Canal Moins
par Philippe Bilger
vendredi 2 février 2007
Un petit billet de rien du tout, comme une halte avant de replonger dans le sérieux. Je demande par avance le pardon de ceux qui n’aiment ni le foot, ni la télévision, ni les journalistes sportifs, ni que je m’abandonne au dérisoire.
Dérisoire, l’indignation du sportif en chambre que je suis ? Elle m’est venue à la suite de la lecture de "la noix d’honneur" du Canard enchaîné d’aujourd’hui. Elle a été décernée à juste titre à Olivier Rouyer, footballeur reconverti comme tant d’autres en commentateur sportif, pour sa comparaison ridicule entre Michel Platini et Martin Luther King. Me sont alors remontées à la mémoire mes vaines tentatives auprès du directeur des sports de Canal Plus pour attirer son attention sur l’épouvantable français parlé par certains des journalistes de sa chaîne, notamment Olivier Rouyer et Laurent Paganelli. Apparemment, personne n’en a cure.
Cela donne des salmigondis verbaux de très mauvais aloi qui laissent croire que le foot serait un domaine à ce point secondaire qu’on pourrait en charger n’importe qui. Pourtant, on constate que ce n’est pas du tout le point de vue de la chaîne qui, au contraire, au fil du temps, nous inflige l’écoute d’au moins quatre commentateurs, dont un homme de statistiques et un homme de terrain, et j’oublie le consultant arbitre ! Un seul commentateur serait largement suffisant, mais cela ne ferait pas sérieux... On aurait l’impression que le foot demeurerait un divertissement ne se payant pas de mots et ne se prenant pas la tête, alors qu’il faut au contraire persuader l’abonné que ce charabia collectif est fondamental. Le foot devient ainsi, de manière grotesque, un jeu qui se déguise en science et qui meurt dans son esprit, noyé sous des déluges inutiles.
Une soirée de foot comme une autre sur Canal : Olivier Rouyer qui répète plus mal ce que le commentateur principal a déjà dit et qui maltraite la langue française. L’inénarrable Paganelli qui pose d’absurdes questions aux footballeurs qui passent - du genre : Pour gagner, faut-il que vous marquiez un but ? -, rit en permanence de ses piteuses plaisanteries et termine toutes ses phrases par "OK, merci". Il y a longtemps, il a joué dans l’équipe de Saint-Etienne, il disposait d’un excellent pied gauche mais était-ce une raison suffisante pour nous l’imposer ? Toute cette équipe - ils sont donc quatre, cinq avec l’arbitre - parle tellement, s’esclaffe et se congratule à un point tel qu’on est gêné pour voir les actions de jeu, qu’elle nous empêche littéralement d’écouter les images et de prendre plaisir au combat des équipes, à leurs évolutions seulement ponctuées de cris d’encouragement ou de déception.
Dans cette dérive du verbiage incorrect, ennuyeux à force de compétence sans lien avec le spectacle qui nous est offert, se manifeste la dérive d’un monde qui, même dans ce registre, a besoin de fuir la belle simplicité de l’image qui montre et du son qui explicite, pour tomber dans un snobisme dévastateur : le foot est une passion réjouissante, il faut trouver le moyen de la rendre pénible.
Canal Moins, c’est clair. Il n’est que temps de nous redonner du foot en bon français et avec un unique commentateur.
Voilà, l’entracte est terminé. Demain sera fait de gravité.