Philippe Val se déclare « islamophobe » : la liberté d’expression, le rire et les larmes

par guylain chevrier
samedi 8 juin 2024

L’ancien patron de Charlie Hebdo, Philippe Val, dans une interview donnée au Figaro le 17 mai dernier (1), estimait, répondant à la question de savoir s’il était islamophobe : « Oui. Je ne devrais pas dire ça dans un média parce que, (soupir)… Oui, je peux être aussi cathophobe... Des gens très religieux qui nous emmerdent et qui veulent qu’on suive leurs préceptes… (…) Oui, on peut avoir la phobie d’une religion quand elle commence à essayer d’exister par la terreur et par la contrainte de ceux qui ne veulent pas faire partie de cette religion, qui sont apostats, ou qui sont très tolérants, qui ne sont pas comme eux qui ne sont pas radicaux comme eux, et à l’intérieur de l’islam il y a cette radicalité (…) A l’intérieur de l’islam on ne les voit pas beaucoup les contre feux. Par prudence on appelle ça l’islamisme. Alors je suis « islamistophobe » disons, pour éviter toute ambiguïté à la con. » Le recteur de la Grande mosquée de Paris, monsieur Chems-eddine Hafiz, a annoncé son intention de porter plainte contre Philippe Val pour ces propos qu’il juge « irresponsable mais également dangereux », arguant qu’il aurait essentialisé les musulmans en les assimilant à une religion souhaitant « exister par la terreur ». Cette décision a été commentée « avec stupeur » par la Licra dans un communiqué (2), pour qui « la critique des idées, des opinions et des croyances » est « garantie par les principes républicains ». L’association antiraciste en réaction a rompu son partenariat avec l’institution religieuse, une convention signée il y a trois ans qui visait à "lutter en commun contre le racisme, le racisme antimusulman et l’antisémitisme. »

Une confusion entretenue entre critique d’une religion et rejet des musulmans

La Licra précise dans son communiqué : « En attaquant le journaliste sur son « islamophobie », Monsieur Hafiz favorise lui-même une double confusion : d’une part entre les attaques contre les personnes et la libre critique des idées ; d’autre part, entre les fidèles de l’islam et ceux qui promeuvent de cette religion une lecture sectaire et violente. » Au contraire d’essentialiser les musulmans, Philippe Val s’inquiète de dérives qui devraient alerter les représentants de ce culte, et les inciter à mieux aider leurs croyants à faire la part des choses, entre expressions radicales et pratique raisonnée. On notera que Musulmans de France, anciennement UOIF, réputé proche des Frères musulmans, a aussi décidé de porter plainte. Quant au CFCM, il dénonce les propos de Philippe Val, avançant que « ces arguments nous sont servis depuis des années par des racistes notoires » derrières lesquelles ils dissimulent leur racisme… Le journaliste dans l’interview ajoutait de façon prémonitoire : « Pour moi, (l’islamophobie) c’est un thème inventé par mes ennemis pour me désigner. ». On ne peut que constater, en le regrettant, que du côté de ces représentants de l’islam, on ne progresse pas, on est dans le déni, on n’entend décidément pas ce qu’est notre République.

Avec cette plainte envisagée contre le journaliste pour « islamophobie », on passe d’une lutte contre le racisme, dont le racisme antimusulman, et l’antisémitisme, qui visent des personnes, à l’interdiction de la critique d’une religion, qui relève de la réintroduction du délit de blasphème. On attaque donc la liberté de pensée qui se fonde sur le débat d’idées, attachée à la démocratie, qui est à l’opposé de l’aveuglement du racisme, du rejet épidermique d’autrui uniquement pour ce qu’il est. On attaque le dialogue en le remplaçant par le procès en religion, on tombe dans une sorte de retour du cléricalisme. Il y a comme de l’intimidation dans cette volonté systématique de faire taire. C’est l’égalité entre les individus que défend le combat antiraciste et contre l’antisémitisme, et en aucun cas une religion quelle qu’elle soit pour elle-même, que l’on peut librement critiquer dans notre pays, dont, le cas échéant, les méfaits. On sait combien certains rêvent de faire de ce terme polémique à vocation victimaire un concept juridique, qui alors mettrait hors la loi toute critique de l’islam.

