Droits télé : le krach de la ligue 1

par LM
mardi 5 février 2008

Ceux qui prétendent que la Ligue 1 ne vaut pas trois cacahouètes ont raison... mais sont quand même disposés à y engloutir quelques centaines de millions ! Ca fait cher l’arachide.

C’est admis, entendu, scellé : le championnat de France de football de première division n’est qu’une vaste plaisanterie sans chute, une sorte de friandise amère qui ne convainc que les prétentieux et n’enchante que les Lyonnais. Notre Ligue 1 serait ce spectacle indigent, lent, mou et triste que Canal+ aurait surpayé il y a quelques années de cela, pour en finir avec TPS, à l’époque concurrent satellitaire de la chaîne de Denisot. Pis : il faudrait se faire violence, si l’on en croit Les Guignols, chez certains consultants, comme Aimé Jacquet, pour aller commenter quelque partie de campagne hebdomadaire dans la Sarthe ou en Nord-Pas-de-Calais, sous le gel, les frites et la bière fade. C’est admis, entendu, bouclé : ce championnat promis à Aulas pour encore quelques décennies serait un des pires d’Europe, donc du monde. Un jeu tombé si bas que Guy Carlier lui-même se permet aujourd’hui de le commenter, chaque dimanche sur France 2, en compagnie de l’ancien entraîneur de laure Manaudou, Philippe Lucas, qui lui non plus n’y connaît rien, mais ce n’est pas grave, c’est si mauvais, de toute façon, qu’il n’est même plus utile de s’y connaître. Il suffit de parler haut, fort, avec un accent et trois phrases de vocabulaire pour venir disséquer le jeu des vingt équipes de Ligue 1, sans rire. C’est un peu le foot pour les Nuls, par des nuls.

Mais comme dirait Jérôme Kerviel, même les pires tartufferies ont un prix, et le football français ne déroge pas à la règle : plus de 600 millions par an pour Canal+, diffuseur jusque-là exclusif de cette triste messe. Prix scandaleux, mis sur la table pour une question de survie par l’empire crypté alors en concurrence avec son cousin TPS, frère de TF1, qui lorgnait lui aussi sur le gâteau. Un gros bluff des amis de Mougeotte (qui avait ses entrées, à l’époque) que Canal n’a pas fini d’éponger. Une exclusivité pharaonique qui donna des ailes aux moustaches de Thiriez, trop heureux de son vilain tour joué au « partenaire historique » de sa Ligue. Six cents millions par an pour filmer les errements du PSG, les hésitations de l’OM ou la relégation nantaise, six cents millions par an pour assister, chaque été, à la fuite des meilleurs joueurs vers d’autres cieux, plus dorés encore, où le ballon surtout se joue plus juste, avec champagne et dribbles spectaculaires, foules hystériques et luttes incertaines. Des cieux du côté de l’Angleterre, de l’Espagne ou de l’Italie, où l’on additionne les Coupes d’Europe comme d’autres cumulent les pertes, où l’on rémunère outrageusement des stars impayables.

Ici, chez les Gaulois, depuis la chute de l’ogre marseillais, rien. Rien jusqu’à Lyon, qui cumule sans opposition, qui se balade sans trop forcer, qui triomphe sans gloire et sans progrès. Un Olympique lyonnais aulassien et régulier, condamné à s’inventer chaque saison de nouveaux challenges pour pallier l’absence de suspense. Même si cette année, c’est vrai, c’est pour l’instant plus serré, davantage tiré par les cheveux : à force de s’appauvrir, l’équipe aujourd’hui drivée par Perrin a perdu en régularité, et voit se rapprocher un onze bordelais sans doute déjà en surrégime. Une fausse lutte, donc, sans grand intérêt, dont pâtissent les sextuples champions de France, incapables, du coup, de progresser, sans rival fiable, et qui se font régulièrement rétamer en phase finale de Ligue des champions. Cette année ne devrait pas faillir à la règle. La faute à cette satanée Ligue 1, trop cher payée, et pour laquelle Thiriez, Aulas et consorts osaient réclamer plus encore : 750 millions, rien de moins !

Seulement voilà : depuis le dernier appel d’offres, exit TPS. Exit, donc, tout concurrent crédible au groupe Canal. Son président, le très drôle Bertrand Méheut a donc très vite annoncé qu’il ne paierait certainement pas une telle somme pour continuer à perdre de l’audience tous les dimanches soirs. Qu’il allait falloir revoir les tarifs. A la baisse. Bras de fer entre la Ligue et Canal+, bras de fer que Canal+ perd dans un premier temps juridiquement, ses recours rejetés, avant de le gagner dans les enveloppes : pas plus de 500 millions additionnés lors du premier tour de piste. Loin du prix plancher, donc. Thiriez s’est étranglé, a certainement dû renvoyer son décodeur par la fenêtre avant d’annoncer qu’il décidait de ne rien décider et faire croire à la presse qu’il « se félicitait de l’apparition de nouveaux interlocuteurs ». Un surtout, Orange, qui ne veut pas trop forcer, malgré son capital, mais s’est quand même solidement positionné sur plusieurs lots. Canal+, quant à elle, n’a proposé « que » 250 « maigres » millions, s’affirmant juste sur les meilleurs lots, histoire de conserver les grosses affiches et Jour de foot. Une gifle, un camouflet pour le quarteron de présidents rêveurs, Aulas en tête, épaulé par Gervais Martel (Lens) et Olivier Sadran (Toulouse), ces deux derniers aujourd’hui plus proches de la relégation que du ballon d’or, mais très forts quand même pour réclamer des milliards.

Parce que la grande idée d’Aulas and co était là : se rapprocher de la Premier League anglaise, qui vaut plus d’un milliard et demi d’euro à l’année. Si eux, pourquoi pas nous, claironne Aulas ? Oui, mais chez nos amis d’outre-Manche siègent Chelsea, Liverpool, Manchester United, Arsenal, entre autres aigles, là où nous peinons avec nos Nancy, Nice, Caen et Lorient, tous aux portes de l’Europe, comme dirait Pierre Ménès. Le championnat anglais est sans doute un brin surévalué, mais un brin seulement, là où la Ligue 1 fait figure de Twingo achetée au prix d’un coupé Mercedes. Et risque, aujourd’hui, de revenir à son juste prix. Ou presque : 500 millions, c’est encore beaucoup pour une compétition de bras cassés, car c’est bien de cela qu’il s’agit. « Faible niveau », « nul », le championnat était ainsi qualifié au début de l’appel d’offres : 500 millions, ce n’est pas nul, ni faible. Ni 250 millions, d’ailleurs. Les enchérisseurs ont donc été quand même assez (irresponsables) gentils avec M. Thiriez, qui ne pourra quand même pas faire l’économie de son départ, après cette partie perdue. Il aurait peut-être pu négocier une sortie honorable en entendant les réserves de Canal+, il a préféré, sûr de son jeu, aller au tapis.

La LFP, comme la Société générale : de positions douteuses en couvertures peu épaisses, le cours chutant de la Ligue 1 a laissé derrière lui un gouffre de plusieurs centaines de millions d’euros, qui pourrait bien provoquer quelques banqueroutes.


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