal. 54,8% contre 5,8%, c’est ce qu’on appelle un équilibre au sommet de l’état : le CSA, alerté, a moyennement apprécié. Si les chaînes d’état ne suffisent pas à diffuser la propagande, la tentation de contrôler le privé existe toujours. On connait les liens tissés entre Martin Bouygues et Nicolas Sarkozy (témoin au mariage de l’autre !). Jean-Claude Dassier, directeur de LCI, dans le même numéro du Canard avoue le soir de l’annonce du premier tour qu’une "nouvelle ère commence". A voir le traitement spécialisé qu’à subi récemment Sarkozy sur France2, on est fort tenté de le croire. L’influence de Silvio Berlusconi sur la vision du monde télévisuel de Nicolas est évidente : "son éminence" dicte déjà ses méthodes à l’un de ses meilleurs amis. France2 ou France3 sont sous la menace d ’une privatisation que le ministre de la culture a beau nier sans qu’on lui demande parfois. Une dénégation à laquelle plus personne ne croit. Et encore moins un candidat qui peut se permettre d’injurier à l’antenne toute une profession qui sait déjà que ses jours sont comptés, lors de deux visites à FR3. "Son éminence Nicolas", à défaut d’être aux manettes de l’état a déjà gagné un surnom. Le même que celui de son plus grand admirateur. La France est prête à subir le même sort qu’en italie, à savoir d’avoir pendant 5 ans une télévision, une information et une presse buldozérisée.

Et pourtant, le bilan est.. catastrophique !

Dans un livre saisissant, "L’Italie à la dérive : le moment Berlusconi", de Marc Lazar, on s’aperçoit que la prise de pouvoir par Silvio Berlusconi et la conduite même de ce pouvoir disons excessif a été en réalité un échec total. Opinion partagée par Yves Portelli dans un autre ouvrage "L’Italie de Berlusconi". "Crise économique, pagaille institutionnelle et dépolitisation d’un pays où la politique était pourtant le deuxième sport national après le football, tel est le diagnostic sévère". mais ce n’est pas tout, et là ça inquiète davantage : "Chômage structurel masqué, qui dépasserait les 12 %, alors qu’officiellement, avec 7,7 %, il constituerait l’un des rares succès du gouvernement Berlusconi -, économie stagnante, pays vieillissant, finances publiques dans le rouge, le bilan est sans appel" cite l’Express. Ça rappelle des choses, non ? Mieux encore, toujours dans le même numéro : dans un propos parallèle, la revue "La République des idées" montre que deux visions géopolitiques différentes se sont affrontées lors des dernière élection italiennes, gagnées de justesse par Prodi : "celle d’une gauche européaniste et multilatérale, et celle de Berlusconi, atlantiste et privilégiant la relation avec Washington". La revue éclaire aussi l’une des composantes idéologiques de la majorité berlusconienne : une pensée « occidentaliste », proche des thèses de Samuel Huntington et de son « choc des civilisations », dans un pays qui découvre avec inquiétude les effets d’une immigration massive.... on comprend mieux certaines diatribes de Berlusconi sur la supériorité occidentale", ou les propos injurieux sur Shevchenko. Tout ça, ça sonne pareil chez Nicolas Sarkozy, non ? reste plus qu’a savoir si, au final, çà va être pareil qu’en italie... (http://olivierbonnet.canalblog.com/archives/2006/05/31/1995630.html). Forza ialia, il a dit Besson, c’est ça ?

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