La minauderie sur internet

Sur les forums, elle se présente souvent comme quelqu’un d’extrêmement sensible, à fleur de peau, une sorte de petit oisillon affamé perdu dans l’immense sapinière du web. Elle optera volontiers pour un avatar culcul comme Titi, un personnage Disney ou une fée. Si elle préfère exposer sa photo, elle choisira un portrait assez vague, une sorte de flou artistique censé évoquer le mystère. Dans sa présentation, elle préférera mettre en avant ses traits de caractère plutôt que ses goûts ou ses projets. Elle s’efforce d’emblée de symboliser une sorte de féminité fragile et sensuelle.

Au fil des discussions, elle badinera volontiers avec les membres masculins. Les femmes, elles, lui montreront une certaine indifférence. Semaine après semaine, elle cherchera à s’attirer les faveurs des messieurs. A force de sous-entendus sexuels, de petites plaisanteries faussement innocentes, elle se constituera un petit groupe d’hommes prêts à défendre sa personne à tout moment. Parfois, ces posts sont un appel à la débauche à peine voilé. Si un esprit « obtus » lui signifiait de modérer ses ardeurs, elle répliquerait qu’elle agit en toute sincérité, qu’elle voue un culte au plaisir et que l’internaute « puritain » qui ose la contredire souffre probablement de sérieux troubles sexuels. Ses sentences préférées sont : « Je vous plains puisque vous n’avez pas de cœur » ou « Votre vie sentimentale doit être bien triste pour que vous soyez aigri à ce point ». Car, de son point de vue, tous ceux qui ne partagent pas ses idées entrent dans la catégorie des jaloux, des frustrés et des indifférents.

La demi-douzaine d’internautes libidineux qui constituent sa suite se révèlent bien souvent d’un machisme sans limite. Prompts à s’accroupir devant leur maîtresse, ils n’hésiteront pas à mordre si une femelle lambda défie l’hégémonie de la minaudière. Toutes les bassesses pourront être employées. Tandis que la petite meute de canidés se relayera pour déchiqueter la scélérate, la dresseuse, loin d’apaiser la situation, saluera la chair meurtrie par les crocs de ses cerbères. Elle distribuera les susucres : untel a bien répondu à l’odieuse rivale, tel autre réplique admirablement, comme à son habitude. Nos braves toutous, pourtant convaincus de leur intelligence supérieure, croiront même leur intervention juste et spontanée. Traités comme de vulgaires benêts, ils ne comprendront même pas qu’ils sont aussi conditionnés que le chien de Pavlov. Car la minaudière sait s’y prendre pour distribuer les éloges et flatter l’orgueil des mâles défraîchis. Ces derniers, avides de caresses, se sentiront lésés dès qu’une femme n’usera pas d’obséquiosité devant eux. « Mais pour quoi elle se prend cette pimbêche ? » Grâce à cette charmante dame, les discussions entre sa garde rapprochée et les intervenantes féminines deviendront impossibles. Le moindre mot se terminera en pugilat. Car la minaudière inspire avant tout à écarter toutes les femmes de son champ d’action, puisqu’elles se laissent rarement berner par les flagorneries et les pleurnicheries dont elle use sans cesse. A force de se sentir avilies et d’être attaquées systématiquement par le groupe de machos, elles se feront effectivement de plus en plus discrètes. Notre héroïne pourra alors continuer à aguicher, à roucouler et à cumuler les sous-entendus grivois. Les femmes vraies déserteront alors le site et le forum et hésiteront à écrire.

Car notre charmante amie aime avant tout à se mettre en avant, quoiqu’elle se prétende modeste. Il est certain que, sur un forum composé majoritairement de femmes, elle serait accueillie avec tiédeur. Car, là, elle devrait se faire remarquer par son intelligence, ou à défaut par ses qualités humaines. Il ne suffirait pas de quelques ricanements mièvres et de quelques clins d’œil pour gagner ses galons.