Faire le vide
par C’est Nabum
jeudi 8 novembre 2012
Un trop-plein de regrets …
Rugby, c'est fini !
Il est des gestes symboliques nécessaires pour marquer d'un point final un passé révolu. Il s'agit de se convaincre qu'il n'y aura plus de retour. Vous coupez les ponts, vous disparaissez, vous effacez le disque dur, vous vous évaporez, vous vous dissolvez totalement. Chacun use de sa manière pour tailler dans le vif, rompre les amarres de son propre passé !
Adepte forcené de la politique de la terre brûlée, chantre du nettoyage par le vide, nettoyeur de toute trace, vous pratiquez l'autodafé rituel ou la destruction des écrits, des objets, des souvenirs avec la même frénésie que vous mettez à noircir du papier ou à accumuler des mémoires . Quand le temps est venu de briser quelque chose, vous vous fracassez avec !
Qu'importent me direz-vous ces états d'âme. Vous ne pouvez pourtant échapper à ce délire de l'effacement total. La disparition est la plus improbable manière de s'accorder l'oubli mais c'est la plus sûre façon de ne pas faire demi-tour. Vous devez briser l'illusion du retour possible. La poubelle ou le feu sont alors des compagnons parfaits.
Il en va ainsi des amours et des passions fortes, des relations qu'on croyait éternelles, des histoires qui ne devaient pas s'achever. Vient pourtant le jour où il est nécessaire de se persuader que c'est vraiment fini, que le couvert ne sera jamais remis, que le mot « fin » tant redouté, c'est vous qui devez le mettre au bas de la page.
Je viens de clore un chapitre qui a tenu mon existence en haleine durant vingt huit longues années. Ma passion ovale est partie dans le camion benne de notre rue. Tous les documents, tous mes écrits, toutes mes notes ont rempli une grande poubelle. Voilà un immense poids en moins, un vide qui se crée dans mes placards.
Ne rien garder, ne plus rien conserver ! Fermer la page en faisant place nette. Démarche insensée peut-être, mais oh combien indispensable pour se dire que cette fois, c'est vraiment terminé. Il aurait été possible de confier quelques éléments de ce vaste ensemble à un successeur potentiel, à un ami de l'archivage, à un centre de ressources. Mais cela à si peu d'importance, si peu d'utilité que l'effacement pur et simple est le meilleur choix possible.
Il ne s'agit pas de passer le flambeau en refilant tous ces écrits techniques où je me suis brûlé les doigts. Je n'ai jamais vraiment réussi à transmettre ma méthode, j'ai été copié dans le détail, jamais compris dans la manière. Avoir une vision éducative et humaniste dans le sport semble de plus en plus anachronique. L'anomalie est effacée, c'est ce qui pouvait arriver de mieux !
Je me sens étrangement soulagé d'avoir accompli cet ultime geste. Tout ce passé est parti. Les listes de joueurs, les aphorismes choisis, les compte rendus de match, les remarques après chaque séance, les contenus d'entraînement, les schémas, les exercices … Il n'y a plus rien, ! Ça n'a même jamais existé ...
J'ai depuis toujours pratiqué de la sorte au terme de chaque année scolaire. Tout partait à la benne ! Les cours, les documents, les exercices, les listes d'élèves, le relevé de notes … Une manière d'éviter le ronronnement, de me mettre en danger, de me forcer à changer, à ne pas accepter le confort de la répétition au fil des ans. Pourquoi ne l'avais-je pas fait pour ce Rugby qui me fit tant souffrir durant toutes ces années ?
Tout est achevé. Les inimitiés ne seront pourtant jamais oubliées, ces mains qui ne se tendent plus, ces dos qui se tournent, ces propos hostiles qui n'ont jamais cessé d'accompagner une méthode qui sortait des règles ordinaires de cette grande famille de la balle ovale. On nous serine les valeurs si particulières de ce sport, moi le premier, mais rassurez-vous, c'est la même jungle que partout ailleurs et les coups bas sont aussi nombreux qu'ailleurs …
Si tout est parti dans le camion benne, mes blessures demeurent profondes et éternelles. Je ne pense pas qu'on se souvienne encore de moi. Tout n'est que poussière dans ce monde factice, un coup de vent et vous êtes balayé. Je sais qu'il arrivera un jour la même chose à tous mes écrits, mes contes et mes billets. Je n'aime rien tant que l'éphémère sans doute !
Effacement vôtre.