Appelez-le « Rocky » Yoka !

par Lionel Ladenburger
jeudi 25 août 2016

Déjà champion du monde en titre, Tony Yoka a été sacré dimanche soir champion olympique dans la catégorie suprême, celle des super-lourds (+91kg). Un succès qui a offert à la France sa 10e et dernière médaille d’or à Rio, tout en couronnant de façon magistrale la quinzaine de rêve vécue par le clan des boxeurs tricolores au Brésil.

Le combat vient tout juste de se terminer. Tout frais champion olympique qu’il est, Tony Yoka descend du ring et enlace chaleureusement sa compagne, Estelle Mossely, elle-aussi titrée deux jours plus tôt ! Cette étreinte en or et en larmes, joyeuse et poignante à la fois, restera assurément comme l’un des moments les plus forts de l’olympiade carioca du côté des Bleus. A l’image de l’équipe de France de boxe toute entière, qui aura signé outre-Atlantique un somptueux retour (avec 6 médailles décrochées au total) au plus haut-niveau du pugilat planétaire, et ce, aussi bien sur le fond que sur la forme.

Son papa, Londres, Cuba… la genèse de « L’Artiste »

Surnommé « L’Artiste », un surnom qui lui va comme un gant, Tony Yoka (grand costaud d’1,98m pour 105kg) allie en effet puissance, vitesse de frappe et rapidité de déplacement comme très peu de poids lourds en sont capables. Fan de Mohamed Ali mais aussi d'Apollo Creed, le grand rival de Sylvester Stallone dans le premier volet de la série Rocky, le gamin a attrapé le virus de la boxe pratiquement au biberon. Rien d’étonnant pour ce fils de boxeur, qui sera initié au sac de frappes par son paternel (Victor Yoka, un ancien pro, lui-aussi présent et extrêmement ému a Rio) dès l’âge de 6 ans avant que le jeune poulain ne fasse ses armes en club, d’abord chez lui à Chanteloup-les-Vignes puis, à la dure, du côté des Mureaux.

Suivi dès son adolescence par Luis-Mariano Gonzalez, un coach cubain, c’est avec la complicité de ce dernier que Tony a ensuite multiplié les voyages à La Havane (La Mecque de la boxe mondiale) pour y parfaire son apprentissage. Ses progrès seront dès lors fulgurants : vice-champion du monde junior, vainqueur aux Jeux de la Jeunesse en 2010, puis champion de France en 2012, Yoka se qualifie dans la foulée pour ses 1ers J.O. à Londres. Mais submergé par l’enjeu, le pensionnaire de l’INSEP s’y fera sortir d’entrée. Une expérience amère dont il garde d’ailleurs une trace écrite sur l’avant-bras via un tatouage on ne peut plus explicite : « la chute n’est pas un échec, l’échec c’est de rester là où on est tombé » ! Une devise qu’il ne va alors cesser de s’appliquer jour après jour.

Doha 2015, Rio 2016, la double consécration

Suite à cette désillusion, Yoka retient la leçon. Devenu un monstre d’abnégation, il est désormais prêt à tous les sacrifices pour réussir. Absent des compétitions majeures depuis 2013 pour cause de blessures, le Français se rend au Mondial 2015 de Doha sans aucune certitude. Au Qatar, dans sa partie de tableau, il se retrouve en outre opposé aux trois premiers mondiaux… Plus mature, plus physique, le Tigre des Yvelines battra pourtant tous ses adversaires, franchissant un à un les obstacles jusqu’à créer la surprise en finale aux dépends du Kazakh Ivan Dychko, pour s’emparer du titre. 1er Français à réaliser pareil exploit dans la catégorie-reine, Yoka change alors brusquement de dimension, s’attirant même au passage les louanges du légendaire Vladimir Klitschko.

Débarqué à Rio avec l’étiquette de favori, le Parisien passe ses 1ers tours (face à Laurent Jr. Clayton puis Hussein Iashaish) sans encombre. Mais en demies, bien que vainqueur du puncheur croate Filip Hrgovic, le Français se blesse à la cheville… Diminué physiquement, c’est tactiquement et techniquement qu’il fera la différence en finale face au puissant britannique Joe Joyce. Esquivant les frappes, son coup d’œil lui permettra de contre-attaquer via plusieurs séries de crochets bien placés. Vainqueur de justesse du 1er round (29-28), c’est dans le second que Tony fera la différence (30-27). Rattrapé par sa cheville douloureuse, il cèdera du terrain dans la dernière reprise (28-29) mais parviendra malgré tout à contenir son adversaire, préservant ainsi l’essentiel : son avantage aux points synonyme de sacre olympique ! 5e champion olympique tricolore de l’Histoire, Yoka rejoint ainsi Paul Fritsch (1920), Jean Despeaux (1936), Roger Michelot (1936) ainsi que son ami Brahim Asloum (2000) au panthéon des boxeurs français.

Yoka, leader charismatique de la « team solide »

Comme dans chaque grande équipe, un leader naturel se dégage du reste du groupe. Enfilant le costume du taulier chez les nouveaux as du coup de poing « Made in France », à l’instar de Teddy Riner chez les judokas, c’est donc le Franco-Congolais Yoka, 24 ans, qui s’est affirmé au Brésil comme l’incontestable figure de proue du renouveau du noble art à la française. De surcroît, dans son sillage, Yoka a également emmené et tiré vers le haut toute une génération d’excellents cogneurs comme la France n’en avait encore jamais connue. De fait, à Rio, le contingent des boxeurs et autres boxeuses tricolores a tout simplement été le plus grand pourvoyeur de médailles bleues, tout en signant par la même la plus belle campagne de son histoire aux Jeux Olympiques.

Outre les titres de Tony Yoka (super-lourds) et Estelle Mossely (poids légers), Sarah Ourahmoune (mouches) et Sofiane Oumiha (légers) se sont parés d’argent, tandis que Souleymane Cissokho (welters) et Mathieu Bauderlique (mi-lourds) ont gagné le bronze. Avec 6 médailles obtenues sur 10 combattants engagés, le contraste est donc saisissant par rapport au précédent londonien de 2012 où les boxeurs français n’avaient absolument rien récolté. Par ailleurs, la « team solide » (surnom autoproclamé de l’équipe) aura également affiché durant toute la quinzaine carioca une solidarité sans faille doublée d’un état d’esprit irréprochable, dédiant notamment ses podiums à la mémoire du regretté Alexis Vastine. Un exemple dont d’autres sports feraient bien de s’inspirer…

Le couple en or « Mosselyoka »

C’est la belle histoire, la touche finale ! Celle qui donne assurément un supplément d’âme au triomphe de Tony Yoka. Car non seulement le pugiliste francilien a remporté le titre olympique, mais en plus il a rejoint dans la légende sa future épouse, Estelle Mossely, qui avait elle-aussi signé une performance historique en devenant (qui plus est le jour de ses 24 ans) la toute 1ère championne olympique française de boxe !

Un couple gaulois en or lors d’une même olympiade et dans la même discipline, une autre grande première ? Eh non ! On retrouve en effet la trace d’une performance comparable à celle réalisée par le tandem Yoka-Mossely avec les médailles d’or glanées par Andrée Joly et Pierre Brunet en danse sur glace à l’occasion des J.O. d’Hiver de… 1928 ! L’exploit « Mosselyoka » n’est donc pas unique, il n’en demeure pas moins suffisamment rare pour être souligné. Vive les mariés !

Lionel Ladenburger


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