Aikido : Voyager loin des mirages, penser loin de l’illusion

par Denis Thomas
samedi 26 janvier 2013

Beaucoup d’entre nous ont en tête une pratique idéale. Elle se situe la plupart du temps entre désir de beauté gestuelle et désir d’efficacité. Un imaginaire sans doute légitime mais bien loin de la réalité simple et du sens, éléments pourtant incontournables d’un art « raisonné ».

Faute de mieux, notre voyage à travers les Budô s’organise à partir d’une agence plus ou moins bien intentionnée où l’on trouve, par ordre d’importance commerciale : le séjour en village de vacances proche des mirages du désert puis le circuit « découvertes » riche en sensations frelatées.

 Infiniment plus rare sera le voyage d’aventure « personnelle » voire l’Expérience, comme disaient nos aînés des années soixante. Plus laborieux, difficilement accessibles, certes, ils n’en demeurent pas moins les seuls à devoir être tenté.

Mais il convient d’abord de pointer du doigt ce qui nous est généralement proposé. Et qui s’est malheureusement imposé au fil des années comme le seul chemin possible vers une « connaissance ». De bazar.

ETENDUES SAUVAGES

Si le Doshu - jusqu’ici de la lignée Ueshiba - est le garant du répertoire technique, distribuant quotidiennement dès potron minet ce qu’il convient de savoir formellement aux courageux qui « se lèvent tôt » à Tokyo, d’autres, par delà les mers, ont sauté à pieds joints pour rentabiliser cette liste somme toute réductrice.

Non contents de limiter la pratique à un pré carré dont nul ne sait vraiment mesurer la superficie, ces « gentils organisateurs » ont également choisi de la figer dans le béton adoré par tous ceux qui détestent le prétendu vide des étendues sauvages.

Ainsi, sous prétexte d’un fallacieux « qui peut le plus peut le moins » et d’une encore plus trompeuse « contrainte maximale », l’intention de Uke qui doit présider à toute mise en œuvre « Aiki » se retrouve tuée dans l’œuf. Le sens de l’attaque avec.

Et quand il est permis, enfin, à Uke de s’exprimer un tant soit peu, ce dernier est perdu dans le mirage qui le conduit à jouer les toutous sages et dressés afin de ne mettre personne, à commencer par l’enseignant voire le Sensei, dans l’embarras de l’impossibilité de solutionner une attaque « raisonnée ».

Le système marche à la perfection car tous n’ont de cesse que d’exagérer, remplaçant le sens et la réalité du Budô par un « pré supposé », illusion qui vole à l’attaquant l’acuité de sa volonté et, par voie de conséquence, la juste réponse de Tori.

KIPLING ET FRANKENSTEIN

Et pour cause : il est imposé que tout doit toujours fonctionner à la perfection, que le droit à l’erreur n’existe pas. Que l’« Aiki Do » serait la panacée martiale universelle. Qui peut y croire sans rire ? Sans doute pas un combattant Tchétchène de 120 kilos …

Un imaginaire a donc pris le pas sur la réalité, malgré les alertes de Kipling (« Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître »). Visiblement, le fait ne dérange personne ou ceux qui le relèvent sont pourchassés comme le monstre de Frankenstein.

De fait, nous assistons à une dégradation exponentielle du niveau due à la disparition du sens des Budô.

Pourquoi ? Car toute réussite de voyage passe par la connaissance et la maîtrise des étapes, des points de contrôles obligés. Du moins lorsque l’on quitte l’autoroute pour aller à la rencontre de la réalité du paysage. Dès lors, l’erreur de parcours peut devenir enrichissement. L’occasion d’« élargir son champs de vision » comme disait Osawa Sensei (père).

Hors, ces points, traditionnels dans l’Aiki originel, ont fini par être totalement oubliés et mis de côté. J’ai entendu un jour un « enseignant » français, aujourd’hui au grade le plus élevé dans l’Hexagone, dire crânement : « si Ô Sensei passait maintenant un grade, il ne serait pas sûr d’avoir son premier dan ».

En serait-il troublé d’ailleurs ? Car si le sens des Budô, sans avoir disparu, se trouve à présent bel et bien occulté aux yeux du grand nombre tandis que la justesse de son évaluation est devenue une vue (étroite) de l’esprit.


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