Un rire ensemble par-delà les différences, qui nous fait humain 

Il y a bien d’autres choses que dit Philippe Val dans cette interview. C’est très intéressant d’aller l’écouter pour voir l’esprit de liberté qu’il défend, en défendant un droit de rire où on se mélange. Pas celui complice avec un public acquis qui va rire de blagues sur ceux qui ne sont pas dans le cercle, genre communautaire, mais provoqué par des blagues qui surprennent en étant transgroupes, transclasses, et qui font rire des gens qui croient et qui ne croient pas etc., ensemble. Une sorte de thérapie antiraciste et anti-antisémite, parce que ce rire mélange les esprits par-delà les différences, fait tomber les barrières. On pourrait dire, dans un esprit très laïque, rassemblant une humanité au-delà de tout, à caractère universel. C’est formidable ! 

Rima Hassan reçue par M. Hafiz. Du mélange entre religion et politique 

La Licra s’est également dite « profondément étonnée » de la « réception enthousiaste » réservée le 22 mai par M. Hafiz à la candidate LFI aux européennes Rima Hassan à la Grande Mosquée de Paris, alors que selon l’association cette militante « défend des positions propalestiniennes radicales sur la guerre Israël-Hamas. (…) extrémistes (…) difficilement compatibles avec le message que l’on est en droit d’attendre d’une institution religieuse comme la Grande mosquée de Paris », et ce, alors que son discours « ne contribue en rien à une recherche de la paix ». Le recteur s’est félicité de la rencontre en tête à tête avec la candidate Rima Hassan, présente en septième position sur la liste de La France Insoumise pour les élections européennes, mais véritable tête de liste. Le même jour, il appelait les musulmans, dans un billet hebdomadaire, à voter contre l’extrême droite. Sans doute une coïncidence. De son côté, la candidate a également relayé sur Instagram, avec publication de photos, cette rencontre. Ce dernier avait plusieurs fois pris la défense de Rima Hassan, notamment en avril dernier lorsque la candidate avait été convoquée au commissariat avec Mathilde Panot dans le cadre de procédures pour « apologie du terrorisme », suite à divers propos tenus au sujet de la Palestine. Le message posté par la mosquée après cette rencontre se concluait par le slogan « #SolidaritéPalestineGaza ». On ne peut douter de la satisfaction de la LFI qui a fait de ce thème le fer de lance de sa campagne pour les européennes.

Jean-Luc Mélenchon a dénoncé l’annulation d’une réunion publique le 10 avril à l'Université de Rennes II, après que la Présidence de l'Université a dit avoir reçu un courriel menaçant la sécurité de l’événement. Pour lui, une "opération islamophobe d’intimidation". Concernant la mise en cause par le premier ministre de l’« Entrisme islamiste » à l'école », le leader de la France insoumise a réagi en dénonçant une « accusation islamophobe ». L’usage d’un procès permanent en islamophobie, n’est-il pas de nature à pousser nos concitoyens de confession musulmane dans un vote de repli, avant tout religieux au lieu d’être citoyen ? On sait le danger que la religion s'immisce dans le politique, cherchant par ce moyen de pression à s’adjoindre le pouvoir d’Etat pour encadrer les consciences. On n'en est pas sorti sans mal avec l'Eglise Catholique. Il ne faudrait pas de ce côté à nouveau trop tenter le diable, au risque de nous faire passer du rire aux larmes.

1-https://video.lefigaro.fr/figaro/video/le-figaro-la-nuit-avec-philippe-val/

2-Grande mosquée de Paris : ne jouons pas avec les mots et les idées. https://www.licra.org/grande-mosquee-de-paris-ne-jouons-pas-avec-les-mots-et-les-idees


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